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par Alain Lipietz | 18 avril 2002

Visite à la COP 6
Biodiversité
à La Haye
Je me suis rendu à la 6è Conférence des parties de la Convention Biodiversité. Il s’agissait d’une des 2 Conventions signées à la Conférence des Nations Unies sur le l’Environnement et le Développement (CNUED, dite " Sommet de la Terre", Rio, I992).

La CNUED, dont on fêtera cet été à Johannesburg le 10è anniversaire, avait, avec difficultés, signé cette convention, largement restée lettre morte tant elle était en contradiction avec les progrès de l’appropriation privée des connaissances intellectuelles dans le cadre de l’OMC. Une troisième convention, sur la protection des forêts, avait échoué devant la double opposition des exportateurs de bois (Brésil, Malaisie, Indonésie) et des importateurs (Japon). Voir mon livre Berlin, Bagdad, Rio, 1992 BBR, téléchargeable gratuitement.

La Convention Biodiversité (CBD) vivote depuis, heureusement relayée par la convention " Biosécurité " (processus de Carthagène) où l’écologie a marqué quelques points (notamment : droit des États à refuser les Organismes Génétiquement Modifiés). Les conférences des parties de la CBD se réunissent périodiquement pour approfondir tel ou tel point. Cette année : les plantes invasives, la forêt, l’accès aux ressources.

Comme les États-Unis n’ont jamais ratifié cette convention, elle tourne en général à l’affrontement-négociation entre l’Union Européenne et les tiers monde. Celui-ci était organisé autrefois dans le " groupe des 77 ", cette COP 6 a vu la formation d’un groupe très intéressant , les 23 pays " mégadivers " qui regroupent à eux seul 70% de la biodiversité mondiale : Brésil, Indonésie et Malaisie, et surtout le Mexique qui assuma ici un rôle dirigeant et constructif, mais aussi l’Équateur, petit pays certes, mais le plus dense en matière de biodiversité. Quant aux États-Unis, ils restent très fortement représentés dans les négociations.

 1°) Les plantes invasives

Il s’agit des plantes qui, imprudemment introduites dans un écosystème, sont susceptibles de tout envahir (Taxifolia, narcisse d’eau…). Les réunions préparatoires avaient semble-t-il dégagé le terrain. On ferait une distinction entre la " responsabilité " des États dans la lutte contre les invasives, et l’absence de " responsabilité civile " des États imprudemment " exportateurs " d’une plante invasive. Eh bien, c’était encore trop pour le Brésil qui en séance finale tenta de reposer toute resposablilité. L’intervention de la déléguée de l’Équateur permit de remettre le Brésil à sa place. Le Brésil écopa du prix Greenpeace du pire ennemi de la biodiversité.

 2°) La forêt.

Il s’agissait en quelque sorte d’une " revanche de Rio " : faute d’avoir pu faire prendre des mesures pour sauvegarder les grandes forêts tropicales en tant que " poumons de la Planète " (le grand argument de 1992), il s’agissait de sauver ces forêts, et notamment les " forêts primitives ", en tant que réserves de biodiversité.

Greenpeace en fit l’affaire de cette COP 6, de matière extrêmement pressante, sans avoir médité les raisons de l’échec de 1992. Comment en effet convaincre les pays pratiquant à grande échelle la déforestation (soit pour offrir des terres à ses déshérités en substitut d’une réforme agraire, soit pour exporter les bois) d’y renoncer, sans leur offrir quelque compensation, en donnant quelque valeur économique à la sauvegarde des forêts ?

Le lobbying agressif de Greenpeace provoqua une levée de boucliers des grands " déforestateurs ", comme le Brésil et l’Indonésie, et bien sûr la Malaisie (les " Saddam Husssein " de l’environnement, comme je les appelais dans Berlin, Bagdad, Rio) qui montèrent sur leurs grands chevaux au nom de la souveraineté nationale.

Alors que l’Union Européenne avait préalablement négocié un projet très peu contraignant, la délégation française conduite par Yves Cochet se rallia brusquement aux demandes de Greenpeace et proposa la fin de la déforestation en 2010.

Après des batailles homériques, la France obtint la mention de cet objectif (mais sans mesure de sanction… ni mesure incitative) et le Brésil une avalanche de restrictions (genre : " dans le cadre des priorités de développement fixées par chaque pays ")

 3°) L’accès aux ressources.

