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par Alain Lipietz | 3 mai 2016

Dans l’État où nous en sommes…
Le 11 janvier dernier, je signais l’appel pour une primaire des gauches et des écologistes. J’ai changé d’avis. Je signe au contraire une motion de congrès de EELV (« L’imprévu ») qui prône une candidature autonome de l’écologie politique. Que s’est-il passé depuis ?

Fondamentalement : l’affaire de la déchéance de nationalité, la prolongation à 50 ans de la vie des centrales nucléaires, la fermeture de Fessenheim remise aux Calendes grecques, la loi El-Khomeri (qui est en fait une Macron-2). Aujourd’hui la rupture est totale entre le gouvernement Holland-Valls et le réformisme social, comme avec le réformisme écologiste. Non seulement un pouvoir PS ne représente plus un débouché politique aux luttes et aux aspirations, mais il s’oppose directement à lui. La police même, qui avait connu un « état de grâce » après les attentats, se trouve renvoyée aux heures sombres de Marcellin et de Chirac.

 « On ne pourra pas voter Hollande »

Il devient psychologiquement impossible de voter pour la reconduction de ces gens là. Mais, dira-t-on, vous êtes pourtant prêts à voter Juppé contre Le Pen ? Certes, et même Hollande contre Le Pen. Sauf que d’une part Hollande a désormais fort peu de chance d’être au second tour (alors à quoi bon…) et même, selon certains sondages, il n’est plus tout à fait sûr qu’il battrait Marine Le Pen au second.

Mais surtout, Hollande et Juppé, ce n’est pas la même chose. Juppé, nous ne lui devons rien, il ne nous doit rien. S’il est mauvais, on le combattra. S’il fait quelque bien, tant mieux. Hollande avait été élu sur un accord PS-EELV, avec un contrat moral envers le « peuple de gauche et écologistes » : pour la sortie de la crise par un « New Deal Vert ». Il est comptable devant lui de ses engagements de campagne. Or son quinquennat n’aura été ni New, ni Deal, ni Vert. Lui accorder quitus après une longue série de reniements, ce serait entériner que même à gauche il est désormais admis que les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. Il ne resterait plus d’espoir dans la démocratie. La raison d’État et la prise en compte du long terme nous commandent d’éviter une telle absolution.

Nous le savions dès janvier ? Pas à ce point. L’appel pour une primaire de la gauche et des écologistes avait justement pour but, lorsque tous les sondages donnaient déjà Hollande battu dans toutes les configurations, de permettre que se dégage du débat une autre option, acceptable par « toute la gauche et les écologistes », et c’est pourquoi je l’avais signé. Marine Le Pen étant nécessairement au second tour, le premier tour ne servirait plus qu’à connaître son challengeur : de droite ou de gauche, et pas à arbitrer entre les différentes tendances progressistes. Ce pour quoi il nous fallait un « troisième tour préalable ».

Mais aussitôt plusieurs initiateurs socialistes se répandirent dans les medias, en soulignant que c’était la seule façon que Hollande se présente sans adversaire à gauche. Or cette primaire n’était possible que si l’hypothèse de voir Hollande sélectionné était écartée. Cette hypothèse pouvait rester « formellement » possible en janvier, quoique réellement improbable, jusqu’aux débats sur la déchéance de la nationalité et la loi El-Khomeri. Aujourd’hui, c’est impossible : la majorité du peuple de gauche et des écologistes est mobilisée contre Hollande et ne votera pas pour lui au premier tour, même s’il remportait les primaires.

 Le « débouché politique » est bouché

Je ne me réjouis pas de cette situation. Nous vivions depuis la fin des années 70 avec la notion de « débouché politique ». Mitterrand avait ses défauts, Jospin aussi, mais ils représentaient quand même assez de différences d’avec la droite, et pour ceux qui luttaient contre la droite, sur le terrain, c’était quand même un « débouché électoral ». De second choix (de second tour), certes, mais l’expression d’un désir de changement. Aujourd’hui, le désir de changement, c’est que Hollande-Valls-Macron s’en aillent. Nous n’avons plus de débouché politique.

Dans ma jeunesse, j’ai connu une telle période : la déroute morale de Guy Mollet et Robert Lacoste, eux aussi élus sur un objectif ambitieux : la paix en Algérie. Ils ont déchainé la guerre, les camps, la torture. Et même le peuple de gauche a préféré de Gaulle. Au cas où il ferait mieux (ce qui fut le cas) ? Mais surtout pour sanctionner la trahison des socialistes, pour que « La prochaine fois, ils n’oublient pas leurs promesses. »

Il a fallu 23 ans pour reconstruire les conditions de « la prochaine fois », d’un nouveau « débouché politique ». Ce ne furent pas les pires années pour notre génération. A cette époque, les « Bonnets rouges » qui faisaient céder le Pouvoir, depuis les facs, depuis la rue, depuis les grèves, c’était nous, ce fut Mai 68, ce fut une longue série de réformes progressistes arrachées sur le terrain.

