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par Alain Lipietz | 16 mai 2011

Colloques de Cerisy
Des Assemblées Régionales Ouvriers-Paysans à Europe-Ecologie : une trajectoire
Intervention au colloque "Le PSU, des idées pour un socialisme au XXIe siècle ?"

Des Assemblées Régionales Ouvriers-Paysans à Europe-Ecologie : une trajectoire

Intervention au Colloque de Cerisy :


Le PSU, des idées pour un socialisme au XXIe siècle ?

15-16 mai 2011

Programme :
http://www.ccic-cerisy.asso.fr/psu11.html

Chères amies, chers amis,

Je vais évoquer avec vous un moment décisif de l’histoire du PSU, qui résonne étonnamment avec des problèmes posés à une force progressiste occupant aujourd’hui une place équivalente à celle qu’occupa le PSU : Europe-Écologie-Les Verts. Il s’agit de la tentative, en 1970, de se transformer en expression organisée d’un mouvement politique de masse, par l’opération des Assemblées Régionales Ouvrières et Paysannes (AROP).

Je n’étais alors qu’un jeune homme et tout jeune adhérent, mais je fus co-rapporteur, lors de la synthèse nationale, de la Commission « Cadre de vie » (on ne disait pas encore « écologie » !). Cette tentative va être interrompue par le Congrès de Lille de 1971, avec la victoire de Michel Rocard et le départ d’une bonne partie de la gauche du PSU. Celle-ci va se retrouver pour partie dans la Gauche Ouvrière et Paysanne, où j’ai joué un rôle nettement plus actif.

Il me semble que cette tentative du PSU de se transformer en mouvement politique de masse, ou plus exactement dans une structure adéquate au mouvement politique de masse, constitue, avec toutes ses limites, une expérience extrêmement intéressante dont je constate (moi qui ai vécu les deux !) qu’elle est d’une autre manière reprise aujourd’hui par les Verts, avec ce que l’on appelle la coopérative Europe Écologie. Je voudrais vous montrer, dans mon intervention :

- la force de cette intuition du PSU, les AROP ;

- pourquoi elle avait pourtant bien des chances d’échouer (indépendamment du fait que Rocard ait gagné le Congrès de Lille) ;

- qu’est ce qui a changé entre le Congrès de Lille, avec la fin des AROP, et la naissance d’Europe-Ecologie ;

- et en quoi un certain nombre d’obstacles posés au succès des AROP se retrouvera aujourd’hui et demain, dés le 29 mai au Congrès d’Europe-Ecologie, pour la « coopérative » qu’elle prétend vouloir mettre en place.

Tout d’abord, qu’est ce que c’était, les AROP ?

C’était la traduction, au plan organisationnel, d’une analyse de la situation sociale, en France et en Italie principalement (mais il y avait des traits communs en Allemagne et en Grande-Bretagne) : une nouvelle onde de luttes en Europe, qui ne s’était pas éteinte avec juin 68, une onde qui posait toute une série de problèmes, à la fois sur les contenus des luttes, leurs formes et leur organisation.

Hier, on a consacré une soirée à Marc Heurgon. Je vous lis un extrait de la revue théorique où ont été théoriser les AROP et le mouvement politique de masse, le N° 7 de Que Faire (juin 1971). Voici ce qu’écrit Marc Heurgon dans l’éditorial, qui représente bien l’idéologie moyenne du centre et de la gauche du PSU à cette époque : « Plus généralement, l’extension de la domination capitaliste à l’ensemble de la société d’aujourd’hui, la transformation en marchandises rentables de la maladie, du logement, des loisirs, aussi bien que de l’éducation, rendent compte de cette politisation de ces luttes, même si la prise de conscience de cette réalité est encore variable selon les secteurs. Ces mouvements se heurtent partout au même adversaire qui est l’État bourgeois, il tente plus ou moins confusément à mettre en avant l’aspiration à un autre type de société. Par là ils sont essentiellement des mouvements politiques, ils acquièrent la possibilité de se regrouper, de se cristalliser autour du combat central de la classe ouvrière, de converger vers une lutte d’ensemble contre l’ennemi commun et vers une cible commune ».

