L’Humanité
Défendre lucidement les retraites par répartition

15 avril 1999 par Alain Lipietz

Le rapport Charpin a un premier grand mérite : il écarte le spectre des fonds de pension, cette forme de retraite où chacun croit " cotiser pour soi ", et en fait prête son épargne à des spécialistes de la spéculation pour faire " fructifier son magot ". Or cette technique est dangereuse.

Dangereuse pour l’économie : elle place les entreprises à la botte des spéculateurs. Dangereuse pour les retraités : que survienne un krach, et ils sont ruinés ! Dangereuse pour les salariés : ils sont condamnés à se serrer la ceinture pour payer les retraites de leurs parents, en espérant demain pouvoir exploiter leurs propres enfants ! Car de toute façon, les retraites sont prélevées sur le produit national de la même année. La retraite par capitalisation organise ce prélèvement comme un conflit entre les jeunes et les vieux, orchestré par les spéculateurs.

Mais attention : la France est déjà en fait le deuxième pays au monde (après les États-Unis, avant la Grande Bretagne) pour la capitalisation. En France, cela s’appelle l’Assurance-Vie, à qui l’on a attribué d’énormes avantages fiscaux. Sagement, la majorité plurielle a commencé à rogner ces avantages en faisant cotiser les contrats d’Assurance-Vie à la Sécurité Sociale, sauf dans le cas où ils seraient investis dans les entreprises françaises (" contrats DSK "). C’est astucieux, mais on peut faire mieux : il faut organiser de vrais fonds d’épargne salariée, cogérés par les syndicats, car il est légitime que les salariés les plus préoccupés se constituent une épargne en sus de leur retraite.

Mais justement il est impératif de défendre la " vraie " retraite, celle à la répartition, la plus sûre et la plus solidaire. C’est le système actuel : chaque année, on cotise pour les anciens, et ces cotisations nous donnent des droits sur les cotisations de nos enfants au moment de notre retraite. La solidarité entre les générations est ainsi assurée dans la transparence, sans spéculation. Mais il va y avoir de vraies difficultés.

D’abord, à partir de 2005 et pendant une quinzaine d’années, les grosses générations nées après 1945 vont partir à la retraite et seront remplacées sur le marché du travail par des générations moins nombreuses. Le rapport Charpin s’en inquiète, pourtant cela va faire baisser le chômage ! Et si la France " manque de bras ", ce sera une excellente occasion pour offrir enfin à toutes les femmes de vrais emplois, à plein temps (mais réduit à 32 heures ou 30 heures !), avec de vraies carrières, et des équipements pour aider les couples à concilier vie de famille et vie de travail. Et s’il manque encore des bras ? on fera, comme toujours, appel à l’immigration, ce qui implique de reconnaître enfin les droits des immigrés.

Le vrai problème, c’est l’allongement de la vie : une forme automatique de gains de temps libre par rapport au temps travaillé. Inutile, pour financer ce temps libre à la retraite, d’augmenter la durée de cotisation : cela ne ferait que relancer le chômage ! Il suffira, les calculs le montrent, de consacrer chaque année un quart des gains de productivité aux retraites. Pour que ce partage soit général, il devra être prélevé à la source, sur la valeur ajoutée des entreprises.

Pendant les discussions du rapport Charpin, les syndicats n’ont pas nié les problèmes. Simplement, ils n’ont pas voulu suivre la logique pessimiste du rapporteur. Il leur revient maintenant de défendre avec fermeté les solutions alternatives : reconnaître pleinement le droit de toutes les femmes à l’emploi et à l’indépendance économique, reconnaître l’apport de l’immigration, imposer le principe que les gains de productivité servent à financer le temps libre. Dans ce combat, ils trouveront les Verts à leurs côtés.



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