vendredi 19 avril 2024

















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[1987h-fr]"L’Après-Fordisme et son espace", Les Temps Modernes. Avril 1988. Couverture Orange n°8807.

(art. 381).


par Alain Lipietz , Danièle Leborgne | avril 1988

Les Temps Modernes. Avril 1988. Couverture Orange n°8807
L’Après-Fordisme et son espace
LANGUE ET TRADUCTIONS DE L’ARTICLE :
Langue de cet article : français
  • English  :

    [1987h-en] "New Technologies, new modes of regulation: some spatial implications", intervention à la conférence International Technology, Restructuring and Urban/Regional Development, Dubrovnik (Juin), et au séminaire international Changing Labour Processes and New Forms of Urbanization, Samos (Septembre). Couverture Orange CEPREMAP n° 8726. Society and Space , Vol.6 n°3, 1988.

  • français  :

    [1987h] "L’Après-Fordisme et son espace", Les Temps Modernes. Avril 1988. Couverture Orange CEPREMAP n°8807.

  • 日本語  :

    [1987h-ja] "Post-Fordism and its Space" (in japanese), Crisis n°35, Fall 1988, published in [1993b].

  • Português  :

    [1987h-po] "O pos-fordismo e seu espaço", Espaço e Debates n°25, 1988.

  • Español  :

    [1987h-es] Revolucion tecnologica y reestructuration productiva, Albuquerque Llorens, de Mattos, Jordan Fuchs (eds), Grupo Editor Latino americano, Buenos Aires, 1990.

  • Deutsch  :

    [1987h-al] Das neue Gesicht der Städte, Borst et al. (eds), Birkhaüser Verlag, Basel, 1990.

  • italiano  :

    [1987h-it] "L’Après-Fordisme et son espace", Archivio di Studi Urbani e Regionali (à paraître).

[1987h-fr]"L’Après-Fordisme et son espace", Les Temps Modernes. Avril 1988. Couverture Orange n°8807.

Quelles seront, sur la géographie humaine et économique, les conséquences des nouvelles technologies ? A la question ainsi brutalement posée à l’économiste par les géographes, on est tenté d’opposer un barrage de prudence méthodologique.

D’abord ce ne sont ni la technologie, ni d’ailleurs les relations professionnelles qui modèlent directement l’espace, mais un ensemble bien plus complexe, le « modèle de développement ». Ensuite, nous ne pouvons pas déduire simplement le modèle de développement des nouvelles technologies. Donc, nous ne pouvons pas répondre à la question. Et pourtant, essayons. Essayons d’imaginer le ou les modèles de développement qui modèleront notre avenir, en particulier l’espace. Pas dans tous leurs aspects, mais au moins dans les traits les plus pertinents quant à leur déploiement spatial.
Pour être un candidat sérieux à la « sortie de la crise », tout nouveau modèle de développement devra être à tout le moins cohérent. Comme tout modèle de développement, y compris celui qui est actuellement en crise, le « fordisme », il devra se présenter comme la conjonction de trois aspects compatibles : une forme d’organisation du travail (un paradigme industriel), une structure macroéconomique (un régime d’accumulation), un ensemble de normes implicites et de règles institutionnelles (un mode de régulation), en ce qui concerne le rapport salarial, la concurrence entre les capitaux, etc. A ces trois aspects, il faudra ajouter une configuration internationale plausible. Les nouvelles technologies ont leur rôle à jouer, mais ne déterminent pas quel modèle sortira vainqueur : elles sont compatibles avec toute une gamme de nouveaux modèles de développement !
Dans ce texte, nous n’avons pas l’ambition de dessiner les différents modèles possibles dans toute leur complexité. Entre autres limites, nous ne traiterons pas ici de la forme de l’Etat, de la monnaie, du crédit, des relations internationales (sur tous ces points voir Lipietz [1985a, 1987, 1988]). En fait nous concentrerons notre attention sur les choix suivants :

- Quant à l’organisation du travail : « implication responsable » contre « polarisation des qualifications » ;

- en ce qui concerne le lien salarial : « stabilité des contrats » contre « flexibilité » ;

- en ce qui concerne le rapport entre les capitaux industriels : « quasi-intégration verticale (QIV) territorialement intégrée » contre « QIV territorialement éclatée ».
Dans une première section, nous résumerons les analyses de ce qu’on appelle « école française de la régulation », au sujet du fordisme et de sa crise (Aglietta [1976], Boyer, Mistral [1978], Coriat [1979], Lipietz [1979, 1983a, 1985b]). La deuxième section traitera de l’impact des nouvelles technologies dans l’organisation du travail et les relations salariales, tandis que la troisième section sera consacrée aux relations entre les firmes. La section finale examinera les implications spatiales des différents modèles dc. développement esquissés dans les deux précédentes sections. Mais il faudra alors se souvenir que les futures configurations spatiales ne peuvent même pas se déduire simplement des caractéristiques d’un modèle de développement, quel qu’il soit. Les réalités territoriales actuelles, nationales et régionales, constituent le terrain où se livrent les conflits à propos des nouveaux modèles de développement. Il ne pourra donc s’agir que des « processus plausibles de restructuration spatiale ».

I - LE FORDISME ET SA CRISE

Tout au long de l’histoire, les principales contradictions résultant du caractère marchand du capitalisme, des rapports salariaux, des rapports internationaux, sont restées inchangées. Cependant, dans l’histoire, différentes solutions se sont stabilisées comme modèles de développement. La période d’hégémonie d’une ou de plusieurs nations adoptant des variantes du même modèle peut être considérée comme la période d’hégémonie de ce modèle. Un modèle de développement peut et doit être analysé sous trois aspects différents. D’abord, ce que l’on appelle parfois le paradigme technologique ou modèle d’industrialisation : les principes généraux qui gouvernent l’évolution de l’organisation du travail (principes qui évidemment ne sont pas confinés à l’industrie et ne relèvent pas que de la technologie !). Ensuite le régime d’accumulation : les principes macroéconomiques qui décrivent la compatibilité sur une période prolongée entre les transformations dans les normes de production et les transformations dans les normes d’usage du produit social. Troisièmement, le mode de régulation : la combinaison des formes d’ajustement des anticipations et des comportements contradictoires des agents individuels aux principes collectifs du régime d’accumulation. Ces formes d’ajustement peuvent inclure des habitudes culturelles aussi bien que des formes institutionnelles telles que lois, accords, etc.
Le régime d’accumulation apparaît donc comme le résultat macroéconomique du fonctionnement d’un mode de régulation, sur la base d’un modèle d’industrialisation. Cette comptabilité n’est toutefois qu’une « trouvaille », le produit involontaire de conflits idéologiques et sociaux. Le modèle de développement de l’après-guerre dans les pays capitalistes avancés (celui que nous nommons fordiste) est une parfaite illustration de ces différentes caractéristiques. La simultanéité du développement rapide d’un certain nombre de pays selon ce même modèle a engendré une configuration mondiale. Réciproquement, sans cette configuration, il est probable que la mise en œuvre pays par pays de ce modèle aurait été beaucoup plus difficile. Cependant, nous ne traiterons ici principalement que des aspects internes, et plus particulièrement du paradigme technologique et de sa crise.

