Tiers secteur. Caricatures anti-Mahomet.
par Alain Lipietz

vendredi 10 février 2006

Samedi 4, Convention des Verts, à Nantes, sur l’Economie Sociale et Solidaire. Enormément de monde, j’ai compté jusqu’à 170 personnes ! Les débats sont de très haute qualité. Depuis mon rapport sur le tiers secteur pour Martine Aubry, et le Secrétariat d’Etat de Guy Hascoët, on sent que beaucoup de Verts se sont investis, au niveau municipal et régional, dans la responsabilité du développement du tiers secteur avec les moyens du bord. Nous avons maintenant les liens et l’expérience nécessaires pour développer à toute vitesse le tiers secteur, avec une loi cadre… si nous gagnons les élections de 2007.

Le soir, je suis l’invité principal de l’émission « 88 minutes » de Direct 8. Direct 8 est une de ces nouvelles chaînes de la TNT. Je ne sais pas si elle a beaucoup d’audience, mais c’est la troisième fois que j’accepte leur invitation : leurs jeunes journalistes sont craquant-e-s, et c’est vrai que la chaîne consacre beaucoup de place à l’écologie. Il s’agit de commenter l’actualité de la semaine avec plusieurs invités. Je dois d’abord me dépêtrer du va et vient des Verts qui ont refusé d’abord la réunion des partis de gauche prévue pour le 8, puis l’ont acceptée après en avoir fait préciser l’ordre du jour. Mais bien sûr, le gros débat de la semaine, c’est l’affaire des caricatures contre Mahomet.

Le second invité est le jeune compositeur afro-guyanais Xavier Harry. Il dit gravement : « La liberté d’expression, c’est la liberté de dire ou de ne pas dire. À partir de là, on a la responsabilité de publier ou de ne pas publier. Je ne suis pas sûr que ceux qui ont publié ces caricatures aient bien pesé leur responsabilité. » Je n’ai rien à ajouter.

C’est alors qu’intervient André Bercoff (alias Caton), de France-Soir. Il explique : « Oui, il y a un conflit entre liberté d’expression et responsabilité, mais les musulmans qui se sont sentis insultés pouvaient toujours porter plainte auprès de la justice. » Là, je rebondis : « Tu parles comme si on pouvait appliquer le modèle de l’affaire Dieudonné. Dieudonné à la télévision attaque les rabbins extrémistes. Les juifs qui se sentent insultés portent plainte, pour antisémitisme, devant la justice. Celle-ci les déboute en statuant que la plaisanterie n’était peut-être pas du meilleur goût, mais restait dans les clous de la loi française. Et les musulmans hors-Europe, ils portent plainte où ? Vous n’avez pas mesuré que maintenant l’info est globalisée ? ».

C’est alors qu’entre en scène l’avocat Arno Klarsfeld, plutôt connu pour ses positions pro-sionistes extrêmistes. Très tranquillement, il explique : « Si on avait représenté le prophète forniquant, ç’aurait été une attaque contre la religion, et là, en France, il n’y a rien à dire. Mais à partir du moment où on représente le prophète en terroriste, cela veut dire que tous les musulmans sont terroristes, et là, c’est de l’incitation à la haine raciale, et c’est condamnable. » A ma grande stupéfaction, je n’ai strictement rien à dire de plus. D’ailleurs, Arno Klarsfeld m’étonne encore quelques minutes plus tard : « Sur le conflit israélo-palestinien, je suis comme tous les Israéliens : évacuation des territoires occupés depuis 1967, formation d’un Etat palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale, et droit au retour s’appliquant sur le territoire de l’Etat palestinien. »

Après le débat, je fais observer à Klarsfeld qu’il est sur la position de l’appel de Genève, que je soutiens, mais qu’il galèje en disant que c’est la position de tous les Israéliens ! Quant à Bercoff (que j’ai connu à l’époque de Caton, mais dont je découvre sur le coup qu’il est d’origine libanaise), je lui cite en exemple l’esprit de responsabilité des lycéennes musulmanes françaises qui s’étaient préparées à affronter à la rentrée 2004 la loi Sarkozy mais qui avaient préféré tomber le voile par solidarité avec Florence Aubenas. Les journaux danois ou français qui s’amusent à exciter « la rue arabe » ou indonésienne savent parfaitement que, ce faisant, ils font fermer les ambassades européennes à Gaza et ailleurs, ce qui a un sens politique précis ; les uns s’en foutent, les autres savent exactement ce qu’ils font.