Comme on voit, ces phrases semblent anticiper mot pour mot certaines analyses de la crise actuelle, ce qui est un peu inquiétant… Mais concentrons nous d’abord sur cette idée que la « lutte d’ensemble » (c’est-à-dire la révolution prolétarienne) contre « l’ennemi commun » (le capitalisme et son Etat) vise une « cible commune » (un autre type de société, le communisme). Il y avait à cette époque, et dès l’origine du marxisme, cette idée très forte du lien entre le sujet : le prolétariat, l’adversaire : le capitalisme, et l’objectif : le communisme. Et puis, il y avait l’idée d’une convergence des luttes autour de cette « direction prolétarienne » (dans les deux sens du mot « direction », l’orientation et le rôle dirigeant, ce que Gramsci appelle « l’hégémonie »). C’était vraiment l’idéologie centrale, probablement, d’une grande partie du socialisme et en particulier du contre et de la gauche du PSU, d’une grande partie des groupuscules post-soixante-huitards, et en particulier de la GOP.

Mais comment allait-on traduire cette poussée de luttes en réponse à « l’extension de la domination capitaliste à tous les aspects de la vie » (comme on disait alors, suivant les mots d’Henri Lefebvre notamment) ?

La théorie venait de l’Italie, qui n’était pas à l’époque ce contre-modèle de la culture européenne incarné par Berlusconi. Au contraire, c’est de là que venaient toutes les idées, toute l’intelligence, toute la sophistication, entre Il Manifesto et le courant « operaïste ». Marc Heurgon a fait plusieurs pèlerinages en Italie et a fondé cette revue, Que faire, qui se voulait correspondant du Manifesto et du PSIUP, Parti socialiste italien d’unité prolétarienne. Notez le mot « prolétarienne » : en Italie ils avaient tendance à considérer que tout le peuple a un statut de prolétaire ; en France, non : on a des paysans, de la petite bourgeoisie salariée… Et la question de l’hégémonie de la classe ouvrière sur l’ensemble du peuple, dans le « mouvement politique de masse », apparaissait très importante.

Un mot sur cette idée de mouvement politique de masse. Toute révolution est un mouvement politique de masse. Mai 68, le « mai rampant » italien. Mais une situation où il y a simplement « beaucoup de luttes et de nouvelles exigences » pouvait aussi être comprise comme un mouvement politique de masse. Dans cette expression, le mot « politique » vient du fait que l’onde de luttes pose des problèmes de fond (même à travers des revendications économiques) et qu’elle s’affronte à l’État. « De masse », c’est un terme qui fait sourire aujourd’hui. En fait, c’est un peu du jargon militant : on parle d’ « organisation de masse » quand ce n’est pas l’organisation politique, et on dit « de masse » quand les personnes impliquées ne sont pas forcément dans l’organisation de masse (le syndicat). Ça ne veut pas dire nécessairement que c’est énorme.

Sauf qu’à l’époque, c’était énorme. Mai 68 est la plus grande grève ouvrière de l’histoire de France. Les années du « mai rampant » italien ont mis en mouvement presque tous les travailleurs ruraux ou industriels de l’Italie, tout le monde s’y est mis. Ce n’était donc pas une galéjade. Et il y avait vraiment, à l’époque, une gauche ouvrière et une gauche paysanne jouant un rôle leader dans ces luttes, leaders ouvriers (on a parlé hier de ces ouvriers de la gauche chrétienne entrés par milliers au PSU), et leaders paysans (la gauche de la FNSEA, qui engendrera la Confédération paysanne). Et c’était un mouvement de masse, car des gens qui n’étaient même pas dans les organisations politiques, même pas dans les organisations syndicales, rentraient dans la lutte et se politisaient à toute vitesse.

Comment arriver à cristalliser ces contenus nouveaux, ces volontés nouvelles, ces stratégies et ces tactiques qui n’étaient pas celles des grands partis et des syndicats ? Les AROP ! Des assemblées où le PSU conviait la gauche ouvrière et paysanne à venir discuter pour élaborer son programme, et qu’il invitait à sa direction. Ce que la gauche des Verts appellera bien plus tard « la co-élaboration ».Les AROP étaient d’une certaine façon un « anti-Colloque de Grenoble », où le PSU avait invité à discuter les seuls intellectuels.