1) Le modèle d’industrialisation : l’érosion du taylorisme

En tant que modèle d’industrialisation, le fordisme marque le parachèvement de la révolution tayloriste du début de ce siècle. Les principes en sont connus : une standardisation rigoureuse des gestes opératoires et corrélativement une rigoureuse séparation entre le bureau des méthodes et l’atelier, entre la conception et l’exécution manuelle.
Cette rationalisation à travers la séparation a deux objectifs. Le premier est de généraliser aussi rapidement que possible la méthode apparemment la plus efficace (« the one best way ») et d’éliminer les tâtonnements sur les postes de travail ainsi que les disfonctionnements entre ces postes. Il vise ainsi à obtenir des gains de « productivité » au sens strict (dans l’efficacité de chaque opération) par la socialisation, organisée d’en haut, du processus d’apprentissage collectif. Le second objectif, moins explicitement revendiqué, est d’obtenir, à travers la connaissance précise du temps requis pour mener à bien chaque opération, un contrôle rigoureux sur l’intensité du travail des opérateurs (nombre d’opérations par heure de travail), de façon à limiter « l’oisiveté » des travailleurs. Ce contrôle s’exerce à travers des procédures standardisées, communiquées aux opérateurs par le bureau des méthodes.
Le fordisme proprement dit se distingue ici du taylorisme dans le fait que ces normes elles-mêmes sont incorporées dans le dispositif automatique des machines. C’est donc le mouvement des machines (le cas de la chaîne de montage est typique) qui dicte l’opération requise et le temps alloué pour sa réalisation.
Le fordisme en tant que modèle d’industrialisation a rencontré un tel succès qu’il engendra des gains de productivité apparente (combinaison des gains de productivité au sens strict et des gains d’intensité) sans précédent dans l’histoire mondiale. Ces gains furent la base (pas, la condition suffisante !) de la croissance dans l’Age d’Or du fordisme. Pourtant, à la fin des années 60, cette base commença à s’éroder (Lipietz [1986], Glyn et al. [1987]). La productivité commença à ralentir et le capital fixe par tête à croître. Cela entraîna une chute de la profitabilité, d’où (après un certain délai) une chute du taux d’accumulation. Comme nous examinons ici les possibilités d’une « issue technologique » à la crise, nous devons interpréter avec soin les raisons de cette érosion.
• La taylorisation, en généralisant le « one best way », le « meilleur geste », accroissait automatiquement la productivité moyenne au sens strict le long d’une courbe d’apprentissage et interdisait toute compensation de la croissance de la productivité par une diminution de l’intensité. Par ailleurs, l’expérience du travail apportait chaque jour la découverte de nouveaux « one best way », déplaçant ainsi vers le haut la courbe d’apprentissage. Le mouvement le long de cette courbe ralentit nécessairement au bout d’un certain temps. Quant au déplacement de la courbe vers le haut, il dépend de la capacité collective des travailleurs (en col bleu ou en col blanc) à inventer de nouvelles techniques. Or les principes tayloriens, en polarisant cette capacité collective entre une masse de travailleurs déqualifiés et peu motivés d’un côté, les ingénieurs et techniciens de l’ingénierie et (lu service des méthodes de l’autre, limitent graduellement la lutte pour la productivité et l’innovation à ce second secteur. Et celui-ci ne peut contribuer à la croissance de la productivité générale qu’à travers la mise au point de machines de plus en plus complexes qu’il met à la disposition des travailleurs non qualifiés.
Ainsi se trouvent au moins éclairés, par les principes tayloriens eux-mêmes, le ralentissement des gains de productivité et la hausse du coefficient de capital. La majorité du collectif de travail se retrouve en effet exclue par principe de la bataille pour la productivité et pour la qualité. Et c’est par l’effet de ces mêmes principes tayloriser que la recherche et développement apparaît comme une pratique purement spécialisée et que sa mise en œuvre dans l’industrie (comme d’ailleurs dans le tertiaire et de plus en plus dans l’agriculture) ne peut être introduite que par en haut. D’où l’illusion que le changement technique est un pur « input », dont le prix s’exprime dans le coût croissant de la recherche et développement d’une part, de son incorporation dans le capital fixe de l’autre. Mais ceci n’est que la contrepartie du fait que l’implication des opérateurs, leur imagination, sont exclues du processus de changement technique.
• Ce premier commentaire doit être lui-même nuancé. En fait, l’opérateur le plus taylorisé rie se contente pas d’obéir aux instructions du bureau des Méthodes ou de suivre le mouvement de sa machine. Il utilise en permanence son imagination et son intelligence pour garantir la régularité du processus productif, en dépit des innombrables blocages causés par les produits semi-finis, les pannes, les disfonctionnements des machines, etc. Ce faisant, il exprime son autonomie en tant qu’être humain. En d’autres termes, il est toujours en opposition secrète, voire inconsciente vis-à-vis du mode formel d’opération tel qu’il est édicté par le bureau de méthodes. Cette « implication paradoxale », contradictoire (D. et R. Linhart [1985]) du travailleur manuel est en fait présupposée par le bureau des méthodes et par les chefs d’atelier. Sans cette implication, une chaîne de montage, un atelier automatique, si bien calculés qu’ils soient, ne pourraient pas fonctionner. Mais cette implication n’est pas reconnue dans l’organisation formelle de l’entreprise taylorienne. Elle représente une accumulation de savoir-faire qui ne peut pas être socialisée ni généralisée. De plus, elle dépend du climat social dans l’atelier, et la menace du renoncement à cette implication (la grève du zèle) peut devenir une arme entre les mains des travailleurs. La microconflictualité de la fin des années 60 peut être comprise comme un résultat de la situation de plein emploi de l’époque : c’est la part de vérité dans l’interprétation de la crise comme un « étranglement des profits » par ralentissement de la productivité dû au plein emploi (Lipietz [1982]). Mais cet argument ne peut pas expliquer la permanence de la crise de la productivité à la fin des années 70. A cette époque, la menace accrue de la perte de l’emploi avait recréé les conditions de l’implication paradoxale : mais le problème était... que cette implication restait paradoxale !

2) Régime d’accumulation et mode de régulation

Nous serons beaucoup plus brefs dans le rappel des autres aspects du fordisme. Les conséquences initiales du modèle d’industrialisation sont bien connues : une hausse rapide et prolongée de la productivité apparente, une hausse rapide et générale du volume de capital fixe par tête. C’est ce double caractère que l’on désigne par accumulation intensive. Dans une certaine mesure, et selon les pays, il s’est trouvé que la croissance de la productivité dans le secteur produisant les moyens de production a épongé presque exactement la croissance du volume de capital fixe par tête. Mais l’innovation majeure de l’après-guerre a consisté à contrebalancer la croissance de la productivité dans les branches de biens de consommation par une croissance presque égale du pouvoir d’achat. Une croissance stable, universellement prévisible et anticipée, étendue à tous les secteurs de la population, mais d’abord et avant tout aux salariés. Ce fut le résultat d’une croissance du pouvoir d’achat de chaque salarié et de la croissance du salariat non productif ou du moins non directement productif : personnel d’éducation et de santé du secteur publie, tertiaire marchand et financier du secteur privé (Aglietta et Brender [1984]).
Quant aux formes de régulation mises en place ou développées depuis 1945, elles contrastent avec celles du capitalisme classique de la fin du XIXe siècle en ce sens qu’elles réduisent l’importance des ajustements concurrentiels. En bref, il s’est agi de permettre aux agents économiques d’intérioriser la logique du régime d’accumulation, non en sanctionnant leurs échecs, mais en anticipant le succès de leurs initiatives, et en particulier du choix d’élargir la production.
La loi générale de la structure d’évolution du salaire direct est donc sous le fordisme : croissance du salaire = croissance des prix + croissance de la productivité générale. Les pays de l’OCDE sont parvenus à ce résultat par des moyens variés. Ils combinent en général le rôle des conventions collectives dans les secteurs-leader et d’un salaire minimum fixé par l’Etat, plus une garantie de revenus : l’Etat-providence (Lipietz [1983b]). Mais le principe du fordisme implique toujours que la hausse générale de la productivité se reflète effectivement dans une hausse générale du pouvoir d’achat anticipée par tous les entrepreneurs. Cette hausse générale est donc à la fois un encouragement à l’expansion des investissements de capacité pour les entreprises les plus productives et une contrainte obligeant à des investissements de productivité pour les autres. Les conventions collectives à caractère obligatoire ont rendu le contrat salarial relativement rigide, avec des limites à la liberté de licencier les travailleurs.
Du côté du capital, la concentration de la propriété et du contrôle capitaliste est un phénomène bien plus ancien que le fordisme. Mais l’approfondissement de la monopolisation à une signification microéconomiquement et macroéconomiquement différente dans le contexte plus général du fordisme. La concentration des capacités financières et technologiques et des parts de marchés dans une gamme assez large de produits adjacents signifie que les oligopoles peuvent profiter de l’atmosphère générale d’expansion des marchés, sans avoir rien à craindre des gains de productivité, contrairement à ce que pensaient Baran et Sweezy [1966], En contrôlant à la fois l’offre et les débouchés, les oligopoles peuvent contrôler la dépréciation économique des équipements obsolètes, en incorporant cette dévalorisation dans le prix correspondant aux nouveaux processus et aux nouveaux produits. En réalité, l’imposition du taux de marge est devenue de plus en plus une variable administrée, manipulée selon la stratégie de concurrence.
Enfin, les responsabilités de l’Etat dans la régulation de la création de monnaie de crédit (Lipietz [1983a]) et sa capacité à peser sur les revenus disponibles à travers le salaire minimum et les taux d’imposition oui les allocations de l’Etat-providence sont les deux modes d’insertion de l’Etat dans l’économie caractéristique du fordisme (Delorme et André [1983]). La manœuvrabilité de la demande effective sociale et de la liquidité monétaire constitue la base de ce que l’on appelle les « politiques keynésiennes », même si le keynésianisme proprement dit a davantage mis l’accent sur les dépenses directes de l’Etat (l’absorption). Cela implique une expansion considérable des dépenses sociales (école, santé, mesures écologiques, etc.) sans exclure l’extension des fonctions plus anciennement reconnues à l’Etat : politique agricole et industrielle, organisation et financement de la recherche et développement, contrôle direct (nationalisation) de certaines industries, planification, et bien sûr, l’aménagement du territoire et l’urbanisme.
La régulation des revenus par l’Eilat et par les conventions collectives nationales fut donc le second pilier du succès du régime fordiste d’accumulation, parallèlement au succès de son paradigme industriel. Ce second pilier fut à son tour érodé par l’internationalisation croissante clés processus productifs et des marchés (Lipietz [1985b], Glyn et al. [1986]). A son caractère déjà contradictoire de coût pour les entreprises et de déterminant des débouchés intérieurs, le niveau des salaires ajouta un nouvel aspect : un déterminant de la compétitivité internationale. Dans les années 70, l’arbitrage entre la croissance du marché intérieur et l’équilibrage de la balance commerciale devint de plus en plus difficile. Avec le « choc monétariste » de 1979-1981, quelques-uns des plus grands pays capitalistes avancés firent leur choix. Donnant la priorité à la compétitivité et à la reconstruction des profits, ils entreprirent la destruction de l’ensemble des régulations du rapport salarial, mettant ainsi un point d’arrêt définitif à l’ère fordiste.

