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16 décembre 1999

ÉPARGNE SALARIALE ET RETRAITES : UNE SOLUTION MUTUALISTE
Globalisation financière et système de retraite
Colloque
L’objet de cette intervention est de situer le débat sur les retraites, qui possède de multiples facettes, dans le contexte de la mondialisation économique et plus précisément dans celui de la globalisation financière actuelle.

François Morin - Professeur à l’Université de Toulouse

De ce point de vue, nous voudrions formuler deux remarques liminaires :

1. Depuis 20 ans, la gestion des retraites par capitalisation a eu tendance à se développer un peu partout dans le monde avec, toutefois, des rythmes différents.

- Aux États- Unis, cette gestion a littéralement explosé à partir de 92- 93, avec la montée en force des fonds DC (Defined Contribution).
- En Allemagne, comme au Japon, la construction de fonds de retraites en entreprise s’est également développée, sur un rythme cependant moins rapide qu’aux USA.
- La France de ce point de vue fait exception, dans la mesure où les fonds gérées par capitalisation sont pratiquement inexistants.

2. Le développement de la gestion par capitalisation a été largement facilité par le processus de globalisation financière. Rappelons que ce processus est né au début des années 80 :

- Il a été largement impulsé par les États- Unis qui ont du faire face, à cette époque, à des déficits publics croissants, et par conséquent à la nécessité de les faire financer par des marchés financiers les plus larges possibles.
- Dans ce contexte, il faut rappeler que le processus de globalisation financière doit se comprendre comme le processus de décloisonnement de différents marchés :
- Marchés interbancaires et monétaires
- Marchés financiers (marché des obligations et marchés des actions)
- Marchés des changes
- Et marchés des produits dérivés.

Sur ces marchés globalisés, des acteurs "globaux" ont émergé depuis une dizaine d’années. Ce sont ces fameux "investisseurs institutionnels" qui gèrent actuellement des capitaux financiers considérables (aux USA 11 000 Mds USD) et dont l’essentiel provient de l’épargne salariale américaine à des fins de retraite.

Quelles sont alors les conséquences de cette globalisation financière et des nouveaux rôles acquis par ces acteurs globalisés ?

- Une première conséquence concerne les entreprises, leur actionnariat et leurs comportements stratégiques. Les effets sont à peu près bien identifiés, nous allons y revenir.
- Mais en second lieu, le jeu de ces acteurs soulève une série d’interrogations et de débats sur l’avenir de nos propres systèmes de retraite.

Ce sont sur ces questions que je terminerai - tout à l’heure - mon bref exposé.

Arrêtons donc un instant sur ces grands investisseurs internationaux et à l’impact de leur présence sur le comportement des entreprises.

- Ce sont ces investisseurs, faut- il le rappeler, qui ont été à l’origine de la propagation dans le monde entier des principes nouveaux de la "Gouvernance des entreprises", et de la "valeur actionnariale ".
- Ces normes ont été définies d’abord aux USA en 89- 90, en Grande Bretagne (rapport Cadbury) en 92- 93, enfin en France avec les deux rapports Viénot, celui de 1995 puis celui de 1999.
- Ce sont ces principes de gouvernance nouvelle - notamment la création de la valeur pour l’actionnaire - qui sont à la source de la diffusion des nouvelles normes de "rentabilités financières exigibles" à l’échelle internationale.
- Ces investisseurs attendent des entreprises une rentabilité financière de leurs investissements, selon les secteurs, qui s’étalent entre 15 % ET 25 %.
- Depuis environ 4 à 5 ans, les entreprises françaises se sont mises progressivement au diapason de ces nouvelles normes : toutes les entreprises du CAC 40, aujourd’hui, adhèrent au discours de la " valeur actionnariale ". Pourquoi ? Parce que ce sont ces investisseurs qui en sont aujourd’hui les principaux actionnaires.

