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3 juin 2002

Morne campagne
Proposé à Libération
Au-delà du " piège de la cohabitation ", presque anecdotique, la gauche, défaite et décapitée au premier tour de la présidentielle, se trouve acculée dans une trappe aux parois presque infranchissables. Le fond du problème, c’est qu’elle a été battue et sur son bilan et sur son (maigre) projet. Donc, pour gagner à nouveau, elle doit changer. Or elle n’en a pas le temps, compte tenu des délais absurdes que le Parti Socialiste, en inversant le calendrier électoral, lui a imposé. Tous les jours je rencontre des femmes et des hommes, pas forcément de gauche, qui me disent : " On ne sait plus quoi faire. Il aurait fallu reporter les élections à octobre, pour avoir le temps de réfléchir ". Le temps de réfléchir ? C’est bien la denrée la plus rare ! Et pourtant.

D’abord, tirer un bilan lucide de la situation. Ce bilan, la gauche aurait déjà pu le tirer après sa défaite des municipales (voir mon article " Que faire de la vague verte ? " dans Libération du 26 mars 2001). Elle ne l’a pas fait. Animer un débat sous une affiche " Reprendre le chemin du progrès " ou " Reconstruire l’espoir ", quand on vient de gouverner ensemble pendant 5 ans, exige à tout le moins de présenter ses excuses aux auditeurs. " Oui, nous vous devons des excuses. Nous laissons une grande partie du peuple de gauche avec aussi peu de raisons d’espérer en 2002 que lorsque vous nous avez portés au pouvoir en 1997 ". On est mieux écouté sur cette base que sur l’énumération triomphante de " ce qu’on a fait quand même : le PACS, la parité, la CMU, les 35 heures ".

Les 35 heures, justement. 80% des salariés qui en ont bénéficié disent qu’elle a amélioré la qualité de leur vie. Donc, pour 20%, elle l’a diminué ! Un comble ! Et ceux-là, celles-là plus encore, sont souvent ceux qui étaient déjà le plus exploités, parce que dans les négociations ils n’ont pas eu un rapport de forces suffisant. En ajoutant les 50% du salariat qui n’ont pas eu les 35 heures et qui en sont jaloux (dans les petites entreprises), ou ceux de la Fonction Publique qui les ont eues, mais sans embauche, la gauche plurielle avait largement de quoi être battue. Et la carte des défaites de la gauche épouse la carte des ratés des 35 heures au moins aussi bien que la carte de l’insécurité !

Avoir donc le courage de dire : " Nous n’avons pas tenu nos promesses, ou trop partiellement. Tout n’était pas possible immédiatement. Nous aurions pu sans doute finir avec moins de 2 millions de chômeurs, mais pas avec le plein emploi. Alors, examinons, ensemble, ce qui n’a pas marché, et fixons, ensemble, un calendrier de mesures à adopter pour rattraper les échecs. " Car le peuple de gauche est incroyablement patient et clément. Depuis 20 ans, il attend, tous les 5 ans il sanctionne, parfois en s’abstenant, parfois en votant pour les extrêmes, et il offre ensuite une nouvelle chance. Il admet que tout n’est pas possible tout de suite. Il demande seulement des engagements précis, programmés, pour sortir enfin de la précarité, de la peur du chômage et de l’exclusion. Et si l’on doit renoncer à avancer plus vite sur une voie (le partage du travail), alors il est prêt à tenter d’autres solutions, pourvu qu’on les lui propose. Par exemple ? Par exemple une autre promesse non tenue de 1997 ; la loi sur le tiers secteur. Elle garantissait le financement et le développement d’un vaste tissu associatif et coopératif, dans les quartiers, pour offrir des emplois même aux non qualifiés, et satisfaire les besoins de services de proximité, d’amélioration de l’environnement, pour retisser le lien social et sortir de l’isolement, de la peur des autres. Les dispositifs de cette loi étaient prêts, demandés par le gouvernement Jospin, mais elle n’a même pas été mise à l’ordre du jour. Même pas rappelée dans les discours actuels du PS (ni bien sûr du PCF). Seulement réaffirmée par les Verts - et pas tous !- au même titre que le parachèvement des 35 heures et le partage du travail et des richesses.

Je ne sais pas si la peur du retour de Juppé suffira à faire perdre la droite. Je ne pense pas un instant qu’une " bonne cure d’opposition " soit profitable à la gauche, fatiguée, vieillie, usée par le pouvoir, je suis sûr en tout cas qu’une cure de droite aggravera encore la situation des ouvriers, des employés, des paysans appauvris. Je sais, par les toutes premières déclarations du gouvernement Raffarin, qu’on peut compter avec lui sur une relance du nucléaire et de bien faibles efforts contre l’effet de serre. Au plan environnemental comme au plan social, cinq nouvelles années seront perdues si la droite revient au pouvoir.

Mais le dilemme reste entier : la majorité sortante et battue ne peut gagner sans se remettre profondément en cause ; elle n’a pas encore su ou pas voulu le faire. Voter pour les partis trotskistes qui affirment ouvertement leur refus de se salir les mains dans la réforme profonde de la société avant la " révolution ", et qui ont ainsi fait repousser au Parlement européen, le vote de la taxe Tobin contre la spéculation internationale parce qu’elle n’aurait fait qu’améliorer le capitalisme, ne nous sort absolument pas du dilemme !

Alors ?

Alors, il faut oser. Comme dirait Eluard, une autre gauche est possible, et elle est dans celle-ci. Pour faire gagner la gauche, il faut changer la gauche, dès le premier tour des législatives. Une seule force, parmi la majorité sortante, est restée ancrée dans une dynamique de luttes de terrain et de propositions de réformes radicales : les Verts. Avec toutes leurs limites, largement dues à leur faiblesse électorale de 1997, ils sont, ici et maintenant, le ferment du renouveau.




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