Bananes, Bolkestein… et revoilà la Constitution !
par Alain Lipietz

jeudi 12 janvier 2006

Tout d’abord, ami-e-s lecteurs et lectrices, tous mes vœux de bonne année ! Et quand je dis « vœux », il s’agit bien d’espoirs fragiles… L’année 2005 a été si terrible qu’on ne peut que souhaiter un peu d’amélioration pour cette nouvelle année : rien n’est résolu de la crise de nos banlieues, nous semblons cloués dans l’Europe de Maastricht-Nice, rien n’est résolu des périls qui s’accumulent dans la partie la plus pauvre du Tiers monde et la conférence de Hong Kong n’annonce, pour elle, rien de bon, et, c’est tout dire, même la sortie d’Ariel Sharon apparaît comme une catastrophe ! Nous nous acheminons vers un monde de plus en plus terrible, et seule la conscience historique nous assure que cela pourrait aller mieux…

J’ai tout de même pris quelques petites vacances autour d’une invitation des amis Verts guadeloupéens qui présentaient leurs vœux à la presse le 2 janvier, en même temps que leur projet pour la création d’emploi en Guadeloupe à partir de l’environnement. À ce titre, j’étais invité à présenter notre conception du tiers secteur.

J’étais déjà venu en Guadeloupe il y a 4 ans, et j’avais été impressionné par l’extrême activité de nos camarades Verts : ce militantisme fut bien récompensé par les 47% de leur liste aux élections européennes ! À 47%, on commence à avoir de sérieuses responsabilités.

Une autre raison de mon intérêt pour la Guadeloupe, c’est évidemment… les bananes ! J’avais lu dans Le Parisien la longue plainte des Békés (riches créoles) guadeloupéens producteurs de bananes : la fin des quotas au 1er janvier 2006 allait les ruiner. Comme on sait, je suis devenu l’intermédiaire parlementaire entre les pays de la banane-dollar et les pays de la banane euro, et je passe une partie de mon temps à expliquer aux premiers (Equateur, Colombie) que les seconds sont plus pauvres qu’eux (la zone ACP) ou obéissent à des règles sociales et environnementales plus sévères (les régions ultra-périphériques de l’Union).

Patatras ! J’apprends en arrivant que les Verts guadeloupéens sont mobilisés contre une scandaleuse pollution d’une grande partie des terres cultivables de Basse-Terre par l’usage d’un poison chimique dans les bananeraies. Il s’agit d’un des « douze salopards » (les pesticides les plus difficiles à éliminer et les plus dangereux) : le chlordécone (un nom pareil, ça ne s’invente pas !). Libération du 6 janvier y consacre d’ailleurs une excellente double page d’Eliane Patriarca, citant le combat d’Harry Durimel et des Verts guadeloupéens. Face à l’ampleur des procès à intenter, ceux-ci ont décidé d’inviter chaque Guadeloupéen à verser 1 euro pour financer l’énorme bataille juridique qui s’annonce…

Retour à Bruxelles, retour à la Bolkestein. Au Parlement européen, on en est aux derniers réglages. Rappelons ce qui semble acquis depuis le vote de la Commission du marché intérieur : la législation sociale et le respect des conventions collectives ne sont pas concernés par la directive « services », et le contrôle sera de la responsabilité du pays d’activité et non pas du pays d’origine. Par ailleurs, la droite refuse d’exclure le principe du pays d’origine et d’exclure les services publics du champ de la directive. Mais la droite exclut quand même l’application du principe du pays d’origine dans le cas des services publics…

En face, la gauche syndicale et politique européenne (dans une étroite collaboration qui ne s’est pas démentie depuis un an) se bat pour exclure de la directive tous les services publics et refuse le principe du pays d’origine pour réaffirmer le principe selon lequel on doit appliquer les lois du pays où s’exerce l’activité de service. Sur ce point, en Commission du marché intérieur, les communistes et les députés de droite français (l’UMP Toubon et l’UDF Fourtou) ont rejoint la droite contre l’amendement des Verts et des socialistes. Mais une forte mobilisation populaire peut encore amener des députés français (de droite ou communistes) à changer leur position.

Au salon des députés, j’ai une vive altercation avec Francis Wurtz, président du group communiste (la GUE), que j’aime bien. Naturellement, celui-ci fait valoir que l’amendement de la gauche (pourtant co-rédigé avec les syndicats !) n’est pas suffisant, mais que « bien entendu » s’il y avait un risque qu’il ne passe pas en plénière, à titre personnel, lui le voterait. Renseignement pris, il semble qu’en effet les communistes, sous la pression des syndicats, commencent à se diviser, une partie rejoignant le combat de la gauche politico-syndicale européenne.

En fait, cette attitude se retrouve dans le sabotage de la mobilisation en France par les communistes. Deux pétitions circulent en effet avec difficulté, tant le mouvement social est démobilisé depuis le 29 mai 2005. Les députés européens reçoivent au compte-goutte la pétition d’Attac et la pétition initiée par les Verts et les Socialistes, Ensemble, inversons la directive Bolkestein. Toutes les deux nous demandent évidemment de nous battre pour amender la directive dans le sens que je viens d’indiquer.

