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16 décembre 1999

ÉPARGNE SALARIALE ET RETRAITES : UNE SOLUTION MUTUALISTE
Retraites surcomplémentaires et mutualisation
Colloque
Cette réunion s’appelle conclave et non pas colloque, c’est un temps de mise au point dont les portes sont normalement fermées, d’après l’étymologie du mot, j’espère qu’il n’y aura pas besoin de s’enfermer en attendant que la fumée blanche sorte.

Vous savez tous ici que nous sommes à un tournant du débat en France sur l’avenir des retraites, et je dois dire tout de suite que le débat entre nous est relativement clos, sur la stabilité et la supériorité à terme, à long terme, du système de répartition.

Il est évident, pour nous, en France, qu’un bon système de répartition c’est ce qu’il y a de plus stable, pouvant s’adapter d’année en année à tout aléa démographique ou économique, c’est ce qui permet d’assurer, sur la base d’une confiance entre concitoyens, l’ajustement régulier des financements aux besoins, et donc c’est ce qui restera pour la France, le système principal des retraites.

Cela dit, plusieurs arguments ont été avancés par ceux qui, depuis quelques années, prônent l’introduction d’un système de fonds de pension à l’anglo-saxonne. La plupart de ces arguments ont été, à juste raison, récusés, certains toutefois méritent d’être examinés et c’est la raison de ce conclave, le fait qu’ils méritent d’être examinés ne signifiant évidemment pas que le fonds de pension à l’anglo-saxonne soit la réponse correcte à des questions réelles.

Alors les deux questions réelles étaient les suivantes :

Premièrement, l’évolution démographique et notamment l’allongement de la vie humaine, je dis bien notamment l’allongement de la vie humaine et non pas la baisse de la natalité, pose des problèmes. Alors ces problèmes on peut les simplifier en supposant qu’il y ait retour au plein emploi, tout le monde travaille de 20 ans à 60 ans, et on arrive à une espérance de vie de 100 ans, donc sur 40 ans d’activité, il faudra financer 40 ans de retraite donc ça fait 50 % du coût salarial, qui doit etre socialisé pour la retraite. C’est quelque chose qu’il faut accepter, il n’y a aucun problème, c’est une réalité mathématique, sauf à distribuer du cyanure à une certaine date aux retraités, ce résultat est strictement mathématique et totalement indépendant du taux d’emploi, du taux d’activité des femmes, de l’immigration, etc.

À partir du moment où la retraite prend une telle importance, et c’est l’argument fondamental en faveur d’un assouplissement du système de la retraite par répartition, tout le monde n’aura pas les mêmes demandes vis-à-vis de la retraite. Il y a ceux qui ont ou attendent une maison de leurs parents, ceux qui ont des enfants gentils qui s’occuperont d’eux, etc., etc., chacun doit pouvoir disposer d’une certaine flexibilité, sur les pourcentages marginaux, de ses vieux jours, d’où l’idée de retraite par points, de retraite à temps partiel, etc., etc. A ce moment là évidemment, quand on parle de retraite par points, une plus grande flexibilité que ce qu’impose le système par répartition est requis.

Deuxième argument, qu’il faut prendre en compte, c’est celui de la capitalisation de l’économie française. Alors il faut rappeler d’abord un certain nombre de vérités simples, que la France est déjà le deuxième pays de capitalisation, sachant que chez nous la capitalisation s’appelle l’assurance-vie, que cette assurance-vie n’a pas fait la preuve d’un investissement particulier vers le financement de l’économie française, encore moins des petites et moyennes entreprises, et encore moins des start-up, des petites et moyennes entreprises qui se lancent dans les investissements d’avenir.

Dans sa grande sagesse, le Parlement à l’appel du Ministre des finances, DSK, à voté in extremis en décembre 1997 une réorientation de l’assurance-vie, en rognant assez considérablement et justement sur les avantages fiscaux abusifs de l’assurance-vie sauf pour justement la part des contrats d’assurance-vie qui s’investirait dans les entreprises françaises, en particulier les start-up de haute technologie.

De ce point de vue là, une partie du chemin est déjà fait. Cela dit, les systèmes d’assurance, les systèmes de l’assurance-vie, est un système, comme d’ailleurs les fonds de pension anglo-saxons, dans lequel le salarié cotise et n’est plus maître de son argent qui est pourtant son salaire différé. Il n’est pas propriétaire, il n’a pas droit de regard sur l’argent qu’il a confié à une compagnie d’assurance et qui est investi.