3) La crise du fordisme : un résumé

Une interprétation commune de la « crise de la production de masse » (qualification assez vague du modèle fordiste) insiste sur le « côté de la demande » : la stagnation des marchés, due à la pression de la concurrence internationale, et la volatilité croissante de la structure de la demande (due à cette même concurrence dans un contexte de saturation des marchés centraux pour les biens durables). D’où la caractérisation de la crise comme « crise de sous-consommation » (interprétation popularisée aux Etats-Unis par le livre subtil et influent de Piore et Sabel [1984, p. 254]). La réalité est plus complexe.
On peut résumer l’explication alternative que nous proposons de la façon suivante (Lipietz [1985b]). D’abord, une crise latente du paradigme industriel, avec une décélération de la productivité et une croissance du rapport capital/produit, conduisit à une chute de la profitabilité dans les années 60. La réaction des chefs d’entreprise (par l’internationalisation de la production) et de l’Etat (la généralisation des politiques d’austérité) mena à une crise de l’emploi et par là de l’Etat-providence. L’internationali-sation et la stagnation des revenus déclenchèrent à leur tour la crise « du côté de la demande » à la fin des années 70. La « flexibilité » apparut alors comme une adaptation à ce dernier aspect de la crise, l’aspect « profitabilité » n’en demeurant pas moins fondamental.
C’est sur la base de cette analyse du double aspect de la crise que nous allons examiner maintenant l’apport des nouvelles technologies à une issue possible.

II - LA RÉORGANISATION DU PROCÈS DE TRAVAIL
ET DU RAPPORT SALARIAL

Le but du choc monétariste n’était pas seulement d’en finir avec les formes de régulation fordiste (par la désindexation des salaires, les coupes dans la sécurité sociale et les restrictions de crédits) et par là du régime d’accumulation correspondant (moins de consommation de masse, plus de profits, plus de hauts revenus, d’épargne, et d’investissements). Le paradigme industriel lui-même était en question et de nouvelles voies étaient explorées. Cette exploration fut présentée comme une « nécessité technologique », et la destruction corrélative des vieilles industries basées sur le principe fordiste fut présentée comme une « destruction créatrice » à la Schumpeter.

1) Nature et potentialités de la révolution technologique

Le trait principal de l’actuelle révolution technologique est l’invasion du microprocesseur et des interfaces électroniques non seulement dans de nouveaux produits, mais dans le processus de travail lui-même. Sans doute l’innovation en produits (équipement électronique de l’automobile, audio-vidéo, ordinateurs domestiques) entraînera probablement d’importants changements culturels. Cependant, d’un point de vue macroéconomique, elle ne fournit pas un champ suffisamment large de nouveaux débouchés (tels que furent le logement et l’automobile dans le fordisme). C’est plutôt du côté de l’innovation en processus que l’électronisation apporte des bouleversements. Car ici la microélectronique redéfinit le sens même de l’automation.

a) Sur chaque poste de travail

Tout d’abord l’électronique fournit les moyens de rendre le mouvement des machines plus complexe. Elles sont maintenant capables d’opérations qui autrefois étaient nécessairement manuelles (assemblage, etc.) A cet égard, l’électronique ne fait que suivre la tendance séculaire de la mécanisation, accroissant le volume de capital par tête, et la chute très rapide du coût de l’appareillage électronique n’est guère susceptible de compenser le coût croissant des organes hydro-pneumatiques ou électromécaniques de machines et de l’équipement périphériques ni celui de la programmation.
Mais par-dessus tout, l’électronique offre plus de « flexibilité » aux équipements. C’est-à-dire quelle ouvre la possibilité (à travers une reprogrammation supposée rapide et à bas coût) de changer le mode opératoire de machines standardisées, même automatiquement. Cette innovation est supposée introduire une rupture majeure dans l’articulation entre micro et macroéconomie (Coriat [1983]). Dans le modèle fordiste classique, la production de masse est en effet à la fois une nécessité micro et macroéconomique. La mise en valeur de grands assemblages mécaniques rigides requiert une production en continu en longues séries du même produit, et donc un marché de masse. A l’inverse, les équipements flexibles, tout aussi coûteux que les équipements rigides fordistes si ce n’est plus, requièrent aussi une utilisation en continu et en longue série, mais plus nécessairement pour la production du même produit. Le cycle de vie de l’équipement est ainsi partiellement découplé du cycle de vie d’un produit particulier. La mise en œuvre avec profit d’un équipement flexible est à présent possible avec plusieurs séries courtes à l’intérieur d’un éventail de produits différenciés visant à des marchés plus petits et segmentés. Néanmoins, le marché total devra croître à cause du coût croissant des immobilisations, de l’accélération de leur obsolescence, et donc de leur amortissement plus rapide.

b) Entre les postes de travail

Encore plus important : la gestion d’atelier elle-même peut être modifiée par l’introduction de l’électronique. La production assistée par ordinateur élargit considérablement les possibilités de gérer en temps réel les stocks en cours requis par chaque opération, suivant les besoins de la production dans l’atelier, laquelle peut être optimisée selon l’intensité de la demande intermédiaire et finale. De la même manière, elle élargit la possibilité d’optimiser le processus entre les postes de travail séparés, et de ce fait la planification sur chaque poste de travail. La conception et la fabrication peuvent elles-mêmes être plus strictement liées (CFAO). Le principe du « Just in Time » (gestion à flux tendu) l’emporte sur le principe « Just in Case » (régulation par les stocks) et le principe de la gestion à flux tendu peut être étendu aux relations entre les ateliers dans l’établissement, entre les établissements d’une même firme, entre les firmes et les sous-traitants (Sayer [1985]). L’oisiveté des machines entre les opérations et l’accumulation de stocks-tampon peuvent être strictement limitées. Il en résulte d’importantes économies, à la fois dans le capital fixe et le capital circulant.

c) Les limites

Ce rapide survol des promesses de l’électronique ne doit pas conduire (comme le souligne Berry [1985]) à une vision idyllique.
Tout d’abord, les vertus reconnues aux machines (elles sont supposées ne jamais se fatiguer ni faire grève) sont contrebalancées par le fait qu’il leur arrive de tomber en panne. Même si un robot standard peut n’avoir qu’un taux de panne de 1 %, il ne faut pas oublier qu’une chaîne de robots peut comprendre de 30 à 50 machines, la panne de l’une d’entre elles entraîne l’interruption du processus. Alors, le taux de disponibilité de l’ensemble s’en trouve réduit de 30 ou 50 %, à moins que, sur le terrain, des opérateurs manuels soient capables de compenser les opérations interrompues, ou que l’équipe de maintenance puisse intervenir en temps réel, ou que des programmes d’urgence modifient le fonctionnement automatique de l’ensemble en évitant la machine en panne. Cette remarque soulève tout le problème de l’implication et de la qualification des opérateurs.
Encore plus sévères sont les limites à la flexibilité. Contrairement à une surestimation commune de la « nouvelle bifurcation industrielle » (Piore et Sabel [1984]), la flexibilité entraînée par l’électronique n’implique pas nécessairement la fin de la tendance à la concentration technique et financière du capital. En fait, la flexibilité des équipements est contenue à l’intérieur du champ étroit d’une famille de produits. De plus, la mise en œuvre de cette flexibilité (c’est-à-dire d’une modification rapide des réglages du dispositif) est une opération très complexe qui requiert une très grande activité en temps réel, impliquant au même moment, la conception, la maintenance et le personnel de fabrication. Plus généralement la mise en œuvre des nouvelles technologies implique un processus d’apprentissage concernant à la fois les équipements et leurs modes de gestion et mobilisant une importante force de travail qualifiée. Enfin, le dispositif technique lui-même peut se démoder aussi vite que la série de produits pour laquelle il a été initialement conçu, ce qui diminue beaucoup les avantages de sa flexibilité [1].
La révolution technologique de l’électronique est donc en amont de la vraie bifurcation industrielle : est-ce que la division fordiste du travail sera remodelée ou non, est-ce que l’implication des travailleurs sera définitivement congédiée ou au contraire sera-t-elle prise en compte de matière systématique et non plus « paradoxale », avec un effacement des limites mêmes entre la conception, la maintenance et la fabrication ?