Nous avons montré, dans un rapport récent remis au Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie ainsi qu’au Premier Ministre, que cette adhésion à cette nouvelle vision avait entraîné pour les entreprises françaises des changements multiples et considérables dans leur comportement.

Nous n’avons pas le temps, ici, de détailler ces changements, je signalerai seulement les principaux d’entre eux.

- D’abord, une transformation complète de l’information et de la communication vis à vis des actionnaires, et en particulier envers les investisseurs institutionnels.
- Ensuite, des modifications dans leur comportement stratégique avec recentrage sur les métiers principaux, élagage des activités périphériques, éventuellement scission d’entreprises quand les activités sont trop différentes.
- Des pratiques nouvelles de financement avec appel à l’effet de levier, ou bien le recours encore à des rachats d’actions : cette dernière pratique qui n’existait pas encore il y a trois ans en France et qui s’est développée en 1997 et surtout 1998.
- Enfin, les entreprises ont été contraintes de relever fortement leur taux de rentabilité économique afin de maintenir leur rentabilité financière, en pratiquant notamment des opérations de fusions et d’acquisitions. D’où la vague sans précédent de ces opérations depuis trois ans (avec un bond gigantesque entre 1997 et 1998 et qui s’est poursuivi en 1999).

Bref, en France, mais c’est vrai aussi ailleurs, les entreprises connaissent une véritable révolution de leur mode de management sous l’effet de ces nouveaux investisseurs qui sont fortement présents dans leur actionnariat (+ de 40 % des investisseurs étrangers sont présents en France au sein du CAC 40).

Je crois que l’on peut dire que le modèle français de détention et de gestion du capital qui reposait jusqu’à une époque récente sur le système des participations croisées, connaît aujourd’hui une véritable rupture dans son fonctionnement.

Nous passons ainsi d’une économie de c ?ur financier qui avait une certaine cohérence à travers les réseaux qui le maillaient, à une économie de marché financier qui est davantage soumise aux bourrasques de la globalisation financière. Seul point de résistance et de stabilité dans ce bouleversement, le pôle mutualiste : le Crédit Agricole et le Crédit Mutuel sont par exemple des actionnaires appréciés dans les firmes cotées. Ils peuvent en effet développer des visions long- termistes dans la mesure où ils ne connaissent pas de problème de contrôle de leur capital.

Cet état des lieux général peut nous amener maintenant à nous poser des questions sur l’avenir souhaitable de nos systèmes de retraite. Ces questions sont évidemment autant de thèmes, et de matière à débat.Nous voyons personnellement quatre grandes questions :

1 - La première est celle relative au type de prestations à offrir et de cotisation à demander (c’est une question qui s’adresse d’abord aux entreprises).

Faut- il aller vers un système de Prestations définies (Fonds DB) ou bien vers un système de Cotisations définies (Fonds DC) ?

- Je rappellerai, ici, que l’explosion des fonds de pension que l’on observe aux USA depuis 92 et 93 est liée à la montée en puissance des fonds de type DC (cotisations définies). Le risque dans ce système est entièrement supporté ici par l’épargnant et non par l’entreprise comme c’est par contre le cas pour les fonds à prestations définies.

- Il faut ensuite également bien comprendre ici que c’est parce que les investisseurs se livrent à une bataille féroce pour collecter l’épargne retraite que les normes financières internationales de rentabilité ont émergé.

- Le salarié apporte son épargne à celui qui lui promet la meilleure rentabilité de son placement, mais il supporte entièrement le risque en cas de mauvais résultats.

- On peut penser que ce mécanisme est extrêmement pernicieux tout en étant très efficace financièrement. Personnellement, je pencherai pour des fonds de type DB. Mais il doit y avoir ici un vrai débat.

- Ce dernier, concerne avant tout les entreprises. Dans quelle mesure sont- elles prêtes à assumer le risque lié à des placements financiers ?

2 - La deuxième question s’adresse aux pouvoirs publics.