Immédiatement, ce modèle s’est heurté, avant même qu’il ait donné toute sa puissance, à plusieurs obstacles.

Premièrement, la fragilité de la fameuse « gauche ouvrière ». Il s’agissait de deux composantes assez différentes. D’abord, les ingénieurs et techniciens chers à Serge Mallet, la « nouvelle classe ouvrière » de Hispano-Suiza ou de Péchiney…(c’était plutôt le point de vue du « courant 5 » du PSU, qui faisait référence au PSIUP). Et d’autre part, il y avait « l’ouvrier de masse multinational » cher au courant « operaïste » italien et au courant « Gauche Révolutionnaire » du PSU, c’est-à-dire les OS, eux aussi entrés en lutte en 68. Avaient-ils les moyens de produire leurs propres intellectuels ? C’était contesté, mais à l’époque, oui ! Car il y avait de jeunes travailleurs français qui n’avaient pu poursuivre leurs études, et surtout des femmes qui entraient alors massivement dans le salariat, il y avait des immigrés, qui eux étaient allés jusqu’à l’université en Tunisie, au Maroc, au Portugal, et qui se retrouvaient OS chez Citroën ou Renault…Ces intellectuels parmi les OS critiquaient le taylorisme, mais ne partageaient pas nécessairement le projet autogestionnaire des techniciens de la grande industrie (Pechiney) et des industries de pointe (Hispano-Suiza). Il y avait donc une certaine hétérogénéité dans la gauche ouvrière elle-même.

Deuxièmement, cette idée de l’hégémonie de la classe ouvrière sur les autres composantes du mouvement social. C’est le fond commun au PSU et à tous les groupuscules post-soixante-huitards, cette idée de centralité de la classe ouvrière qui nous vient directement de Karl Marx et de tout le mouvement socialiste. Aujourd’hui la centralité de la classe ouvrière, il faudrait la démontrer : on ne la considère pas comme acquise. L’idée que le producteur, parce qu’il est producteur collectivisé par les forces productives a, par nature, un point de vue plus large sur la société….

Philosophiquement, cela revient à poser le primat du développement des forces productives sur toutes les autres dynamiques d’émancipation de l’humanité, et à en déduire que la classe ouvrière (partie consciente des forces productives) doit diriger tous les mouvements sociaux (y compris l’émancipation des femmes). Or ce primat des forces productives, c’est justement ce que nous avons démenti ce matin en comparant la planification des années 60 à l’idée contemporaine de planification écologique. Une planification qui ne se préoccuperait que de développer la production, sans se soucier de son effet sur l’environnement, aujourd’hui, paraîtrait extrêmement critiquable ! Planifier la décroissance de la production d’effet de serre implique certes la croissance de certains secteurs, mais leurs ouvriers ne jouent pas au début un rôle socialement moteur, bien moins que les citoyens remettant en question leur modèle de consommation.

Surtout, le mouvement féministe, au milieu des années 70, va dynamiter totalement cette notion de « centralité ouvrière », en imposant l’idée qu’il y a autant de mouvements autonomes qu’il y a de contradictions sociales. On n’a pas besoin de démontrer d’abord que la femme est quasiment l’équivalent d’un prolétaire, pour reconnaître que le mouvement féministe est légitime !

Jusque là, tous les combats en dehors de l’entreprise étaient considérés comme des « fronts secondaires ». Les seuls qui échappaient à la malédiction de n’être qu’un front secondaire, c’était les paysans, après qu’il eut été démontré (par Servolin, Nallet et quelques autres) qu’ils étaient prolétarisés par les firmes agro-industrielles, même s’ils étaient formellement indépendants. Donc on pouvait considérer que, d’une certaine façon, Bernard Lambert, éleveur intégré de poulets en batterie, était un prolétaire ! Ce n’était pas complètement faux, mais il y fallait une certaine démonstration, dont les arguments obscurcissaient certains aspects de la réalité.