2) Trois types de relations professionnelles

La première branche de l’alternative pourrait aboutir à l’expropriation totale de l’opérateur direct de toute initiative, le triomphe de l’ingénierie et du bureau des méthodes. Tendanciellement, l’atelier pourrait devenir une sorte de module automatique intergalactique, avec peut-être quelques ouvriers en bleu pour quelques tâches d’approvisionnement ou de nettoyage et quelques techniciens en col blanc réglant le processus !
Tel peut être le rêve de la majorité des employeurs, fidèles à la logique du taylorisme, et cela plus précisément dans les établissements où, au cours des années 70, le mécontentement social a complètement dissout toute implication, même paradoxale, de la part des travailleurs. C’est la voie choisie à Turin par Fiat. Avec le Robotgate, le Digitron, le LAM, la direction se débarrassa de la présence même des travailleurs dans les ateliers les plus turbulents. Ce choix de l’élimination du travail vivant fut un choix principalement politique. La contrepartie en fut évidemment un grand bond en avant du rapport capital/ produit, bien au-delà de ce qu’aurait justifié un calcul « rationel ». Sauf en ce qui concerne le Robotgate (qui est même exporté aux Etats-Unis), la direction n’est plus disposée à construire des établissements à un tel degré d’automation, maintenant que la victoire contre l’insubordination ouvrière a été remportée. Selon l’un des principaux dirigeants de la Fiat, le LAM, qui a été conçu à une époque où la situation sociale était devenue ingouvernable, est une expérience intéressante mais qui n’est pas susceptible de généralisation. C’est un système coûteux qui requiert beaucoup de place et qui est beaucoup plus susceptible de tomber en panne que les dispositifs moins sophistiqués » (Santilli [1985]). Cette réversibilité de la mécanisation est caractéristique d’un arbitrage capital/travail à l’intérieur du paradigme industriel fordiste, et non pas d’une sortie de ce paradigme.
L’alternative est bien évidemment le choix de « réalisations techniques moins sophistiquées », mais mobilisant en temps réel l’implication des opérateurs directs. Cette implication ne peut plus rester « paradoxale ». L’enjeu est d’inciter le collectif des travailleurs, non seulement à s’impliquer volontairement dans l’ajustement permanent et dans la maintenance des équipements, mais de le faire de telle façon que les améliorations pourraient être systématiquement incorporées dans le hardware et dans le software. Le savoir-faire acquis à travers l’apprentissage sur le tas, dans la maintenance au jour le jour du processus productif, doit devenir susceptible de formalisation et d’assimilation par le personnel des bureaux des méthodes et l’ingénierie. En fait, le problème est de réunifier ce que le taylorisme avait séparé  : les aspects manuels et intellectuels du travail.
Un tel type de relations industrielles apparaît plus efficace que le précédent (Aoki [1986a]). Mais comment un tel compromis, entre le nouveau collectif de production « impliqué et multiqualifié » d’une part et l’encadrement d’autre part, pourrait-il être régulé, puisque naturellement l’implication et la qualification renforcent l’autonomie des travailleurs, et que telle était la raison « cachée » de la taylorisation ? Une nouvelle bifurcation apparaît.
Une première sous-alternative, que l’exemple des grandes firmes japonaises a illustrée, repose sur le compromis individuel : en contrepartie de l’implication du travailleur, sa participation au progrès de la firme, à travers des bonus, des avantages de carrières, etc. L’autre sous-alternative, dont on trouve des exemples dans les pratiques suédoises (ou dans l’accord Pirelli en Italie, l’accord BSN en France, le projet Saturn de la Général Motors) est la négociation collective. Le syndicat offre l’implication de ses membres dans la lutte pour la productivité et de hauts standards de qualité en échange d’un droit de contrôle sur les conditions de travail, les licenciements et le partage des gains de productivité.
A l’heure actuelle, aucune de ces trois voies (polarisation continue, négociation individuelle de l’implication, négociation collective de l’implication) ne s’est imposée comme un nouveau modèle hégémonique, un nouveau paradigme d’industrialisation. Elles coexistent à l’intérieur de la plupart des pays, à l’intérieur des firmes et même des établissements. Aucune d’entre elles n’a jeté les bases d’un nouveau régime d’accu-mulation, d’un nouveau modèle de développement. Pourtant, on peut supposer que la première voie conduirait à une polarisation sociale aggravée (en termes non seulement de qualifications, mais de revenus), la seconde pourrait aboutir au même résultat par le biais de l’ambiance de compétition individuelle qu’elle induit dans tout le corps social (y compris l’école), la troisième voie étant la seule qui pourrait conduire à la promotion collective, sociale et culturelle de l’ensemble des salariés.

3) Procès de travail et flexibilité du rapport salarial

Bien que les transformations du paradigme industriel soient certainement d’une importance majeure en ce qui concerne l’issue à la crise, elles ne nous disent pas ce que pourrait être le prochain régime d’accumulation et le mode de régulation. Il nous faut à tout le moins prendre en considération un autre débat actuel : celui de la flexibilité dans le contrat de travail. Cette flexibilité, par laquelle la direction s’autorise à embaucher et licencier à volonté, est proclamée nécessaire par de nombreux porte-parole du patronat ; l’imposer est un des buts principaux des politiques monétaristes. Une attaque définitive contre « l’excès de rigidité » du contrat de travail de type fordien ouvrirait la route à un nouveau régime d’accumulation.
Pour esquisser les différents modèles possibles, nous devons donc considérer non seulement trois formes typiques de réorganisation du procès de travail (polarisation des qualifications, implication individuelle, implication collective) mais aussi deux formes typiques de contrat de travail (rigide, et flexible). Bien sûr, la situation a plus de chance d’évoluer vers un marché de travail segmenté, tendance déjà observée au Japon, aux USA (Gordon, Edwards, Reich [1982]) et en Europe (Boyer ed. [ 1986]). Le « segment » primaire bénéficie alors d’un contrat de travail assez stable, tandis que le segment secondaire est soumis à la flexibilité (à travers la sous-traitance, les contrats à durée limitée, etc.) Remarquons que dans le segment primaire, on trouve à la fois des tâches autonomes (ingénieurs) et des tâches subordonnées (ouvriers qualifiés). Il est cependant nécessaire, pour la prospective, d’examiner les combinaisons les plus contrastées.
Une remarque préalable. On a parfois tendance à sous-entendre un lien implicite entre la « flexibilité » des nouvelles technologies et la « flexibilité » du contrat salarial. Il n’existe aucun lien de la sorte. Avant-guerre, les OS des chaînes de montage avaient un contrat « flexible » et les travailleurs qualifiés, polyvalents, très autonomes bénéficiaient parfois déjà de conventions collectives très « rigides ». Ce qu’il en sera demain de la nature du contrat salarial dépend des luttes sociales d’aujourd’hui (et bien sûr des traditions). Nous voulons poser ici une question plus pertinente : est-ce que la flexibilité et la rigidité sont compatibles avec n’importe quelle forme de réorganisation de procès de travail ? A ce stade de l’expérience historique, on peut seulement considérer les implications logiques des différentes combinaisons.
La première combinaison, polarisation dans les qualifications et rigidité dans le contrat salarial, signifie la stricte continuation du fordisme, et ce fut la principale tendance dans les années 1970, aux USA et en Europe. Comme nous l’avons déjà vu, elle n’a pas pu renverser les faiblesses sous-jacentes aux années 60 : croissance du rapport capital-produit, insuffisance des gains de productivité.
La seconde combinaison, même paradigme industriel, avec plus de flexibilité dans le contrat de travail, fut la principale réponse à ces limites. L’idée est d’optimiser la capacité microéconomique de la firme à s’adapter au caractère « volatile » de la demande et de s’assurer une meilleure part du profit dans la valeur ajoutée. Mais cette microéconomie débouche sur un paradoxe de composition, même au niveau national : avec des salaires plus bas et moins de rigidité dans la demande agrégée, il est probable qu’apparaissent des problèmes du côté de la demande (sans compter les troubles sociaux !), avec un grand retour des « cycles des affaires » et une chute encore plus forte, expost, de la profitabilité des établissements hautement automatisés. Cette situation, pas très différente des problèmes d’avant-guerre dans la régulation concurrentielle, pourrait être la caractéristique de l’économie des Etats-Unis depuis 1979 et plus précisément depuis 1981. De plus, on peut se demander si une telle solution pourrait porter à une amélioration dans la qualité des produits.
En revanche, la troisième combinaison, tentative d’implication individuelle à l’intérieur d’un contrat de travail rigide, a été l’objet d’expériences minoritaires dès les années 70. Ces expériences « d’enrichissement du travail » ne furent pas à l’époque considérées comme un grand succès, car les incitations à une plus grande implication n’étaient pas évidentes dans le cadre de conventions collectives plutôt homogènes. Le « patriotisme d’entreprise » est alors la seule incitation possible ; il reste largement utilisé au Japon.
Au contraire, une quatrième combinaison, implication individuelle plus contrat de travail flexible, semble être la, pure et simple mise en œuvre des principes libéraux, et certains y voient une idéalisation de l’expérience italienne actuelle (bien que ce ne soit certainement pas une interprétation correcte des succès industriels italiens : Leborgne [1987]). En fait, des industries peu capitalistiques et une négociation individuelle pourraient être compatibles (du point de vue microéconomique) avec des contrats flexibles, et les travailleurs seraient vraisemblablement conduits à « s’impliquer » de façon à éviter le renvoi. La « culture entrepreneuriale » tiendrait lieu de ciment idéologique. Toutefois, le problème de la demande agrégée au niveau national et international reste non résolu et de vastes cycles des affaires internationaux auraient de fortes chances de se développer.
Quant à la cinquième combinaison, négociation collective sur le procès de travail plus contrat flexible, elle apparaît tout simplement incohérente au niveau micro-sociologique. Une classe ouvrière impliquée est une classe ouvrière dont le savoir-faire est accumulé à la fois au bénéfice de la firme et des travailleurs. C’est impossible s’il n’apparaît pas de communauté de destin entre la firme et ses salariés.
C’est précisément ce que la dernière combinaison garantirait : négociation collective sur l’implication à l’intérieur d’un contrat salarial rigide. Cette combinaison apparaît comme le meilleur compromis entre le besoin de flexibilité de la production de la part des firmes et le besoin de sécurité de la part des travailleurs. Par ailleurs, il ouvre la possibilité d’un accord macroéconomique assurant le plein-emploi (en réduisant le temps de travail par exemple). Mais ce compromis, s’il ne l’emportait qu’à l’échelle nationale (le modèle suédois ?) serait menacé par la concurrence internationale [2].
Ce qui est sûr, c’est que les principales réussites industrielles de la première moitié des années 1980, le Japon, l’Allemagne de l’Ouest, appartiennent à la famille des cas mixtes, avec une division profonde de la catégorie des salariés entre un segment rigide et un segment flexible, avec des tendances, dans le procès de travail, à l’implication négociée, au moins dans le segment « rigide ». Le problème, c’est que ces expériences sont associées à de très forts excédents de la balance commerciale des biens manufacturés. Comme cela ne peut pas être le cas pour tous les pays en même temps (ce n’est même pas le cas pour tous les : pays industriels en même temps), les problèmes « du côté de la demande » restent ouverts, sans parler des conséquences humaines et sociales dramatiques de cette situation pour le « mauvais segment » du marché du travail (voir Walraff [1985]).
Aoki [1986b] éclaire ce point. Selon son analyse, le compromis entre encadrement et travailleurs dans les firmes principales japonaises et chez leurs principaux sous-traitants consiste à partager les quasi-rentes (en termes marxistes : la plus value extra) revenant à ces firmes à cause de leurs plus hautes productivités sur le marché mondial. Contrepartie de l’implication des travailleurs : un contrat implicite collectif pour l’emploi à vie et un bonus individuel explicite selon leur « bonne volonté ». Mais cette « fidélité » entre les firmes et leurs salariés doit être limitée à une fraction restreinte du salariat : un compromis « à guichet fermé » s’opposant aux intérêts des travailleurs du segment secondaire, dans les strates plus périphériques de la sous-traitance. En d’autres termes, ce compromis « saturnien » (comme nous l’appelons plus loin), quand il est négocié (même implicitement) entreprise par entreprise, implique un dualisme dans le marché du travail. C’est ce que Aoki appelle le « dilemme de la démocratie ouvrière ». R. Mahon [1987] souligne les risques de ce « modèle napolitain » [3] : une restriction de la « démocratie des artisans » (« yeomen democracy », selon Piore et Sabel) à une fraction privilégiée de la classe ouvrière. Les tâches de service aux consommateurs risquent fort d’être régies par un rapport salarial pauvre et précaire, et comme le souligne J. Jenson [1987], il est probable que les femmes seront les premières exclues de cette « yeomen democracy ».