Mais le Collectif du 29 mai, animé principalement par les communistes et les trotskistes, a une toute autre ligne. Il refuse d’amender la Bolkestein et demande, non pas aux députés élus par les citoyens, mais… à Jacques Chirac de s’opposer purement et simplement à l’adoption d’une directive « services », ce qui est impossible !

Pourquoi s’adresser à Chirac plutôt qu’aux élus ? Les communistes considèrent-ils que Chirac est mieux élu (19% au premier tour, et victoire sans conviction face à Le Pen au second tour en 2002) que les députés européens élus à la proportionnelle en 2004 ? Bien sûr que non. Mais, pour les communistes, s’adresser aux élus européens serait déjà accepter l’Europe. Or, toute leur politique depuis cinquante ans est de s’opposer à la construction européenne et de ne pas reconnaître son existence. Il est donc logique qu’ils cherchent à rendre l’Union européenne la plus néfaste possible, en votant contre le TCE pour maintenir Maastricht-Nice, en refusant d’amender la Bolkestein pour qu’elle soit la plus terrible possible. Et ils présentent le Président de la République Française comme le seul rempart contre l’horreur économique qui déferle de l’Europe.

Le plus drôle, c’est que cette tactique aberrante est présentée à l’issue d’une année qui fut soi-disant une année d’étude des traités européens par les masses populaires ! Or, tou-te-s celles et ceux qui ont suivi un peu le débat constitutionnel, comparant paragraphe par paragraphe le traité actuel et le TCE, savent que la France n’a aucun moyen, à elle seule, de s’opposer à la directive Bolkestein, qui dans les deux cas est adoptée en co-décision et à la majorité.

Il est vrai qu’au printemps dernier, les pays qui s’opposaient en Conseil européen à l’adoption de la Bolkestein étaient juste au-dessous d’une minorité de blocage, et auraient eu cette minorité de blocage si le TCE avait été adopté (et probablement cela aurait suffit pour bloquer la directive en deuxième lecture, après le 1er novembre 2006, date prévue pour l’entrée en vigueur de la Constitution ). Mais le 29 mai, et surtout les élections allemandes, ont changé la donne. Le 29 mai, le rejet du TCE a drastiquement diminué le poids des grandes nations s’opposant en Conseil à la directive Bolkestein (l’Allemagne, et surtout la France qui aurait pesé 12% des votes en Conseil selon le TCE mais pèse seulement 9% selon le traité de Nice).

Par ailleurs, les élections allemandes, tout en révélant qu’une majorité des Allemands restaient à gauche, ont vu l’apparition d’un bloc de 10% de députés de gauche refusant de s’allier avec les Verts et la sociale-démocratie, poussant cette dernière dans les bras d’une grande coalition avec la démocratie chrétienne. Et, bien entendu, alors que la coalition SPD-Verts refusait la Bolkestein, la nouvelle coalition CDU-CSU-SPD, sous la houlette d’Angela Merckel, est prête à accepter la Bolkestein moyennant quelques amendements.

Tout va donc dépendre de la mobilisation des citoyens et des travailleurs, leur capacité à faire pression sur leurs élus (je veux parler des élus au Parlement, car le gouvernement français soutient déjà en Conseil les amendements de la gauche) , et enfin, de la pression des syndicats… sur le groupe communiste. Vote en plénière le 14 février : mobilisation générale !

Bonne nouvelle en revanche sur le front de la Constitution : moyennant un compromis avec les grands partis, le rapport Voggenhubber-Duff a fini par passer en Commission constitutionnelle, il va donc être mis aux voix en plénière. Mais le compromis qu’il a fallu concéder aux grands partis (PSE et PPE) est assez dangereux. Il met sur le même plan, comme deux débouchés positifs possibles de la relance du processus constitutionnel, soit un ré-examen du texte avec une date limite aux élections européennes de 2009, soit… l’adoption du texte initial du TCE par les pays n’ayant pas encore voté. On sait que cette dernière position est celle de la plupart des pays ayant déjà voté Oui (ils représentent plus de la moitié des pays, représentant plus de la moitié de la population européenne), et en particulier la position des socialistes espagnols qui, eux, ont triomphalement remporté leur référendum.

En réunion de groupe, je souligne que si une telle formulation venait à être adoptée, cela tuerait définitivement le processus constitutionnel, car il y a peu de chances que les Français ou les Hollandais acceptent de revoter le même texte. Nous déposerons donc un amendement remplaçant l’expression « adoption du TCE » par : « adoption du noyau constitutionnel du TCE » (c’est-à-dire les parties I, II et IV).

Ce qui donnerait in english :

27. Considers that a positive outcome of the period of reflection would be that the current text can be maintained, although this would only be possible if accompanied by significant measures to reassure and convince public opinion ;

27 bis. Considers, however, that if the outcome of the period of reflection is that the current text has to be improved in order to renew consensus and facilitate ratification, the 2004 Constitution should in any case be used as the single basis and that its constitutional core should be retained ;

27 ter. Urges, further, that if it is decided to revise the text extensively, a constituent mandate should be agreed for a revision process to be undertaken during 2008 ;

31. Demands in any case that every effort be made to ensure that a constitutional treaty enters into force during 2009, and suggest that either referendums or consultative ballots be held across the EU at the same time as the next European Parliamentary elections ;

L’amendement vert étant le § 27bis. A suivre !



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