Cela ne veut pas dire que pour 23 ans nous devons renoncer à toute politique institutionnelle, localement , nationalement ou à l’échelle européenne. Il nous faut des appuis politiques, des budgets, pour la transition écologique, pour l’économie sociale et solidaire. La fenêtre d’action du rapport Stern et du GIEC nous interdit de nous retrancher dans le dandysme « la Révolution ou rien ». L’Histoire et la géophysique ne repassent pas les plats. L’Histoire peut– être ? Mais pas la géophysique.

Nous sommes condamnés au réformisme radical. Nous devons apprendre la politique du temps de crise, la politique du temps des monstres, quand il n’y a plus de « débouché politique » dans la vieille gauche et que pourtant il faut agir, et vite. Avec des accords négociés pour tout ce qu’on peut gagner (y compris avec le PS, avec le Front de Gauche et s’il le faut, si c’est possible, avec la droite), des ruptures d’avec tout ce qui nous empêtre ou nous fait retourner dans l’ancien monde. Ce qu’on appelait jadis « l’autonome contractuelle ».

 Pour une candidature écologiste

Comme il n’y a plus de « débouché politique », le premier tour de la présidentielle redevient disponible pour y travailler à sa reconstruction. A coté de l’inévitable candidat du social-libéralisme pas du tout social (Hollande, Macron ou Valls), nous aurons donc l’inévitable souverainisme de gauche JL Mélenchon, étatiste et anti-européen (je ne vois pas comment l’appel des Cent « c’est la faute à l’Europe » pourrait l’éviter). Et les inévitables trotskistes. Et donc il faudra la ou le représentant de la solution écologiste et altermondialiste, anti-productiviste et anti-nationaliste.

La responsabilité de ceux et celles qui restent à EELV est alors écrasante : sauront –ils comme en 2009, s’ouvrir à un dépassement autour d’une personnalité rassembleuse, ou voudront –ils imposer l’une des incarnations de la trahison continue des espoirs de 2009 (où déjà l’écologie avait fait jeu égal avec le PS) ?

La meilleure solution me semble actuellement une candidature de Nicolas Hulot.

Il n’a pas toujours été écologiste ? Qui l’a été ? Il a trop tardé à s’investir politiquement ? Qui le lui reprochera ? Allons au reproche essentiel : il a été longtemps « et de droite et gauche ». Un dernier mot là-dessus.

C’est aujourd’hui la mode de lancer des polémiques contre l’écologie « et de droite et de gauche » (voir Keucheyan), de souligner l’intersectionnalité entre la lutte des classes (et de race et de genre) et la question écologique, contre l’idée que « toute l’Humanité est embarquée dans le même bateau ». Évidemment ! et pour des raisons non pas tactiques mais fondamentales : parce que notre environnement, notre territoire est celui que tissent nos rapports sociaux, il est tout simplement la forme matérielle de nos rapports sociaux. Et chaque formation sociale, chaque mode de production, engendre sa propre forme de crise écologique : la milpa maya comme les communs féodaux ou l’usine capitaliste.

Mais faut en conclure à « l’impossible capitalisme vert » (Tanuro), comme Lénine croyait impossible un capitalisme avec hausse des salaires et réduction du temps de travail – ce qui s’est pourtant passé pendant près d’un siècle ? Faut-il accabler de son scepticisme ceux qui songent au moins à éviter les catastrophes, au nom de la « rupture avec le système » (toujours « La révolution ou rien »), comme Badiou face à Varoufakis ?

Oui, il y a un tronc d’intérêts communs entre certains secteurs du capitalisme et les écologistes (comme il y a, hélas, un tronc commun entre le productivisme et l’idéologie du PS et du PCF). C’est d’ailleurs une chance, c’est ce qui élargit le champ de l’écologie au delà de la gauche traditionnelle. C’est pourquoi il est bon que les écologistes qui – comme Hulot et hier Dumont – ont évolué d’une croyance dans les solutions « techniques » à des positions à la gauche de la gauche, conservent la force d’attraction de leur « unanimisme ».

On ne sauvera pas la Planète et l’Humanité contre elle-même en cherchant à être les moins nombreux possibles.




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