4) Premier bilan

Comme nous l’avons souligné dans les notes, les considérations précédentes sont loin d’être suffisantes pour fournir le cadre des possibles modèles de développement futurs. Les différences quant à la portée des compromis nationaux (incluant ou non une solidarité entre les divers segments de la force de travail), les différentes options quant au partage des gains de productivité (à travers la hausse du pouvoir d’achat ou la baisse de la durée du travail), les différences quant aux configurations mondiales peuvent conduire à des régimes d’accumulation très différents. Pourtant nous pouvons déjà esquisser plusieurs classes de modèles.
A travers la discussion précédente, une première simplification apparaît. D’abord, considérant que la première combinaison est le point de départ fordiste, on peut supposer qu’il continuera à prédominer pendant un certain temps, avec une évolution naturelle vers la seconde (à la recherche d’économies sur les salaires). Ce scénario : approfondissement des principes tayloriens, plus d’automation, et moins de contreparties « fordistes » pour les travailleurs, peut être qualifié de voie néo-tayloriste pour la technologie et pour la Société [4]. Il conduit à des structures sociales très insatisfaisantes, avec une polarisation des qualifications, un dualisme dans le marché du travail et dans la société. Comme les régimes d’accumulation correspondants ne présentent pas de tendance incorporée à la croissance des marchés intérieurs (la tendance à la hausse de la composition du capital entraînant même une tendance à limiter les salaires), ces régimes d’accumulation seront caractérisés par des cycles des affaires et des guerres commerciales internationales. Un avenir pas très plaisant, mais un avenir possible.
Au contraire, la combinaison « implication collective/flexibilité » apparaît tout simplement incohérente, une utopie patronale. La combinaison « implication collective dans un contrat rigide » quant à elle peut apparaître comme une utopie pour le Travail. Toutefois, ce rêve d’un « new-deal » pour le XXIe siècle (Lipietz [1987]) semble être partagé par certains dirigeants, pas seulement en Suède, mais aussi au Japon (Aoki [1986b]), en Italie [5], dans le rapport Riboud [1987] en France, et même dans la « Waterbelt », l’Est américain (Messine [1987]). Une telle classe de modèles est susceptible de présenter les propriétés de stabilité du fordisme, le patronat tirant profit des avantages d’une évolution technologique moins intensive en capital et plus productive, les travailleurs se voyant garantir une plus grande sécurité d’emploi, de plus hauts salaires et/ou moins de temps de travail. A la suite de Messine, appelons les modèles de cette famille « saturniens  » (revanche éponymique de General Motors sur Ford, et même si le projet Saturne de la Général Motors n’est pas plus saturnien que la Ford T n’était fordiste, et même si la priorité de Volvo en Suède justifierait plutôt le nom de « kalkarien », comme le remarque Rianne Mahon !).
Reste maintenant les cas de « négociations individuelles de l’implication ». Les difficultés avec la variante « rigide » (la voie volontariste pour l’implication des travailleurs) peuvent être levées en prenant en compte la possibilité d’une différenciation des salaires en fonction de l’implication individuelle du travailleur (Walton [1985]). Combinée avec le « bâton » de la perte de travail dans la variante « flexible », cette « carotte » conduirait à une sorte de remarchandification du rapport salarial qui semble dans le droit fil de la mode idéologique pour la régulation marchande. Appelons les modèles de cette classe « californiens  ».
Les propriétés macroéconomiques des modèles californiens ne sont pas claires. Avec leur flexibilité plus grande, leur caractère moins intensif en capital, il est probable qu’ils soient un peu plus stables que les modèles néo-tayloriens. Mais, comme Messine [1987] le souligne, les nouvelles technologies requièrent plus qu’une implication individuelle dans leur mise en œuvre. Le savoir-faire requis est probablement collectif, sauf pour les techniciens supérieurs. C’est pourquoi le plus raisonnable est d’imaginer ces modèles comme conduisant à une « société à trois niveaux » : un segment primaire de travailleurs autonomes, avec une relation salariale faisant largement place à la mobilité et à la négociation individuelles, un second segment de postes subordonnés avec une relation salariale plus rigide (mais incluant des bonus), des postes taylorisés avec un rapport salarial de type précaire pour les tâches les moins qualifiées. Nous reconnaissons ici la Silicon Valley.
Comme il n’existe pas encore un modèle qui soit hégémonique, la réalité apparaît pour le moment comme un mélange de ces différents modèles. Aussi est-il difficile d’identifier les « spatialités » (Lipietz [1971]) de ces modèles. De plus, il manque quelques maillons. Les territoires préexistants, modelés par un certain type de rapport salarial, vont offrir des possibilités différentes pour le déploiement des spatialités des différents modèles. Et ce déploiement lui-même sera le résultat des stratégies de réorganisation des capitaux, de leur politique d’articulation entre firmes et entre établissements. Ce qui nous conduit aux problèmes « d’organisation industrielle », c’est-à-dire de rapports interfirmes.

III - NOUVELLES TECHNOLOGIES ET ORGANISATION INDUSTRIELLE

La forme classique d’organisation industrielle dans le modèle fordiste était la division du travail, à l’intérieur de la firme, entre les ateliers, suivant les principes tayloriens (I : l’ingénierie et le bureau des méthodes, II : la fabrication qualifiée des machines, III : l’exécution déqualifiée, c’est-à-dire par exemple les chaînes de montage). Si aiguë était cette division, que la division entre les ateliers pouvait prendre la forme d’une division entre établissements, une « désintégration spatiale  », et même une division entre firmes, donneurs d’ordre et sous-traitantes, pour le niveau III (« désintégration verticale  »). Cela conduisit à la théorie des circuits de branches (Lipietz [1974, 1977]). Plus récemment, les tendances à la désintégration verticale devinrent si répandues (et le succès des petites et moyennes entreprises si surestimé !) que la géographie industrielle (avec Storper [1985], Walker [1985], Scott [1987a]) dut revenir avec plus de soin à l’étude de l’organisation industrielle et au débat classique « marché contre hiérarchie ».
Relisant Coase [1932] et ses successeurs, Scott affirma que ce qui poussait la firme vers l’intégration verticale n’était pas seulement la recherche d’économies d’échelle, mais plus profondément « d’économies de portée » (« scope  »), c’est-à-dire d’économies dans la gestion réalisables grâce à l’intégration de plusieurs processus productifs. Or, il va de soi que la routinisation du procès de travail selon les principes tayloriens, par l’autonomination des différentes fonctions qu’elle entraîne, a des chances d’affaiblir ces économies de portée. Cela peut entraîner une désintégration spatiale à la recherche de conditions locales avantageuses sur le marché du travail. Une routinisation encore plus forte conduit à la désintégration verticale (sous-traitance de volume). Au contraire, les tâches-clefs de niveau I (recherche et développement, bureau des méthodes, marketing) doivent rester « verticalement intégrées ».
Maintenant, et en ce qui concerne l’organisation industrielle, qu’est-ce que les nouvelles technologies vont apporter, dans la recherche de moindres coûts (et en particulier d’économies en capital fixe), d’une meilleure position sur un marché mondial plus concurrencé, avec une plus grande différenciation des produits, à travers l’innovation et la qualité [6] ?

