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Accueil  > Vie publique > Alain Lipietz et les Verts > La crise du courant “ Retrouver et Convaincre la Société ” (http://lipietz.net/?article908)

par Alain Lipietz | 5 novembre 2002

La crise du courant “ Retrouver et Convaincre la Société ”
Cette fin de semaine (du 31 octobre au 3 novembre) aura vu les gazettes tout occupées d’un cirque dont seuls les Verts ont le secret : alors que 6 motions s’affrontent pour la prochaine assemblée générale, le débat semble se réduire au duel de titans entre les alliés terribles de l’ex-majorité de Toulouse, Noël Mamère et Dominique Voynet.

  Sommaire  

On les avait pourtant suppliés, lors du CNIR de septembre, de ne pas “ refaire Toulouse avant Toulouse ” : unité de façade par collage de textes, préparant la rupture aussi immédiate que spectaculaire sur chaque problème politique concret (ou même imaginaire d’ailleurs, comme on l’a vu cette semaine). Ca n’a pas raté, pour le plus grand plaisir des médias qui ont pu orchestrer cette grande première : l’engueulade publique entre ténors du même courant (une page du Parisien pour Dominique, une page de Libé pour Noël), et non pas, comme dans les partis ordinaires, des salves tirées d’un courant à l’autre. Ah mais ! vous vouliez de la politique “ autrement ” ? vous voilà servis.

Les Verts, qui peu à peu se mithridatisent contre le ridicule (mais si, en politique, le ridicule finissait par tuer ?), ont dû ce week-end encore faire le dos rond, en priant “ Si nos dirigeants pouvaient, l’espace d’un mois avant l’AG, mettre une sourdine ? ”. Pourtant cette affaire est pleine d’enseignements.

 Résumons

Dans le Parisien, Dominique rêve d’un grand parti de toute la gauche (dont les Verts), qu’on pourrait appeler La Gauche. Quelques heures plus tard, elle nous informe sur le houèbe : “ mais non, j’ai été manipulée par le journal, j’avais mis cette phrase à l’interrogatif ”. Aussi sec, Noël, sans tenir compte de ce rectificatif et sans contacter la secrétaire nationale, monte sur son blanc destrier et pourfend la liquidatrice de l’écologie politique. Qui derechef “ calme le jeu ” et appelle à une majorité autour du texte qu’elle soutient, “ avec Noël, Denis, Yves et d’autres ”. Le Cnir de ce week-end clôt l’incident en adoptant par acclamation une motion préparée par Désir de Vert et présentée par Yves Contassot, qui renvoie le “ rêve ” de Dominique aux oubliettes des mauvais cauchemars.

Au-delà de la bouffonnerie, il y a quand même un fond. Je ne doute pas de la plausibilité de la version de Dominique. Une presse qui déforme les propos d’une dirigeante majeure des Verts, Noël qui se paye sa pub perso sur ce supposé dérapage : un scénario que j’ai vécu dix fois l’an dernier. Problème : même rectifié, le dérapage de Dominique est patent. Ainsi donc, elle aurait dit seulement “ N’ai-je point rêvé d’un grand parti de toute la gauche ? et pourquoi ne pas l’appeler tout simplement La Gauche ? ”. Sans donner de réponse à la question. Or la secrétaire nationale des Verts n’avait qu’une réponse à donner : NON, mille fois non.

Car la question se pose bel et bien, comme en témoignent les appréciations louangeuses des dirigeants du PS. Eux, comme ceux de l’UMP ne rêvent que d’une chose : la disparition du multipartisme, l’instauration d’un bipartisme, comme aux USA et en Grande-Bretagne (avec le bémol des libéraux démocrates). Cette évolution serait triplement catastrophique.

