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Evita Chavez ?


mardi 19 mars 2013

Le débat sur le bilan de Chavez et l’élection d’un pape argentin braquent brusquement l’attention de la gauche française sur les particularités, « l’idiosyncrasie » des débats politiques en Amérique Latine. En particulier : sur le catholicisme latino et sur le péronisme argentin, deux étiquettes qui ont (...)


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Evita Chavez ?

jeudi 21 mars 2013

Cher Alain,

ton analyse comparative sur Chávez et Perón/Evita me paraît tout à fait juste et pertinente. J’écrivais moi-même dans mon bouquin en 2007 : « Chávez prétend être tout à la fois Perón et Evita, Fidel et le Che, pouvoir et contre-pouvoir symbolique, chef du gouvernement et recours des humiliés et des offensés contre les abus de la puissance publique ». Mais en fait, je me référais plutôt à la nature du charisme du leader tandis que tu appliques aussi cette comparaison aux politiques sociales, ce que je trouve fort suggestif : welfare corporatiste institutionnalisé contre « programmes sociaux compassionnels ».

Je souhaiterais apporter toutefois quelques nuances à ta description, non pas tant comme critique que sous forme d’hypothèses ou de pistes de travail que je souhaiterais soumettre à ton jugement d’économiste.

D’abord, peut-on vraiment dire que Chávez ne fait pas du welfare social-corporatiste classique essentiellement parce que « ce n’est plus la saison » ? Je ne suis pas spécialiste de l’analyse et de l’évolution des politiques sociales, mais que je sache, au Brésil, en Argentine, les gouvernements plus ou moins progressistes actuellement au pouvoir combinent la modalité subsides focalisés (effectivement plutôt liés à la « politique sociale du libéralisme », comme tu le dis) à une politique de consolidation et d’amplification de l’État social embryonnaire ou préexistant (dans la santé par exemple au Brésil).

En tout cas, leur politique sociale n’a certainement pas le caractère d’opérations de commando improvisées et passablement désinstitutionnalisantes qui est si frappant au Venezuela. Même Rafael Correa, en Équateur, dont le style idéologique et institutionnel est hélas de plus en plus proche de celui du chavisme, applique sur le plan des programmes sociaux un mélange similaire de politiques de subsides et de construction d’éléments de welfare institutionnalisé.

Il y a vraiment une spécificité, et même une énigme, du chavisme de ce point de vue là. Et un niveau de gabegie, d’inefficience et de chaos qui est franchement surréaliste, mais qui a bien un caractère systémique. Un des problèmes des analyses « pondérées » d’observateurs ou de chercheurs en sciences sociales qui ne veulent ni démoniser le chavisme (ils ont raison, il y a cent fois pire dans la vaste gamme des régimes politiques imprésentables), ni l’exalter aveuglément (comme certains politiciens en mal de mystique anti-libérale bon marché en France), c’est qu’ils ont du mal à aller au-delà de la distribution des bons points et des mauvais points, genre : « le social, plutôt bien ; la gestion économique, plutôt mal ». Et même lorsque la perversion du système pétro-rentier et la « maladie hollandaise » sont mentionnées, cela reste à un niveau assez générique. Le problème, c’est que le chavisme en tant que formation politico-idéologique fait lui aussi système de façon sui generis et aggrave considérablement les défauts du modèle rentier.

En 2005, j’avais interviewé les ouvriers de Venalum et d’Alcasa, dans le fameux pôle industriel de Ciudad Guayana, et ils manifestaient déjà à l’époque leur malaise et leur inquiétude face à nombre d’aspects de la gestion bolivarienne. La problématique économique guyanaise est peu connue à l’extérieur, mais elle est cruciale parce que Ciudad Guayana est à la fois le siège de la seule grande industrie moderne non pétrolière du Venezuela, le bastion de la seule vraie classe ouvrière « classique » et le berceau d’un syndicalisme de lutte indépendant et de l’émergence d’une nouvelle gauche d’origine syndicale dans les années 1980 (un peu comme jadis l’ABC de Sao Paulo avec la CUT et le PT).

