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par Alain Lipietz | 16 mars 2012

Financement par la planche à billet et inflation : où en est-on ?
Pourquoi la BCE ne finance-t-elle pas directement les États, voire les ménages, en émettant des euros ? Et pourquoi ni l’inondation de dollars ni l’inondation d’euros ne provoquent actuellement d’inflation ?

Actuellement, dans le but de « soutenir la reprise », aussi bien la Banque centrale européenne qua la FED américaine inondent le monde de monnaie-papier, qu’elles prêtent aux banques privées à très bas taux : 529 milliards le mois dernier pour la BCE. Nombreux sont mes correspondants qui s’indignent que les banques centrales ne prêtent pas directement aux États endettés, à ce même taux, ou même carrément aux citoyens.

Cela parait en effet absurde. Comme la BCE n’est pas idiote, il faut essayer de comprendre ses raisons, même idéologiques.

Je pense que la première raison est en fait idéologique : la BCE pense qu’il n’y a pas d’autre filtre possible que les banques pour injecter de l’argent dans l’économie, ou en tout cas que c’est le plus légitime, parce que cet argent sera utilisé ensuite de la façon la plus « rationnelle ». C’est particulièrement clair dans son refus de prêter directement aux États, soupçonnés (non sans raison, il est vrai) de ne pas vouloir couvrir leurs dépenses par les impôts correspondants.

Ensuite elle pense que c’est moins cher, plus rapide, avec moins de coûts d’intermédiation que de prêter aux citoyens. Là, elle a sans doute raison. 529 milliards, ça fait environ 1000 euros par Européen, disons 4000 euros par ménage, une somme prêtée pour 3 ans. Vous en feriez quoi ? Sans doute acheter un équipement (chauffe-eau solaire ou bagnole) ou vous désendetter d’un crédit plus cher. Dans le premier cas, la BCE obtiendrait directement l’effet recherché : la relance, verte ou pas. Dans le second cas vous soulageriez les banques qui sont pour beaucoup au bord de la faillite (les banques françaises moins que les autres car elles pressurent leurs clients plus que les autres).

Oui mais… Comment la BCE peut-elle distribuer ces 4000 euros par ménage et récolter ensuite les remboursements ? Par des institutions ayant des bureaux dans tous les quartiers, des comptes pour tous les ménages, ce qui n’est pas le cas de la BCE. Donc : par soit les États (mais alors ça veut dire que la BCE prête aux États , voir plus bas, et d’ailleurs les perceptions ne sont pas du tout équipées pour gérer des prêts aux ménages)… soit par les banques.

C’est le problème que j’ai eu pendant dix ans quand j’étais le « Monsieur BEI » du parlement européen : on votait que la Banque Européenne d’Investissement (la Banque mondiale de l’Europe) devait faire des prêts non seulement aux « gros » (les États, les Villes, le grandes entreprises) mais aux « petits » (les PME et même les étudiants). Mais pour ça elle devait passer par des intermédiaires : les banques, car la BEI n’a pas d’agences aux coins de la rue. Or ces intermédiaires devaient intégrer dans leurs calculs le fait que, disons, 3 % des « petits prêts » ne seraient pas remboursés (le « spread »), plus le cout de gestion de ces prêts (à des dizaines de millions de ménages…), encore 2 %, donc des prêts à 5%... Allez vérifier après que les banques ne se sucraient pas trop !

La troisième raison est tout simplement juridique : les traités européens interdisent à la BCE de prêter directement aux États. Ce serait pourtant le plus efficace : pas de cout d’intermédiation du tout, et risque de défaut déjà maitrisé dans le cas de la Grèce, et on peut estimer qu’il ne dépassera pas 20 % pour les autres pays européens surendettés, à l’horizon de 10 ans, et s’il a lieu dans les 3 ans, pas bien grave pour la BCE.

Cette règle ( pas de financement des gouvernements par la planche à billets) est vieille comme l’abandon de la convertibilité-or des monnaies, dans les années 1970. Plus exactement, on a jugé à l’époque que, pour compenser le fait que les monnaies de papier flottaient désormais librement et n’avaient plus à prouver qu’elles étaient aussi bonnes que l’or (ou que le dollar), il fallait qu’elles soient émises sous d’autres règles de prudence : et notamment la règle de la « double signature ». C’est à dire que pour qu’un titre de dette soit transformé en monnaie il fallait deux signatures : le premier emprunteur (l’État par exemple) plus un premier prêteur (la banque privée) qui le « réescomptait » auprès de la banque centrale.

Cette prudence est contestable mais compréhensible de la part des pays ayant vécu l’hyperinflation (l’Allemagne). Donc même si la stratégie est de soulager l’endettement des États, la tactique de la BCE passe par les banques. Quand en effet on annule la dette des États (comme en Grèce), on risque de mettre les banques en faillite, donc il faut les recapitaliser et leur prêter à bas cout. Et quand d’autres institutions prêtent aux États (comme le FESF et demain le MES), il faut bien que ces institutions trouvent cet argent. Le MES aurait le droit de se refinancer auprès de la BCE, car il est garanti par l’engagement de nombreux trésors publics, mais le FESF ne l’a pas, il est trop fragile. Or les économistes sérieux (et non –allemands) soulignent que ni le FESF ni le MSE ne peuvent dissuader suffisamment la spéculation s’ils n’ont pas accès au « levier » du refinancement auprès de la BCE.

C’est pourquoi le MES est un pas en avant considérable dans la bonne direction. La stratégie des Verts européens, énoncée dans la Déclaration de Paris est de consolider deux institutions de prêts aux États (le MES et la BEI) qui, elles pourraient se refinancer directement auprès de la BCE « par la planche à billet », sans que l’opinion publique nord-européenne hurle au laxisme.

Mais au fait… puisque d’une manière ou d’une autre les banques centrales inondent le monde de papier monnaie, et que cette pratique est critiquée comme « inflationniste », où en est-on de l’inflation ?

Les derniers chiffres INSEE sont assez clairs : il n’y a pas actuellement d’inflation « monétaire ». L’inflation respecte la fameuse règle de la BCE : « proche de 2%, mais inférieure à 2% ». Du moins l’inflation « sous jacente », celle qui exclut les « prix volatiles », c’est à dire l’énergie et l’alimentation (+ 8 % chacun sur un an). C’est à dire les deux postes qui font le plus souffrir les classes populaires, et qui traduisent le plus directement, le plus structurellement, les deux grandes crises écologiques de ce début du XXIe sicle : la crise alimentaire et la crise énergie-climat !

En revanche, le prix des biens manufacturés, sous la pression de la mondialisation et de la surproduction mondiale, augmente moins vite que l’inflation moyenne.

Alors, où passe la monnaie « en trop » ? Il semble qu’elle soit, en Europe, replacée… auprès de la BCE (oui, oui) : ce que la BCE prête aux banques est mis en réserve par les banques. Cette masse de monnaie ne tire ni l’activité, ni les prix. Ce que Keynes appelait la « trappe à liquidités »

Mais aux USA, où la FED « arrose l’économie de dollars par hélicoptère » ? Eh bien, il y a une inflation très particulière, ciblée sur le marché des actions, ce qu’on appelle une « bulle ». Le cours des actions est déjà remonté au niveau de 2008, alors que l’activité économique en est loin…



À noter :

Pour plus d’explications sur l’émission monétaire par les banques centrales, voir mon livre Green Deal. La crise du libéral-productivisme et la réponse écologiste.

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