Notre système d’assurance-vie ne diffère pas d’un fonds de pension anglo-saxon de ce point de vue là. Or, au même moment, tout un débat a lieu sur les effets, en France de la nocivité des fonds de pension. C’est-à-dire le fait que les salariés qui sont eux mariés à l’entreprise, même si l’entreprise ne se considère souvent pas mariée à ses salariés, les salariés français vont commencer à voir l’effet de la logique des fonds de pension sur la gestion des entreprises françaises. Nous allons avoir dans quelques minutes une intervention sur ce sujet mais les événements récents les super-fusions qui ont émaillé le dernier trimestre et notamment la capacité qu’ont eu les salariés de Société générale, qui étaient propriétaires d’une part de leur entreprise, de résister à une offre d’achat hostile montre que la question de la propriété des fonds salariaux investis dans l’entreprise est une véritable question.

Je crois que c’est à partir de ces deux considérations, d’une certaine demande de flexibilité dans la retraite sur- complémentaire (pour ne pas se poser la question la distinction entre retraite de base et retraite complémentaire, je propose qu’on parle de sur-complémentaire au dessus des régimes Agirc et Arco) et deuxièmement la question de la propriété des fonds issus des salariés investis dans le capital que nous avons, les 3 grandes fédérations mutualistes et moi-même, pris l’initiative de ce colloque.

Il y a un troisième argument c’est qu’évidemment l’Europe va nous imposer des contraintes. Il y a déjà un " livre vert " dont le titre est très significatif " Vers un marché unique pour les retraites complémentaires " c’est-à-dire que nous le voulions ou non il y aura d’ici quelques années la liberté de l’offre à travers l’Europe en matière de retraite complémentaire et il y aura donc la possibilité de choisir un système émis dans d’autres pays, n’importe quel salarié français pourra choisir en matière de retraite sur-complémentaire une offre qui lui sera faite par un quelconque pays de la communauté européenne.

C’est encore pour l’avenir mais on en discute l’année prochaine et probablement, l’affaire sera " cuite " d’ici un an et demi deux ans [1].

Donc la situation, la position de la retraite par répartition est attaquée de tout bord : il y a une demande sociale y compris salariée pour les deux premières raisons que je viens d’évoquer et nous aurons certainement une contrainte dite extérieure (mais pour un député européen c’est une contrainte intérieure) à la mise à disposition d’un système de sur-complémentaire sous forme qui peut être exactement des fonds de pension à l’anglo-saxonne. Il est donc extrêmement urgent que la société française présente une offre la plus solidaire possible, la mieux enracinée possible dans la tradition du mouvement des salariés depuis le XIXè siècle, et bien entendu on pense immédiatement au syndicalisme d’une part, à l’économie sociale d’autre part.

La solution la plus simple, déjà évoquée par Edmond Maire dès 1982 si ma mémoire est bonne au moment de la première discussion sur "comment augmenter la part salariale tout en laissant de l’argent aux entreprises " serait de dire : "Eh bien une part du salaire qui est différé vers la retraite est investie directement dans l’entreprise qui verse ce salaire. Donc l’entreprise pour au moins 20 ou 30 ans en moyenne ne perd pas la disposition de cet argent, et dans 20, 30, 40 ans l’eau aura coulé sous les ponts au moment où il faudra payer les retraite. L’entreprise aura certainement franchi la crise et prospéré ". D’un autre côté cela rejoint l’idée des fonds salariaux, qui est un idée juste qui permet aux salariés de mettre leur pied à un nouveau titre (non seulement comme salariés par le biais des comités d’entreprise, mais directement comme actionnaires par le biais du conseil d’administration) dans la gestion des entreprises, c’est un argument extrêmement fort qui, nous le verrons, n’est pas irréaliste.

Nous aurons tout à l’heure les témoignages québécois et suédois, l’actionnariat organisé des salariés sous le contrôle de leur syndicat plaçant leur future retraite pour défendre leurs propres emplois voire en créer pour leur frère, conjoint, enfant etc. Problème : les fonds investis dans sa propre entreprise, ce qu’on appelle des " fonds fermés " techniquement, sont rassurants quand vous êtes dans une grande entreprise, qui a de fortes chances d’exister encore dans 30 ou 40 ans. Elle laisse sur le bas de la route les travailleurs précaires, ou les travailleurs même stables mais des entreprises elles-mêmes précaires, c’est-à-dire les petites et moyennes entreprises. Donc s’il y a fonds salarial contrôlé par les syndicats il y a nécessité absolue - sauf à renforcer encore les inégalités au sein du salariat - de mutualiser entre les différents types d’entreprises, mutualiser entre les différents types de salariés. Et qui dit mutualiser dit mutuelle.

La mutuelle s’introduit alors comme second élément de la solution, la mutuelle en tant que vieille institution, une des toutes premières institutions du mouvement ouvrier, reconnue avant même les syndicats, qui a un peu quitté d’ailleurs, à la fin du XIX siècle le courant principal du mouvement ouvrier, les bourses du travail éclatant en quelques sortes en 3 branches entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle : syndicat, mutuelle et partis. La mutuelle apparaît éventuellement comme la solution idoine pour la mutualisation des intérêts salariés entre les différents types de statuts salariés et différents types d’entreprises.