Dans un livre remarquablement bien documenté, le correspondant du quotidien britannique The Guardian (pas exactement un bastion de la réaction en matière de presse) fait une description de la gestion chaviste du pôle industriel guyanais qui a de quoi faire dresser les cheveux sur la tête1, et dont mes contacts dans la gauche syndicale vénézuélienne confirment malheureusement la véracité. C’est un peu un mélange d’industrie roumaine sous Ceaucescu et d’industrie extractive zaïroise sous Mobutu, avec patrons bolivariens corrompus allant jusqu’à voler et vendre au marché noir la production, et ouvriers chavistes faisant régulièrement grève contre les patrons chavistes pour protester contre leurs abus (les conflits entre syndicalisme « officiel » et dissidences syndicales sont récurrents à Ciudad Guayana).

En outre, une bonne partie de ces usines – dont certaines ont été nationalisées, ou renationalisées, tandis que d’autres n’avaient jamais été privatisées – ont connu une chute brutale de leur capacité productive, de plus de 60% à moins de 30% dans certains cas, entre la gestion publique ou privée antérieure et la gestion bolivarienne. De fait, nombre d’ouvriers, y compris chavistes, regrettent amèrement leurs anciens directeurs publics ou privés. Or on sait que la catastrophe guyanaise n’est pas un cas isolé, mais qu’il s’agit bien d’une logique systémique de gabegie, de sous-investissement et d’incompétence criminelle qui a des conséquences à tous les niveaux, y compris celui des « misiones », des conseils communaux et autres réalités liées aux quartiers populaires.

Ce n’est pas seulement la droite vénézuélienne mais nombre de militants de la gauche chaviste et des mouvements populaires bolivariens qui admettent ouvertement que la gouvernance chaviste se caractérise par « la généralisation de la culture et de la pratique de l’inefficience dans un contexte d’improvisation et de désignation à des postes de responsabilités de personnages médiocres, de sycophantes et de délinquants »2. Or, si ces sycophantes et ces délinquants sont une catastrophe pour l’économie (et le social), ils sont parfaitement fonctionnels pour un système politique fondé sur un caudillisme extravagant et privilégiant la loyauté personnelle la plus servile sur la cohérence programmatique, la compétence technique et l’« accountability » démocratique.

Je ne crois pas non plus que la fracture entre ce que tu appelles la « vieille gauche » vénézuélienne et le chavisme relève purement d’une haine à base socio-psychologique ou factionnelle. Il y a des tas de gens originaires du MAS, de La Causa Radical ou d’autres secteurs de la gauche pré-chaviste qui ont sincèrement et constructivement voulu participer au processus bolivarien en choisissant de surmonter leur répugnance envers nombre de ses aspects idéologico-caudillistes, et ce pour pouvoir concrétiser leurs espoirs de transformer le pays dans tel ou tel domaine. Ce qui a fini par les dégouter, parfois au terme de nombre d’années de patience et de loyauté, c’est justement le niveau absolument ingérable de gabegie/inefficience/corruption et de bureaucratisme complètement erratique et servile.

Le livre accessible en ligne La revolución como espectáculo – également traduit en français chez Spartacus3 –, bien que rédigé par un militant libertaire vénézuélien, est une lecture fort utile de ce point de vue, et aussi une agréable surprise, parce qu’au lieu de simples diatribes autoritaires et antimilitaristes (ce qu’on pourrait attendre de la part d’un auteur anarchiste), il comporte de longues analyses très sérieuses d’une série de politiques publiques et de leur mise en oeuvre.