Cette théorie de la « construction de l’unité populaire sous hégémonie prolétarienne » était donc extrêmement fragile. Elle a atteint son maximum avec la lutte des Lip (73-74). Après, il y a eu le tournant de la crise du modèle de développement fordiste, et la classe ouvrière est entrée dans une longue période de luttes « à reculons », jusqu’à la mise en place du libéral-productivisme dans les années 80. Et maintenant, elle produit peu d’intellectuels à elle, d’intellectuels « organiques », elle produit peu de contenus nouveaux. Elle a produit, en 1988 puis en 1995, de nouvelles formes de lutte, les grèves gérées démocratiquement et coordonnées par télématique, elle a essayé encore, lors de la grève contre la réforme des retraites l’an dernier, le blocage du pétrole… Il y a des inventions tactiques, mais on ne peut pas dire qu’il y ait des innovations sur le contenu des luttes ouvrières, actuellement.

En réalité, cette idée d’hégémonie prolétarienne s’est éteinte dans les années 80/90 et l’on s’est résigné à l’indépendance des mouvements sociaux, se soulevant ou refluant en parallèle, sans nécessairement converger : ce fut la problématique des coalitions « arc en ciel ». Et c’est seulement au début des années 90 qu’on se pose la question de recentrer tous les mouvements sociaux vers un « paradigme », un tronc commun en termes de valeurs, de projet politique, d’identification de l’ennemi… Paradigme que l’écologie politique va essayer d’occuper.

Le premier problème du projet des AROP de 1970, c’est donc que sa base sociale a existé à ce moment-là, mais elle s’est avérée fragile, même théoriquement fragile, et en tout cas historiquement fragile.
Deuxième gros problème : les AROP répondaient de façon iconoclaste à une question bien réelle. Pour simplifier, je l’attribuerai au blocage qu’a introduit en France la Charte d’Amiens dés 1906 : l’idée d’une indépendance farouche entre l’organisation de masse (le syndicat) et le parti politique.

C’est une idée française, qui n’existe pas à ce point d’ostracisme en Italie, en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Dans ces pays, il n’y a pas de Charte d’Amiens justement, et cela implique des contreparties assez ennuyeuses – la subordination des syndicats aux partis, ou l’inverse. Mais, en Italie, on n’a jamais hésité à écrire des communiqués communs entre les partis politiques et les syndicats ; ils dialoguent et manifestent ensemble. Dans les Forums Sociaux Mondiaux (FSM), cela amuse les étrangers de voir combien les Français sont pudibonds sur ce point : eux n’hésitent pas à faire intervenir un ou une intellectuel politiquement encarté, voire dirigeant d’un parti.

Les AROP, d’une certaine façon, tentaient donc un dépassement de la charte d’Amiens, en relativisant la distinction Parti / organisation de masse, dans un phénomène historique, le mouvement politique de masse, et donc la nécessité d’avoir un lieu pour en parler, et peaufiner le contenu que ce mouvement a dans la tête et qui doit devenir projet politique.

Face à cette tentative, les objections se lèvent rapidement. Premièrement, c’est difficile pour les militants eux-mêmes. Ceux qui sont syndicalistes et ont résisté au passage au politique ont fait un choix qu’on ne remet pas en cause facilement, même s’ils pensent que leur militantisme a un contenu politique. Ce n’est pas un hasard si le PSU est riche en militants catholiques ouvriers et paysans : ils ont déjà un point de vue, la foi, surplombant l’ambition de transformer la vie terrestre soit par le syndicat, soit par le parti, mais dans les deux cas cela dérive d’un même engagement. Discuter des tâches de parti politique en tant que syndicaliste, ce n’est pas du tout un scandale pour un ouvrier chrétien et encore moins pour un paysan.

Deuxième difficulté : la résistance est extrêmement forte, y compris dans la CFDT. Même les sections PSU d’entreprises sont perçues par Edmond Maire comme une agression contre la CFDT. Coté PSU, la tendance rocardienne de la direction veut bien discuter, mais avec les directions syndicales, les « partenaires sociaux », comme l’Etat dans le Commissariat Général du Plan ou dans le Conseil Economique et Social. C’est normal de parler avec les partenaires sociaux, mais ce n’est pas le mouvement ouvrier qui va faire le boulot du parti.

