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par Alain Lipietz | 11 juillet 2001

La tribune
Fabius gère extrêmement mal la politique
La Tribune (Delphine Girard) : Dominique Voynet quitte aujourd’hui le gouvernement. Votre opinion sur son bilan ?
Alain Lipietz. Sur l’environnement, son bilan est positif. Elle a obtenu des victoires significatives et symboliques, au premier rang des quelles l’arrêt du Superphénix, le moratoire sur les OGM, la fin du tout-incinérateur, etc. Elle a surtout réussi une stratégie d’encerclement et de délégitimation des gros lobbies, notamment celui du nucléaire, et de démocratisation participative de la gestion des territoires.

Sur le plan politique, le bilan est plus mitigé. Les socialistes ne se sont pas "écologisés" alors qu’on pouvait croire, au début de la législature, qu’ils étaient prêts à défendre certains axes des Verts. Toutes les victoires obtenues par Dominique Voynet ont été vécues comme des concessions politiques faites aux Verts. Il n’y a pas eu d’adhésion du PS à un projet de société poursuivant l’objectif du développement durable, pour le bien de la société et des générations à venir.

Quel jugement portez-vous sur la politique économique menée par Lionel Jospin ?

C’est un keynésianisme mâtiné d’hétérodoxie. Sous notre pression, il s’est ouvert en 1997 à la réduction du temps de travail et au tiers secteur (avec les emplois-jeunes).

Passé les deux premières années, la composante hétérodoxe s’est enlisée. Les 35 heures n’ont pas été étendues à la fonction publique et aux petites entreprises. La loi sur le tiers secteur, qui était une façon de transcender les emplois jeunes en créant un tiers secteur partiellement marchand, partiellement subventionné pour des activités de service à la communauté, n’a pas vu le jour. Martine Aubry m’avait demandé un rapport sur le sujet, pour préparer un projet de loi. Je l’ai fait [1]. Élisabeth Guigou était intéressée mais elle n’a pas réussi à convaincre Jospin.

La composante keynésienne du jospinisme a d’emblée été amputée de moitié avec le traité de Maastricht. Une politique keynésienne suppose de manier la politique monétaire en fonction de l’activité, en baissant les taux d’intérêt en période de récession et en les augmentant quand il y a surchauffe.. Or, pour la Banque centrale européenne, le taux de croissance potentiel est entre 2 et 2,5%. À 2,5 %, la BCE estime que l’économie est en surchauffe et qu’il faut donc augmenter les taux d’intérêt. La BCE tente en permanence de casser la croissance. Face à la toute puissance conférée par Maastricht à la BCE, Jospin n’a qu’une marge de man½uvre : la politique budgétaire. Cette arme, le Premier ministre l’a assez bien maniée. Il n’en a pas rajouté dans l’orthodoxie budgétaire, et a ramené lentement le déficit à 1,5%. Aujourd’hui, on devrait remonter vers les 3% de déficit, comme l’y autorise le pacte de stabilité, pour surmonter le choc récessif américain.

Et l’action de Laurent Fabius ?

Fabius gère extrêmement mal la politique budgétaire. Alors qu’il aurait dû réduire plus rapidement le déficit quand la croissance était à 4%, il a préféré redistribuer la “ cagnotte ” (qui n’était rien d’autre qu’une réduction du déficit anticipé !) sous forme de baisses d’impôts. C’était une erreur : il faut toujours se désendetter quand on le peut. De plus, les baisses d’impôt ont elles-mêmes été très mal gérées. Elles ont été concentrées sur les cadres supérieurs alors que les salariés pauvres avaient besoin d’augmenter leur pouvoir d’achat. L’ambition de la majorité plurielle est de réussir l’alliance entre les classes moyennes et les classes populaires. Cette stratégie, Fabius va la faire échouer en privilégiant surtout les intérêts des classes moyennes supérieures.

Que faudrait-il faire pour relancer la croissance ?

Il aurait fallu aligner au 1er juillet le Smic horaire sur le smic mensuel, de telle sorte que les 35 heures soient payés au même prix que les 39 heures de 1998.Il faut aussi réaliser sans attendre l’abattement sur la CSG (devenu “ prime à l’emploi ”), et caler le budget 2002 sur un déficit de 3%. Le gouvernement a là une marge de manoeuvre de1,5 point. Il doit l’utiliser. Mais nous plaidons aussi pour la baisse de certaines dépenses : il ne faut construire ni le 4ème sous-marin nucléaire, ni le 2ème porte-avion nucléaire, ni le laboratoire laser d’essais nucléaires. Que ceux qui veulent supprimer des postes de fonctionnaires nous disent lesquels...