- Catastrophique pour la démocratie : dans les vieux pays à bipartisme, la moitié des citoyens ne votent plus. C’est l’histoire des deux marchands de glace sur une plage (Hotelling) : chacun va chercher à mordre le plus possible sur la zone de l’autre. Ils vont donc se coller tous les deux au milieu de la plage (en fait, au centre droit de la plage, car la bourse de ceux de droite est mieux remplie). Et du coup, les clients potentiels des deux extrémités de la plage ne se dérangent plus : trop loin pour leur désir, trop loin de leur désir. Réaliser le bipartisme autour de 2 partis qui aux élections européennes et à la présidentielle réunissaient à peine, à eux deux, 36 % des préférences des électeurs, c’est accentuer dramatiquement la crise de la représentation politique.

- Catastrophique pour la gauche : à Paris , réputée imprenable, et en Allemagne, contre toute attente, l’alliance des sociaux-démocrates et des Verts gagne, parce qu’elle se présente comme un menu suffisamment diversifié pour qu’une majorité d’électeurs y trouve son compte.

- Catastrophique pour l’écologie, car la vieille gauche n’est que “ la moins incompatible ” des vieilles forces politiques avec le souci du développement soutenable, avec les exigences d’une révolution des modes de production et de consommation. Renoncer à l’existence autonome de l’écologie politique, c’est renoncer à l’écologie.

 Pourquoi ?

Alors pourquoi Dominique, que nous avions comptée parmi les plus fières passionarias de cette autonomie (notamment en 1995, ce qui n’était pas le cas de Noël), semble-t-elle aujourd’hui y renoncer ? Pourquoi Noël, qui soutient le même texte “ Retrouver et convaincre la société ”, la tâcle-t-il si durement ? Pour répondre à ces questions, il faut revenir, au delà du numéro habituel de nos duettistes, à ce qui fonde l’unité de ce courant.

À l’origine, il y a le pacte de Toulouse (auquel j’ai participé) : poursuivre l’expérience de majorité plurielle. Ce qui supposait que le grand frère socialiste joue le jeu : maintenir un cap assez solidaire et “ écolo-compatible ” pour satisfaire notre électorat, ce qui impliquait de notre part une attitude assez ferme et une image suffisamment attractive et responsable. Cela ne s’est pas produit, et de moins en moins au cours de l’année 2001. D’où la posture, beaucoup plus critique, que j’ai proposée lors de la campagne de primaires, et qu’a approuvé une (courte) majorité des Verts, surtout après le coup de semonce des municipales, signal tangible d’une défaite imminente de la ligne sociale-libérale du PS, mais aussi de notre capacité à y résister (voir mon texte de second tour, Donner force à l’espoir).

C’est alors que, au travers de mon élimination préalable, se soude vraiment le courant Mamère-Voynet, sous la forme de la motion F de l’AG de St-Denis (décembre 2001) : la reconduction à un très bas prix de l’accord avec le PS. Comme le martèle alors Jean-François Collin, “ on ne change pas une politique qui gagne ”. Les Verts, qui voient bien que cette politique perd, rejettent les propositions du texte F, qui est sévèrement battu à la seconde session de l’AG (Nantes, janvier 2002) sur un amendement décisif : faute d’un accord suffisant avec le PS, il n’est plus possible de reconduire la participation gouvernementale. Cette position fut vainement combattue par le représentant du texte F, Guy Hascoët, qui, comme beaucoup d’autres, a depuis sagement tiré les leçons de l’expérience.

Le désastre annoncé se concrétise le 21 avril et s’aggrave encore avec les législatives. La Gauche est renvoyée dans l’opposition, au niveau national français.

Tirant le bilan de cette triste affaire, et des risques énormes d’évolution vers le bipartisme, dans mon texte Que reste-t-il à reconstruire ?, je constate qu’il y a deux diagnostics entraînant deux attitudes possibles.