Troisième difficulté, le mouvement politique de masse n’abolit pas les débats politiques et les désaccords stratégiques en son sein. Or les AROP ne sont jamais qu’une initiative du PSU. Et donc, de nombreux ouvriers de gauche, d’accord avec cette idée qu’ils ont quelque chose à dire en politique, et qui critiquent les directions syndicales, voire la forme syndicale, vont refuser de s’enrôler dans les AROP, car ils ne veulent pas travailler pour un parti et en particulier pour le PSU.

Même la gauche du PSU n’est pas unanime pour les AROP. Si vous lisez par exemple la notice Wikipédia sur le PSU, on voit qu’elle a été rédigée par un trotskiste qui trouve que c’est « mouvementiste », cette idée des AROP, et ce n’est visiblement pas flatteur...
Vous voyez qu’il est extrêmement difficile de franchir cette « barrière d’Amiens », et le courant de la direction du PSU promotrice de l’initiative (le Courant 5 et une partie de la Gauche révolutionnaire), malgré la belle réussite des premières assemblées régionales et de leur synthèse nationale (l’ANOP), se heurte, à la vielle du congrès, à un large front hostile. Michel Rocard l’emporte par 53% à Lille, en 1971. Et naturellement, après sa victoire, et malgré ses proclamations d’avant–congrès, on n’entendra plus parler d’AROP. Peu après, il dissout la fédération parisienne du PSU tombée aux mains des « Aropistes ». La plupart des adhérents retournent à un militantisme professionnel ou rejoignent des groupuscules révolutionnaires. Quelques-uns se regroupent, en plusieurs étapes, autour du journal L’Outil des Travailleurs (qui se voulait à l’origine expression du mouvement des AROP), en un nouveau petit groupe appelé GOP. Le PSU sort exsangue de ce conflit, et Michel Rocard finit par rejoindre le PS de François Mitterrand. Curieusement, ce ralliement est accompagné par tout un groupe… de syndicalistes, à l’occasion des « Assises du Socialisme. »

La suite de l’histoire, après la disparition des AROP, est, on l’a dit, celle de la régression des ambitions hégémoniques de la classe ouvrière. Les années 70 voient l’émergence d’autres mouvements sociaux (le féminisme, l’écologie) qui étaient auparavant considérés comme « fronts secondaires ». J’étais, au sein de l’ANOP, co-rapporteur de la commission en charge de ce qu’on n’appelait pas encore l’écologie, mais le « cadre de vie ». Il s’y est dit pas mal de choses qui anticipaient sur l’écologie politique, mais sans jamais poser la centralité de la question écologique. Non : « Le capitalisme, en colonisant tout l’espace social autour de lui, politise contre le capitalisme les luttes pour le logement, la lutte contre la pollution, etc », c’était un peu ça l’idée.

Petit à petit, les mouvements sociaux se développent, de façon autonome les uns parallèlement aux autres, mais dans une sorte d’atmosphère commune, d’ailleurs assez vite captée par le PS en pleine renaissance. Et l’écologie apparaît comme le seul qui « passe au politique », avec la formation des partis Verts, fin 70 en Allemagne, et dans les années 80 pour l’Europe latine. Petit à petit, l’écologie politique en vient à s’intéresser à tout le monde sublunaire, tous les rapports entre l’individu, la société et l’environnement. Le pacifisme, le féminisme, l’alter-mondialisme, le régionalisme, c’est de l’écologie politique. Elle offre un « paradigme », pour certains un parapluie ou une ombrelle, pour d’autres une espèce d’arc en ciel des mouvements sociaux. Et petit à petit il faut choisir entre garder la vieille gauche comme référence, ou passer du rose et du rouge au vert.