L’Union européenne adopte justement actuellement une réforme des " organismes de placement de capital à valeur variable " qui permet justement des mécanismes de " fonds de fonds " en quelque sorte. Des fonds salariaux collectés dans les entreprises pourraient être investis dans des " fonds de fonds " gérés par des mutuelles, qui elles -mêmes investiraient dans de multiples petites entreprises, selon un certain nombre de critères, et là encore l’expérience européenne mais aussi québécoise nous apporte énormément d’éléments. On peut très bien concevoir que ce fonds investisseur se dote lui-même de critères dans ses investissements, critères sociaux, critères écologiques principalement.

Critères sociaux, on voit bien pourquoi. La critique fondamentale qu’à juste titre les mouvements des salariés, et aussi un très grand nombre d’économistes, opposent aux fonds à l’américaine : c’est leur court-termisme, c’est-à-dire le fait, que comme ils doivent rémunérer le retraité, ils doivent pressurer l’entreprise. Ce n’est pas tellement le salarié qu’ils pressurent, mais comme ils pressurent l’entreprise, l’entreprise répercute sur le salarié, ou sur les sous-traitants et ça désorganise complètement la production, tout en aboutissant à une aggravation du statut des travailleurs actifs : c’est un peu la formule " Je vous licencie pour augmenter votre retraite. " Alors, c’est non seulement grave pour les salariés, c’est grave aussi pour l’entreprise. L’exemple le plus typique c’est l’entreprise Boeing qui était en tête de l’aviation il y a encore un an, les fonds salariaux investis chez Boeing ont exigé un volet de licenciement il y a deux ans qui était terrifiant, qui l’a amenée à se séparer de ses ouvriers les plus expérimentés et quand la reprise du marché aérien a eut lieu, Boeing était totalement désorganisé et incapable de répondre, et s’est fait doublé par la vieille Europe engoncée dans ses traditions de solidarité et de stabilité salariales ! !

Donc vous voyez que la lutte contre le " short-termism " est un des éléments des plus importants si l’on veut rentrer dans cette réflexion, et il faut bien le reconnaître, et c’est de plus en plus reconnu, l’économie sociale est la seule " golden share " , le seul noyau dur qui vaille dans un monde globalisé, parce que ce sont des sociétés de personnes. Les coopératives et les mutuelles sont statutairement (en plus d’idéologiquement) liées à leurs propres investisseurs, aux personnes qui ont investi des sous et qui ont tendance évidemment à exiger que les mutuelles ou les coopératives tiennent quant même un tant soit peu compte de leurs propres intérêts en tant que consommateurs, salariés etc.

Deuxième élément : c’est l’aspect écologique. Ce qui oppose la mutuelle à l’assurance, c’est le principe mutualiste dans lequel quand on adhère à une mutuelle, on en devient sociétaire (et potentiellement dirigeant), on ne peut pas être vidé d’une mutuelle quand on devient trop vieux et qu’on va commencer à coûter trop cher. Et donc d’une certaine façon la mutuelle réalise la solidarité inter-générationnelle intégrée dans le comportement individuel des sociétaires. La mutuelle en tant que mutuelle santé a intérêt à investir dans la santé 30 ans plus loin, et donc elle a intérêt à investir dans l’environnement de 30 ans plus loin. La mutuelle a intrinsèquement (et non pas parce que c’est politiquement correct) un intérêt dans l’amélioration de la qualité de la vie à l’échelle d’une génération plus loin.

Je crois que ces différents éléments plaident pour donner à l’alliance du syndicalisme et des retraites un rôle central dans l’introduction d’un troisième étage des retraites sur-complémentaires et c’est pour tester ces hypothèses que les 3 grandes fédérations mutualistes, la Fédération nationale de la mutualité française, les Mutuelles de France et le Groupe des Mutuelles d’Assurance ont décidé de convoquer ce conclave. Nous commençons donc comme il vient d’être dit par un petit temps d’information et de réflexion venue des chercheurs puis nous aurons les expériences étrangères qui permettra de déblayer un certain nombre de préjugés que nous avons en France, puis les mutuelles nous présenteront leur offre, puis les syndicats nous présenteront éventuellement leurs éléments de réponse.


Voir le plan du colloque.




NOTES


[1Précisément ce projet vient de passer en seconde lecture, le 12 mars 2003, au Parlement européen, les Verts et les communistes ont voté contre, les socialistes se sont abstenus ou ont voté contre (notamment les syndicalistes allemands gestionnaires de fonds salariaux)

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