À part ça, le Charlie-Hebdo de mercredi 8 est excellent, drôle et en fait respectueux de la foi musulmane (mais pas des cons) !

Lundi soir, c’est le débat que Jacques Boutault (maire du 2e arrondissement) et moi organisions sur « Crise des banlieues, service public : les réponses du tiers secteur ». Cela correspondait à une demande exprimée fin novembre dernier par le collège exécutif des Verts. Pourtant, depuis presque un mois, j’ai dû me battre, sans succès, pour que les Verts assument publiquement cette initiative et en fassent la promotion. Jusqu’à jeudi soir dernier, c’était le black-out intégral… y compris sur le site Sinople ! Résultat, pas grand monde dans la salle, mais, heureusement, de qualité : des conseillers municipaux et régionaux confrontés au problème, le groupe « banlieues » des Verts… A la tribune, le plateau est remarquable. La psycho-sociologue Joëlle Bordet passionne l’auditoire. Le représentant des syndicats européens de police, Gérard Greneron, sans se lancer dans des diatribes, tend avec insistance la main aux politiques et aux associatifs. Les deux « tiers secteurs », Mounira Mehiri et Zinn-Din Boukhenaissi, illustrent de façon imagée les transformations des relations entre jeunes et adultes que permettent les services au public rendus par l’économie sociale et solidaire.

Crise des banlieues, service public : les réponses du tiers secteur
Zinn-Din Boukhenaissi, Joëlle Bordet, Alain Lipietz
Crise des banlieues, service public : les réponses du tiers secteur
Alain Lipietz, Mounira Mehiri, Gérard Greneron

Le lendemain, je reste à Paris, d’abord pour la manif contre le Contrat Première Embauche. Beaucoup de syndicalistes sont mobilisés, mais pas beaucoup de jeunes… Ca promet… Dans le groupe des Verts, des échos très favorables se sont déjà répandus sur la réunion de la veille, j’espère pouvoir en mettre très rapidement le décryptage intégral sur ce site.

Et puis surtout, je suis resté à Paris pour le pot de départ en retraite de Maryvonne, qui fut ma secrétaire au CEPREMAP, et finalement une des rares personnes à savoir décrypter mon écriture, depuis… 1972.

Maryvonne

Elle a pratiquement tapé tous mes livres, de Le tribut foncier urbain en 1974 jusqu’à une bonne partie de Refonder l’espérance, en 2003…

Le lendemain, retour sur Bruxelles où les négociations sur la directive services, de plus en plus débolkesteinisée, prennent un tour de plus en plus compliqué qu’il ne vaut même plus la peine de vous raconter au jour le jour. Ne relâchez pas la pression sur les députés !!!

Le soir, je croise pour la nième fois dans les couloirs (lobby) mon compatriote Josef Nemec, dirigeant polonais de la CES que nous avions invité aux Journées d’Eté des Verts à Grenoble, et qui est particulièrement chargé du coaching des eurodéputés en matière de Directive Services. « Mais tu es encore là !, lui dis-je – Je ne sors de ce bâtiment que pour aller dormir. — C’est du travaillisme ! — ???? — Du labourisme… — ???? — Du trade-unionisme… enfin, le contraire du léninisme ! c’est la courroie de transmission à l’envers, le syndicat qui dicte sa politique au parti ! — Ah ! oui. Enfin, j’espère ! » Nemec parle un excellent français, mais il m’a fallu un certain temps pour retrouver le langage marxiste-léniniste de notre jeunesse….

La nuit, j’achève une mise à jour importante de mon texte sur Mallarmé, qui sera ce soir ou demain sur le site, ainsi que les photos du FSM de Caracas (pas trop tot !)



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