Si un compromis peut un jour être trouvé entre Nord et Sud sur la biodiversité, c’est évidemment sur ce chapitre. Comme je l’ai noté dans BBR, on se trouve en effet dans une configuration archi-classique : les industries (pharmaceutiques, agro-alimentaires, semenciers) sont au nord et les ressources primaires au sud, parce que les populations qui n’ont industrialisé ni leurs forêts ni leur agriculture ont ipso facto préservé la biodiversité naturelle. Donner une valeur à la biodiversité, c’est imaginer un système de royalties pour l’accès à ces rssources, et c’était effectivement la base du compromis de 1992.

Mais il est vite apparu que le problème est plus complexe que le partage de la rente pétrolière. La biodiversité endémique à une région ne présente qu’un intérêt potentiel pour l’industrie , qui ne peut pas analyser toutes les molécules de toutes les espèces vivantes du territoire en cherchant " la quelle peut être intéressante ". L’industrie a besoin de se guider sur les savoirs des indigènes, qui cultivent des plantes peu sélectionnées, y compris des plantes médicinales, en ayant une idée déjà précise de leurs vertus alimentaires, curatives, etc. La ressource, c’est donc à la fois des gènes et des molécules d’origine déterminée et des connaissances traditionnelles sur leur utilité. Sous son premier aspect, il s’agit de reconnaître une " appellation d’origine " (alors qu’une partie substantielle de la biodiversité repérée est déjà stockée dans des banques de germes du Nord, comme à Q-Garden), sous son second aspect, il s’agit d’un problème de propriété intellectuelle sui generis (communautaire et traditionnelle, non formalisée). Le viol de cette propriété, qui consiste à extraire l’agent spécifique d’une espèce traditionnellement repérée pour sa valeur d’usage (une boisson, un médicament), la breveter et la vendre commercialement dans le monde entier, s’appelle " biopiraterie " Les propriétaires ainsi spoliés de cette double propriété (les espèces protégées par un rapport à la nature traditionnel, et la connaissance sur les propriétés de cette espèce) sont beaucoup plus les peuples indigènes que les États (qui eux oppriment, expulsent ou massacrent les indigènes, pillent ou laissent brûler les forêts, etc.). Ces peuples ont conquis récemment un ensemble de droits, et cherchent à les faire valoir.

Inutile de dire que pour le moment ce genre de problème se règle surtout dans le cadre de l’OMC et de l’Office International de la Propriété Intellectuelle, en des termes juridiques extrêmement techniques, et selon les normes du droit moderne anglo-saxon : enceintes où les représentant des peuples indigènes sont particulièrement mal à l’aise… quand ils y sont tolérés.

À La Haye, ils n’ont pas trouvé l’appui de Greenpeace qui s’est comporté de façon très " conservationniste " à l’ancienne, ignorant par exemple la présence et l’usage indigène des forêts abusivement qualifiées de " primitives ". Le Mexique parvint néanmoins à faire incorporer un sorte de code déontologique à l’usage des pays utilisateurs.

Une grosse bataille eut lieu sur la question des termes " consentement préalablement éclairé ". Il s’agissait de combattre une forme de biopiraterie polie consistant, de la part d’une firme pharmaceutique, à " acheter " à des caciques d’un peuple indigène les droits sur une plante traditionnelle et son usage, en échange de quelque forme moderne de verroterie. La clause du " consentement préalablement éclairé " aurait permis de contester a posteriori cette forme d’appropriation de la rente naturelle et intellectuelle des " propriétaires indigènes ".

Les pays exportateurs trahirent d’abord les intérêts de leur peuple indigènes, comme on pouvait s’y attendre. Même les " premières nations " du Canada se montraient prêtes à céder, renonçant à cette formulation. C’est alors que débarqua, Dea Ex Machina, Rigoberta Manchu. À l’issue d’une rude négociation d’où filtrèrent des éclats de voix, elle raffermit les délégués indigènes et obtint des États concernés le soutien à la clause, qui fut ainsi sauvée !

Mais il ne faut pas se faire trop d’illusion sur la mise en œuvre de cette clause, ni en faveur des peuples gardiens de la biodiversité, ni de la biodiversité elle-même, tant que les États du Nord et leurs firmes n’auront pas renoncé à leurs tendances prédatrices.




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