1 ) Vers la firme spécialisée

Les nouvelles technologies offrent de nouvelles possibilités d’organisation indus-trielle, principalement grâce à la gestion des flux d’informations et de produits assistée par ordinateur, à la flexibilité des biens d’équipement, à la standardisation que permet la fabrication automatisée de haute précision, à la conception modulaire des produits et au montage automatisé par sous-ensembles.
La segmentation en modules du processus de travail et la gestion intégrée de leur enchaînement permettent la transformation des processus séquentiels en processus à flux continus et la production en continu de biens différenciés. D’où la transformation du contenu même des économies d’échelles soulignée plus haut. La notion « d’économie de temps » va s’étendre du procès de travail direct à la totalité du processus (de la conception à la vente). Elle conduit à la gestion « à flux tendu » de tout le processus.
La gestion optimale de processus modulaires intégrés tout comme la gestion à flux tendu de l’interconnexion de ces modules semblent plaider pour une plus grande intégration verticale des entreprises. Mais l’automation flexible (en permettant la production en continu de biens différenciés), et la gestion informatisée des flux (en diminuant les « coûts de transaction », c’est-à-dire le coût de mise en rapport marchand de deux segments d’un processus productif) ouvrent en réalité de nouvelles possibilités de désintégration verticale. Il semble que le nouveau point d’équilibre en formation soit la firme spécialisée, produisant une gamme restreinte de biens différenciés (finaux ou intermédiaires). C’est à ce niveau qu’est réalisée la gestion optimale de la qualité, de l’innovation et de l’économie de temps (Leborgne D. [1987]).
En fait, l’automation conduit à une prolifération de savoir-faire spécialisés toujours plus pointus, y compris la production de software ou de recherche appliquée qui étaient considérés il y a dix ans comme faisant partie du noyau de l’activité des grandes firmes et qui deviennent des branches en elles-mêmes. Par ailleurs, la production flexible ne fait qu’accentuer l’importance de la maîtrise d’une succession de séries courtes. Cela peut certes toujours se faire a l’intérieur de firmes intégrées, mais de plus en plus par externalisation », sur la base d’un réseau de firmes spécialisées, sous-traitant pour une ou plusieurs firmes donneur d’ordre. Tel est le résultat de la loi selon laquelle la complexité de l’intégration croît plus que proportionnellement au nombre de maillons à intégrer : de ce fait, une certaine désintégration technique permet un contrôle plus serré des coûts et de la qualité. Alors, la gestion assistée par ordinateur des flux externes, c’est-à-dire entre les firmes tout comme la plus grande précision de la fabrication permettent aux firmes principales de coordonner des sous-traitances à flux tendu.
Telles sont les raisons techniques (les « conditions permissives » en quelque sorte) qui plaident pour une désintégration (ou « externalisation ») de certains fonctions. Il faut y ajouter des pressions économiques et financières. Quel que soit le prochain modèle de développement, la crise actuelle, l’instabilité croissante de la conjoncture dans les ébauches de modèles actuellement dominants et la tendance à une plus faible durée de vie des produits renforcent l’importance de la mutualisation des risques sur la recherche et développement, sur les immobilisations en haute technologie, et plus généralement sur les immobilisations en capital fixe, entre plusieurs propriétaires du capital. La déverticalisation des grandes firmes en réseaux de firmes spécialisées peut être une réponse à ce défi. Mais cet approfondissement de la division sociale du travail entre les entreprises n’implique pas une déconcentration parallèle de la hiérarchie et du contrôle capitaliste : c’est ce que nous allons voir.

2) La quasi-intégration verticale

La zone obscure entre la « hiérarchie » (interne à la firme) et le marché (entre les firmes) a été puissamment éclairée par le concept de quasi-intégration verticale (Houssiaux [1957], Enrietti [1983]).

a) Définition

La QIV peut être caractérisée par :
• des relations stables entre fournisseurs et clients,
• une part importante du client dans le chiffre d’affaires du fournisseur ;
• un champ de sous-traitance étendu de la conception et à la commercialisation :
• des formes non marchandes de relations interfirmes, allant de la subordination au partenariat.
Ainsi la firme principale bénéficie des avantages de l’intégration verticale (bas coût de transactions, gestion à flux tendu, flexibilité de la politique globale) et de la désintégration verticale (capacité innovatrice des sous-traitants, exigences sur la qualité, mutualisation des risques sur la recherche et développement et sur les immobilisations). Cela implique une généralisation des relations non marchandes entre les firmes : alliances stratégiques, transferts de technologies, programmes de recherche communs, « joint ventures », etc.
La quasi-intégration verticale recouvre certainement les formes classiques fordiennes de sous-traitance, mais la grande innovation par rapport à ces formes est l’existence de la firme spécialisée, dotée de capacité de conception et, corrélativement, le développement du partenariat à l’intérieur de la domination. Si on qualifie de « verticale » la désintégration par sous-traitance typique du fordisme et d’« horizontales » les relations marchandes entre « égaux » (par exemple entré Citroën et Michelin), il est tentant de parler ici de « désintégration diagonale » [7], entre les formes les plus pauvres de sous-traitance et les formes les plus sophistiquées de partenariat (penser aux rapports entre Mercédès et Boch). La quasi-intégration verticale est ainsi une forme de contrôle très compétitive sur les marchés. En fait, c’est précisément « la capacité de gérer n produit avec m processus sur p marchés qui devient la principale barrière à l’entrée dans la branche, et celle-ci consolide les liens opérationnels entre les firmes existantes » (Bianchi [1985]).
Encore faut-il qu’il existe de telles firmes ! Ici, il faut tracer une ligne de démarcation importante quant aux avantages de la QIV, suivant les formes de son déploiement territorial. Ce qui apparaît comme un inconvénient aux USA ou en France (c’est-à-dire : la crainte d’une concurrence de la part des sous-traitants, la perte de savoir-faire et de contrôle sur la production dans les firmes donneurs d’ordre : voir Wilson et Dobrzynski [1986]), cela peut, on va le voir, apparaître comme un avantage en Italie, au Japon et en Allemagne.

b) Deux formes polaires de QI V

Les « inconvénients » de la QIV sont éclatants dans le cas des Etats-Unis, parce que celle-ci s’y réalise à travers la délocalisation et le recours à des entreprises spécialisées à l’extérieur du territoire : au Japon pour les tâches de haute qualification, en haute technologie) et dans les pays du tiers monde pour les tâches non qualifiées voire semi-qualifiées (cf. par exemple Scott [1987b]). Appelons cette forme « la QIV territorialement éclatée  » (ou désintégrée). Elle conduit à une désindustrialisation marquée avec une faible diffusion des innovations en haute technologie à l’intérieur de l’industrie nationale, etc.
Au contraire, la « QIV territorialement intégrée » se réalise comme réseau sur le même territoire national, voire même régional. Les effets macroéconomiques multiplicateurs et accélérateurs y jouent à plein à l’intérieur du pays qui garde la maîtrise de la diffusion des innovations de branche à branche, à travers des relations intrarégionales directes. C’est le cas typique de la plaine du Pô en Italie, de nombreux « länder » d’Allemagne et de certaines régions françaises (Isère, Savoie : voir Courlet et al. [1987]).
Le contraste entre ces deux formes de déploiement territorial de la QIV est éclatant dans la branche des biens d’équipements industriels (machines-outils à commande numérique, robotique). Il est vrai que de secteur peut lui-même être considéré comme un « microcosme-noyau » de l’industrie tout entière (Leborgne [1987]) : noyau parce que s’y élaborent les nouvelles normes de production, microcosme parce que le secteur lui-même devient un modèle réduit des principes dominants d’organisation industrielle.

