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par Alain Lipietz | 30 novembre 2012

, 17 heures
Quelles régulations démocratiques de l’usage du vivant ?
Unesco, Paris
Conclusion des Assises du Vivant, "Que vaut la vie 2.0", organisé par Vivagora.

Vie 2.0 : Quelles régulations démocratiques de l’usage du vivant ?

Assises du Vivant : Conclusion

par Alain Lipietz

Ce fut un grand plaisir pour moi de suivre ce débat sur l’économie du vivant à l’Unesco : j’ai été le rapporteur, pour l’Unesco, d’une équipe internationale sur la conférence de Rio, en 1992… Les négociations portaient sur le climat, la biodiversité et les forêts. Cette conférence marquait le début des responsabilités que l’humanité se donnait à elle-même envers la planète. Elle marquait ainsi le début de cette « vie 2.0 », par la prise de conscience que la gestion de la planète et de l’évolution était désormais placée sous la responsabilité de l’humanité. Or cette dernière ne dispose aujourd’hui ni des outils éthiques ni des armes politiques pour relever ce défi. Elle doit les acquérir au plus vite.

Ce colloque a montré combien il est important de dépasser certains faux débats, afin d’avancer en ce sens. Le premier concerne une opposition trop stricte entre « naturel » et « artificiel ». L’artificialisation du monde a débuté bien avant les manipulations génétiques. A partir du moment où l’homo erectus a domestiqué le feu, il a commencé à sélectionner des végétaux ; avec la révolution néolithique et l’agriculture, l’homo sapiens les a fait évoluer. Mais aujourd’hui apparaît un nouveau saut qualitatif : changer le climat ce n’est pas allumer un feu, manipuler génétiquement, ce n’est pas sélectionner ce que la vie a déjà produit. Ce saut oblige l’humanité à maîtriser ses interactions avec son environnement.

Le deuxième faux débat porte sur la conception de la « bioéconomie ». Il peut s’agir d’une branche de l’activité économique susceptible d’aider à produire des biens utiles à l’homme à partir du vivant ; ou bien il peut s’agir du domaine permettant de réguler politiquement ou contractuellement cette production.

Le débat sur la maîtrise des productions issues du vivant existe depuis fort longtemps, sans doute depuis la révolution néolithique : en témoignent les prescriptions religieuses alimentaires qui cristallisaient sans doute des règles de prudence contre les risques d’empoisonnement. Et chercher la meilleure façon de réguler l’économie du vivant n’est pas non plus une question nouvelle. L’un des premiers textes de K. Marx par exemple portait sur La question du vol des bois. Il disait que « L’arbre appartient au maitre, mais le bois tombé en terre appartient en propre aux malheureux. » La question devient géopolique avec l’expansion du « Bois 2.0 » que constituent les agrocarburants ! Et plus la production du vivant demande de connaissances, plus la bioéconomie se confond avec une économie de la connaissance.

Se pose alors la question de la propriété des connaissances et de celle des biens communs, propriété qu’il faut réglementer. La question est loin d’être simple. Par exemple, pourquoi les écologistes du Parlement européen sont-ils adeptes des logiciels libres mais reconnaissent-ils la propriété des populations indigènes sur leurs savoirs traditionnels ? En fait, c’est que l’économie des logiciels et l’économie des savoirs traditionnels diffèrent largement et que le marché ne peut tout résoudre : certains biens doivent sortir des circuits des échanges traditionnels pour devenir des biens communs. Se pose alors la question du partage des bénéfices engendrés par ces biens communs.

Le problème de la « vie 2.0 » n’est pas uniquement la finitude de la nature, mais aussi celle de la rationalité instrumentale et l’incertitude de l’humanité sur ses propres valeurs. Comme dit le chœur d’Antigone « Il est bien des merveilles dans la nature mais la plus grande toutes est l’Homme. La terre infatigable, il l’épuise d’année en année en y faisant passer ses charrues… Mais, riche d’une intelligence incroyablement féconde, du mal comme du bien il subit l’attirance. » En économie ou en science, les questions du juste, du bien, du mal, du beau se posent. Les choix deviennent finalement politiques, et non économiques ou scientifiques. Les compromis sont alors obligatoires, avec parfois des options qu’il est difficile de faire cohabiter. Par exemple, comment être contre le clonage humain en tant qu’écologiste, tout en soutenant l’avortement et en participant à une alliance législative avec un parti démocrate chrétien qui ne reconnaît ni l’un ni l’autre ? Il faut définir rationnellement ce qu’est une « personne humaine », et ce n’est pas immédiat.

Pour résumer ces dilemmes, je décrirais l’écologie politique comme une posture qui doit s’efforcer de combiner discussions démocratiques pour déterminer des règles collectives nous permettant d’aller de l’avant, conformément à l’intérêt bien compris (comme nous y incite Habermas), et discussions fixant des règles de prudence éthiques (comme nous y incitent Levinas et Jonas), indispensables limites à notre agir, pour cadrer les limites de notre raison.

Programme des assises : Cliquez ici.



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  • Quelles régulations démocratiques de l’usage du vivant ? : le vendredi 30 novembre 2012 de 17:00 à 18:00
    lieu : Unesco Paris
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