Vous étiez pionnier dans le combat pour les 35 heures. Vous êtes satisfait du résultat ?

Le résultat, en termes d’emplois, de ce quia été fait, est spectaculaire, et une très large majorité affirme que cette reforme a amélioré la qualité de la vie. Mais on aurait pu faire plus et mieux. La réforme a été mal conduite. Le PS et les syndicats n’ont jamais défini clairement qui devait payer les 35 heures. Nous, nous plaidions que la réduction du temps de travail devait conduire à un partage des emplois et des revenus. Nous demandions que le pouvoir d’achat soit maintenu jusqu’au plafond de sécurité sociale (deux fois le Smic). Au delà, les salariés devraient accepter une baisse de salaire, en échange du temps gagné, et les employeurs accepter une légère baisse de rentabilité. Cette voie n’a pas été suivie : on a gelé le salaire de tout le monde, et il a été rongé par le choc pétrolier. Nous défendons toujours cette position, pour la marche aux 32 heures : il faut aujourd’hui un vrai débat pour définir qui doit maintenir son revenu et qui doit partager le sien.

Le deuxième débat concerne les cotisations sociales. A partir du moment où la réduction du temps de travail fait diminuer le chômage, elle doit permettre de baisser les cotisations. Ce n’est pas à l’État et au contribuable de payer les cotisations-employeurs.

Faut-il aller plus loin dans la réduction du temps de travail ?

Bien sûr, car la composante “ croissance ” de la réduction du chômage va s’éteindre. Or je ne me résigne pas au chômage de masse. Cinq pays d’Europe ont moins de 4% de chômeurs (2,3 % aux Pays-Bas) : c’est mon objectif !

Il est nécessaire d’abord de parachever les 35 heures, en les étendant à la fonction publique avec les emplois correspondants, et aux entreprises de moins de 20 salariés. De sérieux encouragements fiscaux sont à mettre en place pour les très petites entreprises (moins de 5 salariés). Mais il faut aller plus loin encore en lançant la marche vers les 32 heures. Sous quelle forme ? Semaine de quatre jours, réduction journalière ou congés supplémentaires ? C’est à négocier, mais il me semblerait plus ergonomique de passer à la semaine de 4 jours que de rallonger les congés payés par “ annualisation ”.

Candidat des Verts à la Présidentielle, quelles grandes réformes allez-vous défendre ?

Si nous n’avons pas réussi à changer culturellement nos partenaires gouvernementaux, les électeurs, eux, ont changé. Le plus spectaculaire est le refus de la “ malbouffe ”, avec la remise en cause de l’agriculture intensive. Ce sera l’un de nos grands combats. La lutte contre l’effet de serre est une autre priorité. La législature qui vient est la dernière avant l’échéance de Kyoto. Or il faut appliquer le protocole de Kyoto, même si les Américains ne le font pas, car la crise climatique va faire basculer l’économie et la géopolitique du XXIè siècle. Pour éviter le risque symétrique (le nucléaire), il faut accélérer la révolution des transports en commun, des économies d’énergie et des énergies douces. Et défendre aussi l’écotaxe, car elle laisse le choix aux citoyens : libre à eux de ne pas la payer… en roulant moins vite !

Dans le domaine social, à côté des 32 heures, une réforme me semble prioritaire : une grande loi sur le tiers secteur. Nous entrons dans une société où tout ce qui est automatisable sera automatisé. L’emploi va se concentrer sur le relationnel et les services à la communauté. Pour cela, il faut créer un tiers secteur à la fois marchand et dispensé de prélèvements obligatoires, voire subventionné, sous forme associative ou coopérative.

Enfin, il faut aller résolument vers l’Europe fédérale pour “ domestiquer ” la mondialisation libérale.

Quel avenir voyez-vous pour la majorité plurielle ?

Il faut la reconduire, mais elle ne gagnera que si les Verts y occupent une plus grande place. Tout va se jouer sur la capacité à s’accorder sur un programme commun pour les prochaines législatives, à la mesure de l’urgence sociale et des menaces sur l’environnement. Il faut des positions communes sur les grands problèmes, notamment face à l’agriculture intensive, au nucléaire, au bloc BTP-pétroliers. Ces grands lobbies cherchent à bloquer un accord entre les Verts et la gauche, et faire triompher la droite. Si on n’arrive pas à refouler ces lobbies, si le PS nous propose un programme insipide, nous refuseront d’aller perdre ave lui…




NOTES


[1Pour le tiers secteur. Ed. La Découverte-La Documentation française, Paris, 2001.

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