IV - TENTATIVE DE PROSPECTIVE SPATIALE

Nous pourrions continuer, comme dans la seconde section, avec une discussion de la plausibilité des résultats d’une combinaison : intégration, désintégration ou quasi-intégration verticale, intégration ou éclatement territorial, et il faudrait ensuite recouper les résultats avec ceux de la seconde partie ! Ce serait par trop complexe et indigeste. Partons donc directement des « classes de modèles de développement » auxquelles nous sommes déjà arrivés, ajoutons-y notre réflexion sur l’organisation industrielle et tâchons d’en déduire les tendances du redéploiement spatial.
Mais auparavant, encore une remarque méthodologique. Les formes typiques de relations professionnelles et d’organisation industrielle varient bien sûr selon les branches, même dans la même région (Lafont, Leborgne, Lipietz [1980]). Mais, selon notre expérience, un « modèle hégémonique », une combinaison particulière de telles relations sociales, a de bonnes chances de prévaloir au niveau régional ou national. Un modèle de développement est en effet par nature « territorialisé » : les rapports sociaux du même genre, qui prévalent dans l’espace social, tendent à se diffuser d’un secteur d’activité à l’autre. Il en est ainsi parce que le modèle s’impose comme un « habitus », un ensemble de comportements culturels, sociaux, de schémas mentaux, qui se condense en compromis institutionnalisés au niveau national ou régional (Lipietz [1985a]).

1) La voie néo-taylorienne

Cette classe de modèles serait dans la lignée des tendances classiques du modèle fordiste (telles qu’elles sont analysées de Lipietz [1974] à Noyelle [1982]) : la désintégration territoriale, selon les trois niveaux de qualification, sur trois types de régions, avec sous-traitance de plus en plus fréquente au plus bas niveau de qualification (sauf en ce qui concerne les dernières opérations d’assemblage aval). On peut considérer cela comme la forme la plus pauvre de QIV : la qualité médiocre des liens dans la hiérarchie entre les firmes reflète la pauvre qualité des relations professionnelles au sein des firmes. Il est probable que prévale dès lors la QIV territorialement éclatée. En cas d’intégration verticale, les établissements de montage seront dispersés dans la campagne. En cas de quasi-intégration verticale se formeront des agglomérations de sous-traitants, autour des firmes principales ou dans des zones à bas salaires, pour maximiser les possibilités d’économie externe dans le transport et minimiser les coûts de transaction. De telles zones peuvent être observées dans le Sud-Est asiatique (Scott [1987b]), et c’est ce que cherche à encourager la politique des « zones d’entreprises » dans les régions désindustrialisées. Mais elles peuvent apparaître aussi spontanément. Elles correspondent à la notion d’aire productive spécialisée, dans la typologie de Garofoli [1986] réalisée sur les villes italiennes.
Les « aires productives spécialisées » sont des agglomérations de formation récente, nourrissant un faible rapport avec la formation sociale régionale préexistante. Elles sont monosectorielles, orientées vers l’exportation, avec de faibles liens interfirmes sur leur territoire (si ce n’est ceux de la concurrence !) Les relations salariales y sont de type flexible, sous grande implication des travailleurs.
Dans quelques industries, le néo-taylorisme peut conduire à une automation si économe en travail que les travaux directs déqualifiés disparaissent pratiquement, et avec eux l’intérêt de la désintégration verticale. Cela ne remet pourtant pas nécessairement en cause le processus d’éclatement territorial : par exemple, les établissements fortement automatisés quittent le comté de Santa Clara, à la recherche de terrains moins chers.
Finalement, un modèle néo-taylorien conduirait à un monde plus polarisé, avec des formations sociales nationales plus divisées, à une spécialisation marquée entre les régions, et à l’intérieur des régions, le développement d’aires spécialisées déqualifiées contrastant avec celui de grands « pôles de croissance » urbains. Les tâches de niveau supérieur (recherche et développement, conception, finance, emplois tertiaires de haut niveau) se concentreraient en effet dans les « Centres nodaux » de quelques métropoles, plus précisément dans leurs centres-villes, avec toute une hiérarchie de banlieues, de centres urbains secondaires, des aires productives pour mères de familles bachelières, spécialisées en travaux tertiaires sans contact avec le public (« back office jobs  » : K. Nelson [1986]). Comme, dans les métropoles d’un tel modèle, la richesse serait concentrée, la prolifération des pauvres en quête des retombées de la dépense des riches élargirait un segment secondaire d’emplois pour services aux particuliers, avec un dualisme à l’intérieur des villes, suivant le sexe, l’ethnie, etc. (Harrison et Bluestone [1987]).
Un tel tableau correspond à la tendance principale des Etats-Unis d’aujourd’hui, telle qu’elle a été brillamment stylisée par Manuel Castells [1985] [8]. Mais ce n’est pas un résultat nécessaire des hautes technologies. C’est celui qui correspond à une voie néo-tayloriste dans l’usage de ces technologies ! Et il se peut qu’elle ne soit pas la meilleure, même d’un point de vue capitaliste.

2) La voie californienne

Le trait principal des modèles dits « californiens » est l’implication des travailleurs sur une base individuelle (incitation par la prime, la carrière, la peur de licenciement). Nous avons vu que la macroéconomie de cette classe de modèles est peu claire. L’implication individuelle pourrait être utilisée surtout comme un type de relations professionnelles plus « efficaces » à l’intérieur d’un régime principalement néo-taylorien (par exemple, les relations salariales de ce type à Disneyland), mais elle peut aussi modifier profondément la mise en œuvre des nouvelles technologies, à travers d’autres formes d’organisation industrielle, avec d’autres conséquences spatiales.
D’une façon générale, « implication » veut dire : plus de professionnalisme et plus d’interactions « de face à face » (non hiérarchiques et non marchandes). Mais la régulation marchande prévaut toujours dans les modèles californiens, que ce soit dans les relations professionnelles ou dans la circulation des produits. Par conséquent, la désintégration verticale tend à devenir la forme dominante d’organisation industrielle. Mais la nécessité d’interfaces directes et de professionnalité implique une concentration territoriale, dans des zones que (toujours par référence à la terminologie de Garofoli) nous désignerons par systèmes productifs locaux.
Un « système productif local » est encore monosectoriel, tiré par la demande extérieure, mais il y a une spécialisation intra-sectorielle des firmes, et donc une tendance à une quasi-intégration verticale locale entre les firmes. Il implique une offre locale, probablement ancienne, de qualification professionnelle. L’origine des firmes peut être externe à la région ou interne (par bourgeonnement).
Le cas typique est bien sûr la Silicon Valley de Santa Clara (voir Saxonian [1985]). Elle est le point de rencontre, sur un marché, d’une offre très centralisée de savoir individuel (l’université de Stanford créant son parc technologique en 1952) et d’une énorme et permanente demande de la part de l’Etat dans les industries d’armement. De plus, après Hewlett-Packard (1938), le tronc Bell-Fairchild engendra toute une généalogie proliférante de fabricants de microprocesseurs. Comme on le voit, la régulation à l’intérieur de la Silicon Valley combine le face-à-face et là marché, mais sa genèse est loin d’être un résultat de la libre entreprise ! A côté de ce cas précoce de « Technopole », il existe un grand nombre de systèmes productifs locaux spontanément engendrés sur la base d’anciennes traditions et savoir-faire régionaux, en Italie, en Allemagne, etc. Mais l’expérience de l’Asie de l’Est (et pas seulement de la Corée !) a montré que l’intervention de l’Etat et la diffusion organisée du savoir-faire technologique permettaient une transition depuis l’a’ ire productive spécialisée du type néo-taylorien vers le système productif local (voir Scott [1987b]). Une grave menace pour les entreprises donneuses d’ordres externes à la zone !

3) La voie saturnienne

Cette troisième classe de modèles suppose non seulement l’implication des travailleurs, mais aussi une négociation collective, non marchande, de cette implication. Les syndicats de travailleurs et les unions patronales professionnelles, ainsi que les administrations de tous niveaux sont donc impliqués dans le mode de régulation. Il ne fait plus de doute que cette classe de modèles (on en trouve l’exemple en Suède et dans une certaine mesure au Japon, en Allemagne, dans l’Italie du Nord et dans quelques Etats de la « Waterbelt » américaine [9]) se révèle la plus performante, du propre point de vue capitaliste.
Comme les relations professionnelles à l’intérieur des firmes sont basées sur la qualification et la coopération, les principes d’organisations industrielles entre firmes ont de bonnes chances d’être basés sur des formes de partenariat entre firmes, syndicats, universités et administrations locales. Le déploiement spatial de ce complexe est appelé aire-système dans la typologie de Garofoli. La QIV y prend la forme d’un réseau intégré territorialement, diversifié, multisectoriel, d’entreprises spécialisées et d’entreprises donneuses d’ordre. On y trouve une diffusion organisée, et même planifiée, du savoir social, avec des liens étroits entre le système bancaire régional et le système industriel, des liens étroits avec tout le reste de la société civile (y compris l’agriculture, la famille, l’école), avec des possibilités importantes de promotion sociale ascendante à travers l’éducation et l’implication, etc. [10].
En un mot, le déploiement des modèles saturniens en aires-systèmes requiert et consolide un consensus social. Il exclut le dualisme dans la société. Dès lors, il est plus susceptible de se développer là où la crise des anciens compromis fordiens n’a pas conduit à une flexibilisation défensive (une destruction des anciens accords entre capital et travail, impliquant une atomisation sociale). Au contraire, il requiert un plus haut degré de négociation explicite entre le travail et le capital dans la construction d’une flexibilité offensive, c’est-à-dire une capacité collective plus haute de tirer parti des avantages productifs et sociaux des nouvelles technologies, à travers une diffusion générale du savoir social.