Enfin, je serais curieux d’avoir ton opinion sur une hypothèse que je formule dans un entretien publié par l’excellente Revue des Livres4 (achetez-là, abonnez-vous, c’est vraiment une source remarquable de « food for thought » progressiste) qui développe et raffine considérablement ma tribune du Monde en octobre dernier5 :

« … le Venezuela est un cas d’espèce assez insolite. Premièrement, la politique de nationalisation du régime a fréquemment ciblé telle ou telle entreprise pas nécessairement vitale, ou bien tel ou tel canard boiteux, pour des raisons étroitement contingentes et politiciennes. Les résultats ont le plus souvent été désastreux, ce qui a contribué à renforcer l’idéologie néolibérale en paraissant démontrer que la gestion de l’État est systématiquement inefficace et corrompue – alors même qu’il y a des entreprises publiques qui fonctionnent fort bien ailleurs en Amérique latine. Le secteur nationalisé bolivarien (notons que le pétrole était déjà nationalisé) a réussi l’exploit de passer directement à une phase de stagnation de type brejnévien sans connaître la phase de productivité basée sur l’accumulation extensive qu’a tout de même vécu l’Union soviétique à l’époque de l’industrialisation stalinienne. Deuxièmement, plus qu’un modèle socialiste, on pourrait voir dans le Venezuela de Chávez un nouvel exemple de développement socio-économique de type ‘‘national-populaire’’, avec des précédents classiques en Amérique latine. Pourtant, ce qui le différencie étrangement d’expériences du type de celle de Vargas au Brésil ou Perón en Argentine dans les années 1940 et 1950 – à part son caractère ultra-rentier et son niveau d’inefficience abyssal (une inefficience ‘‘plus redoutable que l’Empire’’, a avoué une fois Chávez) –, c’est qu’il s’agit d’un national-développementisme sans promotion d’une bourgeoisie nationale ni alliance avec elle. Pour l’essentiel, Chávez fait du développement ‘‘national’’ avec le grand capital brésilien, les multinationales chinoises et le patronat colombien. »

C’est finalement peut-être en cela, je crois, que la rupture avec le péronisme et le « développementisme » classique est la plus criante et la plus intrigante

Enfin, voilà mes réflexions pour l’instant. Pour finir, tu fais bien de mentionner les Montoneros et Ezeiza, et il va y avoir probablement beaucoup de ça, mais plutôt dans les rapports avec les groupes plus ou moins armés de l’ultra-gauche chaviste (quartier 23 de Enero et autres « territoires libres ») qui risquent de s’opposer à d’inévitables mesures d’austérité économique et peut-être de conciliation politique que va sans doute devoir prendre le gouvernement Maduro en raison du déficit, de la dette et de sa moindre légitimité charismatique. Tu noteras aussi cette étrange fixation morbide sur le destin des cadavres des leaders dans les courants « national-populaires » latino-américains, avec les incroyables aventures post mortem de la dépouille d’Eva Perón6, le désenterrement de Bolivar par Chávez pour voir s’il avait été empoisonné, et maintenant les péripéties que va connaître son propre cadavre. Il y aurait une belle étude anthropologique comparative à faire à ce sujet.

Amitiés.

Marc Saint-Upéry

Notes :

1 Rory Carroll, Comandante : Hugo Chávez’s Venezuela, Penguin, Londres, 2013.

2 Analyse du collectif bolivarien « El Lumpen », http://www.rebelion.org/noticia.php?id=157780

3 http://wri-irg.org/system/files/public_files/revespectaculo_web.pdf ; traduction française : Rafel Uzcátegui, Venezuela : révolution ou spectacle ? Une critique anarchiste du gouvernement bolivarien, Spartacus, cahier n° B181, février 2011 ; cf : http://america-latina.blog.lemonde.fr/2012/10/04/une-critique-de-gauche-du-venezuela-de-chavez/

4 « Venezuela, une révolution sans révolution ? », http://www.revuedeslivres.fr/venezuela-une-revolution-sans-revolution/

5 « Un antimodèle à gauche », Le Monde, 4 octobre 2012, http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/10/04/un-antimodele-a-gauche_1770208_3232.html

6 Cf. Tomás Eloy Martínez, Santa Evita, 10/18, Paris, 1998.


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