La Bolkestein en eau de boudin…
par Alain Lipietz

vendredi 17 février 2006

À l’heure où vous lirez ce blog, vous connaissez déjà le résultat.

La journée de mercredi est entièrement tendue par l’attente du vote sur la Bolkestein. Même ma rencontre avec Allan Wagner, secrétaire général de la Communauté andine, ou la réunion des présidents de délégations Amérique latine avec les responsables de la Commission européenne, pour préparer le sommet euro-latino-américain de Vienne en mai prochain, n’arrive pas à polariser mon attention.

Petite récréation : le groupe Vert lance dans la cour du Parlement sa campagne européenne contre l’effet de serre. Du matériel va être produit que pourront reprendre tous les Verts (comme pour la campagne contre la malbouffe, vous vous souvenez, les cartes postales ?)

Stop au Changement climatique !!
Un barrage contre le Pacifique ?

Le soir du mercredi, nous débriefons au groupe Vert, avec consternation, les nouvelles de la nuit précédente. Le PSE a renégocié à la baisse avec le PPE son compromis du 8 février. Non seulement, à propos de l’article 16 sur le principe du pays d’origine, il n’a pas été possible de réintroduire la possibilité pour un Etat d’imposer le principe du pays d’activité aux artisans (ce qui ouvre la porte au contournement des lois sociales par la prolifération des faux-indépendants), mais il a retiré de cet article 16 la mention explicite de l’application de la loi locale pour la défense du consommateur et pour la politique sociale. Argument : c’est écrit ailleurs dans la législation européenne ! C’est bien possible, mais le rappeler ici aurait été une contrainte supplémentaire pour la Cour de justice de Luxembourg qui aura à régler tous les litiges.

Car n’oublions pas que nous ne votons qu’une directive, c’est à dire que chaque pays aura ensuite à la transposer dans sa législation nationale. Et c’est là qu’interviendra la Cour de justice européenne : un pays A pourra porter plainte contre un pays B qui aura, à travers telle ou telle disposition locale, entravé l’accès des entreprises du pays A au marché national du pays B…

Quant à l’exclusion totale de l’ensemble des services publics marchands (SIEG) du champ de la directive, il ne faut plus y songer. Même l’enseignement n’y sera pas (mais la santé, si). Décryptage : pour les pays ayant deux systèmes d’enseignement, un public et un privé, le secteur public sera considéré comme relevant des SIG (services d’intérêt général, qui sont bien exclus de la directive), mais le privé relèvera de la directive. Pour les cours privé du genre dactylographie, langues vivantes etc, c’est normal. Mais quid des pays qui ont des relations institutionnelles et contractent des obligations de service public avec des établissements privés d’enseignement général ou technique-professionnel, et à ce titre les subventionnent, comme en France ?

Bref, on s’achemine vers une directive extrêmement floue en première lecture, même si le principe du pays d’origine n’est plus explicitement mentionné, même si le droit syndical du pays d’activité y est conforté (puisqu’il est dit explicitement que les conventions collectives en font partie).

Ce résultat médiocre traduit assez fidèlement les formes de la mobilisation. La Confédération européenne des syndicats n’a pas desserré ses crocs des mollets de la Bolkestein, depuis que le projet de directive a été publié début 2004. Jusqu’à la dernière minute, son représentant Josep Nemec a quasiment campé dans le Parlement. L’énorme manifestation de Strasbourg, succédant d’ailleurs à une longue série de manifs commencées dès avril 2004 (500 000 personnes à Berlin et à Rome), se traduit par un résultat net : le droit social du pays d’activité est bel et bien réaffirmé dans la directive.

Mais, limite de toute mobilisation syndicale : elle défend les salariés, et principalement les salariés du segment central, régi par des conventions collectives. Elle ne défend pas le vaste secteur des indépendants, dont beaucoup sont tellement sous-traitants qu’ils deviennent de quasi-salariés. Par ailleurs, les mouvements de consommateurs ont été presque totalement absents de la mobilisation. Cela se reflète directement dans le résultat final.

Pendant le débat, mon assistante Coralie m’apporte un e-mail personnel d’une collègue française du PPE (UMP), avec qui j’ai noué des rapports amicaux. Elle m’explique qu’au sein du PPE, la bataille s’est concentrée entre l’Est et l’Ouest. Les PPE de l’Ouest étaient partisans d’un large accord avec la gauche. Les députés de droite issus de l’Europe orientale tenaient mordicus au principe du pays d’origine, considéré comme leur seule parade contre le protectionnisme des pays occidentaux. Il faut dire que nous continuons à payer la campagne des Le Pen, Villiers, Fabius, etc contre le « plombier polonais ». Et ça continue : sur mon téléphone portable, je peux capter par WAP les informations rédigées par mon fournisseur, Orange World. J’y ai cherché des nouvelles de la manif de mardi et de la reprise de la discussion sur la Bolkestein. Je les ai trouvées sous le titre : « Le retour du plombier polonais » !!

Ce matin, nous passons au vote. Il y a des centaines d’amendements. En fait, les amendement se regroupent en trois cas :

- Les amendements soutenus par les communistes et nous : ils plafonnent dans les 140 votes. Manifestement, quelques socialistes français, mais pas seulement, votent avec nous.

- Les amendements présentés par le PSE (et sur les quels nous nous rabattons quand les notres ou ceux des communistes sont battus), mais qui n’ont pas l’assentiment du PPE. Ils sont régulièrement battus d’une quarantaine de voix (genre : 340/380). Autrement dit, la coupure gauche-droite joue à plein, même si quelques députés de la droite française votent peut-être avec nous. Ce qui indique que les trois groupes « à la droite de la droite », qualifiés de « populistes », votent à la fois comme des nationalistes de l’Est qu’ils sont très majoritairement, et des libéraux qu’ils sont aussi, pour le principe du pays d’origine.

- les amendement du compromis PSE-PPE atteignent ou dépassent les 500 voix. Il reste quand même plus d’une centaine de voix contre : la plupart des libéraux-démocrates (par libéralisme), mais aussi les voix nationalistes des pays de l’Est en faveur du principe du pays d’origine.

Le résultat est particulièrement médiocre en ce qui concerne l’exclusion des SIEG. Comme prévu, si nous avons fait exclure explicitement les services d’intérêt général non marchands, un petit nombre de services marchands est exclu. Le rêve de faire voter une directive-cadre générale sur les services publics semble s’évanouir. Ce qui indique que si, un jour, s’ouvre une renégociation des traités, le résultat aura beaucoup de mal à faire au moins aussi bien, en la matière, que le TCE avec son article 122.

Finalement, comme prévu, les Verts votent Non, comme les communistes, et comme les socialistes français.

Quant au résultat final, ben, vous le connaissez. Voici le texte intégral.

Mais ce n’est qu’un début. Il faut encore que le Conseil vote, puis 2è et sans doute 3è lecture. Ce sera à partir d’un texte que la Commision s’est engagée mardi à réécrire en fonction des votes d’aujourd’hui...



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