Comme le Dieu Janus, les nouvelles technologies sont à double face. Elles offrent des occasions à la fois de progrès et de régression sociale. Au niveau du rapport salarial, elles peuvent être mises en œuvre à travers une polarisation plus forte des qualifications ou à travers une implication générale des travailleurs, avec un contrat salarial flexible ou rigide, avec une négociation de l’implication des travailleurs individuelle ou collective. Ces bifurcations conduisent à plusieurs classes de modèles de développement, que nous avons appelées ici néo-tayloriste, californien et saturnien (ou kalkarien). En ce qui concerne l’organisation industrielle, les nouvelles technologies poussent à la formation de firmes spécialisées avec une quasi-intégration verticale. Mais cela peut se réaliser à travers une intégration ou un éclatement territorial.
On l’aura déjà remarqué : il n’y a pas pour nous de déterminisme entre la technique et les relations professionnelles du travail. L’informatique en soi ne conduit ni à la déqualification ni à l’implication. Les mêmes techniques (à base de microprocesseurs) peuvent se diffuser selon des paradigmes technologiques, des modèles différents d’industrialisation, selon les résultats des luttes le classes, de la concurrence internationale, des compromis politiques. Quant aux rapports interentreprises, ils obéissent à une dynamique elle aussi relativement indépendante. Notre sentiment, toutefois, est que, jusqu’à un certain point, il existe une correspondance entre les formes « évoluées » de relations professionnelles au sein des firmes d’une part, et les formes sophistiquées de partenariat au sein de la quasi-intégration verticale d’autre part. Inversement, la précarité dans Ies firmes rime avec la médiocrité des relations de sous-traitance.
Les conséquences spatiales semblent être les suivantes. La voie néo-tayloriste est associée à un éclatement territorial et conduit à une polarisation spatiale avec d’une part, la concentration d’activités financières et de services aux entreprises de haut niveau dans le centre des grandes villes et d’autre part, la dispersion d’établissements spécialisés en zones rurales ou la formation d’aires productives spécialisées à bas salaire. La voie californienne est associée avec une intégration territoriale plus serrée, favorisant des systèmes productifs locaux. La voie saturnienne est associée à des formes de partenariat dans la quasi-intégration verticale, elle induit la formation d’aires-systèmes territorialement intégrées. Des deux voies polairement opposées (néo-taylorienne et saturnienne), la première est, bien sûr, la voie de la facilité pour le capital qui tirerait ainsi avantage du pouvoir de négociation affaibli des travailleurs. Ce fut certainement la tendance principale dans la première moitié des années 80. Mais à présent, les avantages des options plus saturniennes ou « kalkariennes » sont mis en lumière par les succès industriels eu Japon, de l’Allemagne, de l’Italie et les difficultés des USA et de la France [11]. Tel est le résultat d’un meilleur compromis entre les intérêts à moyen terme du capital et du travail dans la maîtrise des nouvelles technologies.
Certes, des forces puissantes poussent les propriétaires de capitaux dans l’autre direction. Certes, les travailleurs peuvent être réticents devant l’abandon des anciens compromis, ou bien incapables d’imposer des compromis « saturniens », ou encore ils peuvent préférer lutter pour des objectifs encore plus avancés. Tout comme le présent, l’avenir a des chances de se présenter comme un mélange imprévisible entre les trois classes de modèles. Mais en tout cas, il ne sera certainement pas déterminé par la pure « logique du capital » ni par celle des nouvelles technologies d’ailleurs. Comme dans les crises majeures précédentes, la puissance et l’orientation du mouvement ouvrier sera d’une importance décisive quant à l’orientation du capitalisme de l’après-crise (Lipietz [1985c], Mahon [1987]).
Dans ce texte, nous n’avons pais exploré la faisabilité de la voie saturnienne ni le cadre institutionnel régulant son émergence, ni les différenciations qui peuvent se perpétuer dans les différents modèles, selon le sexe ou l’ethnie. Par-dessus tout, nous n’avons pas traité de sa cohérence macro-économique ni de sa stabilité dans une compétition mondiale dérégulée. Dans une déclaration citée par Messine [1987], Jack Russel, un fonctionnaire du Michigan, hérault de la logique saturnienne des aires-systèmes, concluait :
« Peut-être, dans les années 90, serons-nous regardés comme des pionniers. Peut-être notre travail aura-t-il été balayé par des forces macroéconomiques sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle. Mais faire ce que nous faisons me semble la seule attitude honorable dans la situation, actuelle. »

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________
NOTES


[1En d’autres termes, l’investissement en nouvelles technologies reste un pari, soumis à l’incertitude radicale en ce qui concerne la demande macroéconomique et sectorielle pour leurs produits. Les problèmes macroéconomiques de la croissance et des fluctuations dans le capitalisme avancé demeurent inchangés, contrairement au « benign neglect » avec lequel Piore et Sabel traitent les problèmes macroéconomiques dans leur modèle de « spécialisation flexible », censé « restaurer les mécanismes régulateurs néo-classiques qui ont prévalu dans l’économie américaine du début du XIXe ?siècle » (sic., p. 276).

[2Il est sûr que de bonnes relations socio-professionnel les et une implication collective des travailleurs conduisent à une meilleure productivité, et donc à une meilleure compétitivité, même en dépit de salaires relativement hauts. Cette dernière combinaison est donc en bonne posture pour tourner la « contrainte extérieure ». Mais elle ne peut échapper aux problèmes causés par la configuration macroéconomique mondiale (par exemple une guerre commerciale à coups de bas salaires dans une dépression mondiale). Cette remarque vise seulement à souligner que notre texte ne traite pas de tous les problèmes à résoudre pour sortir de la crise. Comme nous l’avons déjà noté, des améliorations sur le « côté de l’offre » ne sont pas suffisantes pour sortir de la crise. Des améliorations dans la gestion de la demande, au niveau national et international, sont aussi requises (voir Lipietz [1987]).

[3« Napolitain » par référence aux Royaumes des Bourbons. Dans Lipietz [1984, p. 280] comme chez Pipre et Sabel [1985], on fait référence aux capitales royales du XVIIe siècle, à Paris ou à Naples. Là, des communautés d’artisans assez prospères produisaient des biens de luxe pour la noblesse (d’épée ou de robe), au milieu d’un océan de misère et de précarité.

[4Ce terme comme plus loin ceux de « saturniens » et « californiens » sont joliment proposés dans le livre de Messine [1987]. L’avantage de la terminologie de Messine (par opposition à l’opposition déjà usuelle : « voie américaine/voie japonaise/voie suédoise ») est que, tirant tous ses exemples d’une enquête aux Etats-Unis, elle souligne qu’on ne peut pas encore identifier simplement chaque famille de modèle avec un choix déjà hégémonique dans tel ou tel pays capitaliste avancé (même si la différenciation est déjà assez claire).

[5Citons deux exemples, empruntés à M. Chiesi et T. Rinaldini [1986]. Dans l’industrie textile : des accords sur la restructuration et la flexibilité en échange de garanties sur l’emploi (par une réduction du temps de travail). Le protocole d’accord de l’IRI (décembre 1984) : reconnaissance du droit pour les syndicats de négocier ex ante les projets de restructuration (un type d’accord fréquent en Emilie-Romagne).

[6Pour plus de précisions, voir Leborgne [1987]. Ce texte, dédié à l’étude des nouveaux biens d’équipements, renvoie lui-même à une série de travaux italiens importants tels que ceux de A. Enrietti [1983], Bianchi [1985], Lugli et S. Tugnoli [1985].

[7Lors d’une agréable partie nautique avec le géographe gallois Phil Cooke, nous avons tenté d’aller plus loin dans le raffinement de cette métaphore, en imaginant plusieurs « aiguilles » sur le cadran d’intégration diagonale. Le travail reste à faire...

[8On remarquera que les prévisions de Castells sont dans le prolongement de la rétrospective de Noyelle et de Stanback [1985] ! L’évolution des Etats-Unis reaganiens serait dans le droit fil du fordisme assez pauvre en « garanties sociales » des décennies précédentes. En fait, on parle de « latino-américanisation des Etats-Unis » au moins depuis Barnet et Muller [1974] !

[9Ce terme utilisé par Messine [1987] fait référence à quelques états autour des grands lacs (par exemple le Michigan), mais n’exclut pas le Massachusetts !

[10En Italie : Franchi-Rieser [1996], Lugli, Tugnoli [1985], Dina [1986], Rinaldini [1986]... Au Japon : Afriat, Leclerc [1986]... Aux USA, Messine [1986]... En Allemagne : Foray [1985]...

[11Déjà dans le rapport Lafont, Leborgne, Lipietz [1980], nous interprétions le déclin de la France dans la hiérarchie industrielle internationale comme un résultat de la médiocre qualité des relations professionnelles à l’intérieur des firmes et des relations de sous-traitance entre firmes. Dans la terminologie du présent texte, la France peut être considérée comme l’archétype du cas « néo-taylorien territorialement éclaté ». Les USA des années quatre-vingt sont sans doute un exemple bien meilleur.

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