Hypothèse A, pessimiste : c’est la faute aux autres, le PS, les masses, la presse… “ Dans ce cas, dis-je, et pour bien longtemps (deux décennies au moins), il n’y a plus d’espace institutionnel pour les Verts, ni pour quelque " petit ou moyen parti " que ce soit, au niveau national. Il reste aux écologistes à constituer une tendance du PS, ou à rallier les ONG, comme Greenpeace-USA ”

Hypothèse B, optimiste : nous pouvons vaincre le bipartisme, et les Verts reprendront leur progression.

Je concluais cette analyse par une critique de l’attitude du courant dirigeant (F). “ Ce qui est sûr, c’est que même si l’hypothèse B est vraie, la direction de fait, en se comportant comme si l’hypothèse A était vraie (qu’il n’y a plus de place pour un parti Vert autonome) a par avance effacé les Verts de cette campagne et du champ politique, et de ce fait a aggravé la tendance à la disparition des Verts. Je ne serais pas surpris (ce serait politiquement logique) qu’ils rallient assez rapidement le PS (comme la plupart des anciens " refondateurs " du PCF) pour y créer une tendance écologiste ”. Pronostic qui m’avait valu l’accusation outragée de “ procès d’intention ”

Nous y voilà. On peut critiquer Dominique pour son absence de vision du long terme, mais nul ne peut lui dénier une exceptionnelle intelligence tactique des rapports de force instantanés.

La bizarrerie est l’existence, dans ce qui reste du courant F, et qui s’est regroupé autour des mêmes dirigeants dans la motion “ Retrouver et Convaincre la Société ”, d’une vive résistance, incarnée par Noël Mamère, aux interrogations de Dominique. Résistance que Dominique taxe de “ mouvementiste et gauchiste ”. En fait il ne s’agit que de l’autre sous-branche de l’hypothèse A telle que je viens de l’énoncer : le militantisme écologiste “ non-gouvernemental ”.

Face à l’inéluctable domination du PS sur la gauche d’une scène politique bipartiste, il n’y aurait plus qu’à rallier “ La Gauche ” ou, quand on est député, se faire le porte-voix de luttes qui se mènent ailleurs, dans la société. Deux attitudes complémentaires, qui expliquent et la coexistence au sein d’une même motion, et la crise récurrente avec engueulades publiques, entre ceux qui attendent de revenir aux affaires au sein de “ La Gauche ” et ceux qui, y étant déjà , appellent à la seule politique possible quand on est dans l’opposition : la célébration des luttes sociales. Je dois dire que ma sympathie va , pour ce coup là, plutôt du coté de Noël que du coté de Dominique. Sur la forme, ma réprobation est partagée entre l’un et l’autre.

Et sur le diagnostic aussi, donc sur la vision stratégique qui en découle. Car toute autre est la posture adoptée par les principaux challengers du texte F , nous qui voulions “ Reconstruire l’espoir ” aux AG de St Denis et de Nantes, et nous qui tablons aujourd’hui sur le “ Désir de Vert pour un monde solidaire ” : un optimisme exigeant.

Oui, nous pensons que le bipartisme, totalement étranger à la tradition politique française aura le plus grand mal à s’imposer. Oui, nous pensons que la réalité matérielle de l’oppression et des dégâts du productivisme poussera inéluctablement la société à exprimer son besoin d’une politique écologiste et donc d’un parti Vert. Dans les luttes sociales et environnementales, comme dans les institutions, et cela au niveau local, régional, européen, global, aussi bien que national. Et que, nos échecs nous étant largement imputables, nous avons les moyens, en repérant et corrigeant nos erreurs, de contribuer à la réalisation de l’hypothèse B. Nous pensons bien sûr qu’il faudra un jour passer de nouveaux contrats avec le PS, mais que pour cela , il faudra être beaucoup plus forts, et nous proposons une méthode pour y parvenir : nous réformer, accueillir tous les écologistes, et réunir à nos cotés une “ convergence solidaire. ”

Ce qui ne nous empêchera pas de participer à tous les colloques qu’on voudra, y compris avec le PS, et ce qui n’a rien à voir à s’enfermer avec lui dans “ la Gauche ”.




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