À ce moment-là, c’est bien un paradigme alternatif qui apparaît, un nouveau cadre général d’analyse et un nouveau « principe d’espérance », analogue au socialisme plus ou moins marxiste. Mais on se retrouve exactement devant la même question que Marx au lancement de la Première Internationale, ou le PSU après Mai 1968 : qu’est ce qu’on fait ? Un parti ? Ou une structure pour un mouvement politique de masse, avec ses formes d’organisation assez floues, où peuvent s’inscrire les associations de défense de l’environnement ou des sans papiers, en tant que telles ou par le biais de leurs animateurs, les gens qui animent une maison de quartier, ou qui lancent une AMAP… Et c’est la réponse organisationnelle d’Europe Ecologie en termes de « coopérative » politique. A son congrès de fondation, à Lyon en 2010, Europe-Ecologie se dote d’une structure duale : le parti, armature permanente, et la coopérative, où les acteurs et activistes de la transformation écologique de la société, ceux qui la pollinisent et la fécondent en transportant les idées nouvelles, peuvent ensemble en faire leur miel, co-élaborer leur projet et coordonner leurs luttes sans s’engager dans la vie interne d’un parti.

Je peux vous dire que bien des problèmes des AROP se posent au mouvement écologique de masse incarné par Europe-Ecologie. Avec tous ses éléments positifs, enthousiasmants. J’ai vu par exemple une réunion électorale d’Europe-Ecologie où les petits entrepreneurs du bâtiment interpellaient des candidats aux élections : « Ce que vous proposez, isoler tous les bâtiments de France pour faire face à l’effet de serre, ça va nous fournir pour 20 ans de travail, mais on n’a pas les qualifications pour ça, il faut que vous entriez dans les conseil régionaux, que vous mettiez en place un plan de formation… » Il y a vraiment un fonctionnement en termes de mouvement politique de masse, à la fois protestataire et productif, centré sur la question de la conversion verte.

Que « ça marche » correspond au fait qu’on est bien dans l’une de ces phases de transformation du capitalisme, de remise en cause d’un modèle. Fin des années 60-début des années 70, c’est les prodromes de la crise du fordisme, on critique le taylorisme, on critique le « métro-boulot-dodo », on critique « perdre sa vie à la gagner »… et donc on pense à un nouveau modèle de développement. Là, c’est la crise du libéral-productivisme, on se pose la question : « quel serait le nouveau modèle de développement qui créerait des emplois centrés sur la lutte contre la dérive climatique, la crise quantitative et qualitative de l’alimentation, etc »… Donc, c’est assez normal qu’on retrouve, à conjoncture semblable, le même type d’engagements, et de débats sur les formes de l’engagement.

Mais on retrouve aussi toutes les résistances.

D’abord le problème du « On se méfie, on ne veut pas travailler avec les partis ». Plus que jamais, les individus se défient des partis. Une association sur deux de l’aire du militantisme écologiste refuse absolument de travailler et de s’afficher avec Europe Ecologie, au nom d’une sorte de Charte d’Amiens élargie. Toutes les questions que je vous ai rappelées à propos des AROP, vous allez les retrouver intégralement dans les années qui viennent, dans les difficultés que va rencontrer la constitution, en France, d’une structure « non partidaire », une coopérative qui prétendrait coordonner les organisations de masse et le parti politique « Europe-Ecologie-Les Verts ».

Et, bien entendu, la majorité de la direction ancienne des Verts (parti au fond classique, dans son type de positionnement sur une scène politique assez coupée des mouvements sociaux), tout en jurant son amour de la coopérative Europe-Ecologie, se sent littéralement dépossédée dans une telle structure, et se prépare à liquider cette idée encombrante dès le prochain congrès.

Dans son projet de stabiliser en « coopérative » un rapport de co-élaboration et de co-militantisme entre mouvements de masse et parti politique, Europe-Ecologie foule un sentier autrefois exploré par les AROP. En se penchant de façon un peu plus précise sur les difficultés du PSU à devenir la force incontournable à gauche après Mai 68, faute d’avoir osé assumer pleinement l’initiative des AROP, sans doute apprendrait-on énormément de choses, qui nous signaleraient les difficultés qu’Europe-Écologie aura à surmonter.




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