Faut- il rendre les cotisations " obligatoires " ou pas ? (nous nous situons ici dans l’hypothèse d’un 3e étage de notre système de retraite).

Cette question renvoie à un débat de type macro- économique, à la fois très classique, et en même temps très complexe, qui oppose deux visions du rôle de l’épargne par rapport à la croissance économique.

En simplifiant :

- la vision libérale et néoclassique où l’épargne est l’élément moteur de l’investissement et de la croissance,
- la vision keynésienne où seul l’investissement est considéré comme le moteur de la croissance et, par voie de conséquence, de la formation de l’épargne.

Cette vision militerait, si l’on retient la perception keynésienne de la croissance, à rendre obligatoire les cotisations du troisième étage, dans la mesure où ce mécanisme ne diminuerait pas le potentiel de croissance économique de notre pays.

3 - La troisième question s’adresse plutôt aux investisseurs financiers, que pourraient être notamment les mutuelles, pour reprendre l’hypothèse de ce conclave.

- Ce qui est frappant aux États- Unis lorsque l’on regarde la façon dont s’organisent et se comportent les grands investisseurs, c’est le constat de leur très grande opacité.
- Ces grands investisseurs sont excellents lorsqu’il s’agit d’exiger des entreprises un maximum de transparence.
- Ils sont, par contre, complètement muets, s’agissant de leur propre gouvernance d’entreprise. Pourquoi ? Parce qu’ils sont gérés par des structures fermées, non cotées, non soumises à des informations de type obligatoire (c’est le cas par exemple des plus gros investisseurs comme Fidelity, Templeton, Vanguard...). Comme si être gestionnaire pour le compte de tiers les dispensait de toute obligation d’information sur eux- mêmes.
- Je crois que, de ce point de vue là, une gestion par les mutuelles peut être un élément de crédibilité réelle, à condition naturellement que non seulement l’information sur la gestion des fonds, sur les critères de placement soit réellement présente, mais aussi que l’information sur les structures de gouvernance de la mutuelle soit, elle aussi, bien transparente et bien diffusée.

4 - La dernière question s’adresse aux syndicats et partenaires sociaux

- Quels peuvent être leur rôle dans la construction d’un troisième étage ?
- Dans des systèmes de capitalisation complètement individualisés, comme les gestions de type DC aux États- Unis, leur rôle est inexistant.
- Mais dès lors que la collecte de l’épargne se réalise dans l’entreprise ("système fermé"), ou dans le cadre plus large d’une branche, ou bien encore par un système de mutualisation, les syndicats ont une vocation naturelle à représenter les intérêts collectifs des salariés.
- La question devient alors : jusqu’où doivent- ils être associés dans la gestion des fonds collectés ?
- Il semble alors que la bonne réponse doit être la suivante (mais attention, il s’agit d’un thème, matière à débat) :

- Il me semble ainsi que les partenaires sociaux doivent être associés à l’orientation de l’investissement financier et par conséquent, doivent être parties prenantes à le définition des critères de placement (comme par exemple des critères sociaux, financiers, éthiques, etc.).

- Mais ils ne devraient pas, semble- t- il, être associés à la gestion technique de ces placements. Car le risque alors serait celui d’une concentration probablement excessive des pouvoirs (à travers les droits de vote cumulés) entre les mains des organisations syndicales. Certains ne manqueraient pas d’y voir une nouvelle forme de "socialisation rampante" de l’économie !

En conclusion

Je crois que le débat sur les retraites ne peut pas complètement faire abstraction du contexte actuel :

- de la globalisation financière
- et du jeu des acteurs internationaux.

Dans les solutions que nous devons apporter, je pense, comme Alain Lipietz, que nous disposons de tous les moyens de bâtir un troisième étage de notre retraite,

Cet "étage surcomplémentaire" doit être un étage de solidarité où l’alliance entre mutualisme et syndicalisme pourra se concrétiser. Il devra également être au service non seulement des salariés mais aussi de l’économie française


Voir le plan du colloque.




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