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Accueil  > Vie publique > Articles et débats > L’A.M.I., on l’a eu ! Maintenant, on fait quoi ? (http://lipietz.net/?article259)

par Alain Lipietz | 21 janvier 1999

Politis N° 532
L’A.M.I., on l’a eu ! Maintenant, on fait quoi ?
Dans un séminaire de la direction de l’OCDE, je présentais les problèmes écologiques mondiaux à l’horizon 2 030. Ironiquement, je soulignais que l’adoption de leur projet d’A.M.I. aurait, de fait, empêché toute mesure de protection de l’environnement. Personne n’objecta rien au constat, pas même la secrétaire général de la Chambre de Commerce International, à qui l’A.M.I. confiait pourtant la dépense des " intérêts des entreprises ". À l’issue du débat, le responsable du département économie m’avoua : " Nous avons mal vendu l’A.M.I.? ".

En effet ! Mais qu’espérait-il ? Comment les peuples du monde (un monde éduqué, disposant d’Internet), auraient-ils laissé passer cette ? chose qui s’évanouit, tel Dracula, aussitôt présentée à la lumière ? Et d’ailleurs comment qualifier cette " chose " ? Dans le débat qui célébra la victoire contre l’A.M.I., en octobre dernier à la Cartoucherie, je proposais : " une contre-révolution anti-démocratique bourgeoise ".

Les révolutions démocratiques du XVIIIe et XIXè siècle avaient en effet réalisé contre les autocraties un compromis entre les intérêts de la bourgeoisie ascendante et les exigences de " droits " des personnes et des peuples. Ce compromis s’est noué autour de la notion de " propriété ". Pour la bourgeoisie, cela signifiait bien sûr la propriété du capital et le droit de libre-entreprise. Pour les peuples, la " propriété " était celle de leur propre corps. " Habeas Corpus ", " Tu possèdes un corps ", et nul ne peut le détenir ou en user sans raison et compensation : cette première ébauche (XIIIè siècle !) de la Déclaration des Droits de l’Homme fondait la liberté individuelle sur la propriété inaliénable de son propre corps.

Sur cette base, au XIXè siècle, la classe ouvrière naissante arracha les premières lois protectrices, interdisant le travail des enfants, limitant le temps de travail. Au XXè siècle, la sociale-démocratie étendit cette défense des corps à la défense de l’emploi, la progression des revenus, la Sécurité Sociale. Approfondissant de manière encore plus critique la révolution démocratique contre les " droits du capital ", les écologistes, à la charnière du siècle, se lancèrent dans la défense des " corps " humains, des générations futures et, au delà, de la Nature entière, contre les dégâts du productivisme.

C’en était trop pour le Capital. S’engouffrant dans des brèches ouvertes par 20 ans de libéralisme, l’A.M.I. prétendait en fait interdire tout nouveau progrès social ou écologique imposé par le Peuple Souverain, et même effacer (roll-back) les acquis antérieurs. C’est raté, et, comme l’a souligné avec une vigueur et une joie communicative Jack Ralite lors du colloque contre l’A.M.I., cette première victoire en appelle d’autres.

Car maintenant, nous devons proposer, et pas seulement refuser ou bloquer. Quelles seraient les lignes de progression vers un " habeas corpus international ", écologique et sociale, ?

- À très court terme, bloquer la spéculation qui déstabilise les monnaies, compromettant les politiques économiques nationales. La taxe de Tobin élimine la spéculation au jour le jour, contre des monnaies qui essaient de respecter entre elles une certaine parité. Les militants qui, chaque jour plus nombreux, la défendent au sein de l’ATTAC, manifestent l’exigence citoyenne d’une économie mondiale plus ordonnée, et ils ont raison. Mais une lutte contre la seule spéculation au jour le jour est très insuffisante. Il faut donc creuser plus profond.

- À court terme, empêcher les mouvements de capitaux qui s’investissent effectivement, mais fuient à la moindre alerte. Pour cela, le mécanisme dit " chilien ", qui autorise à bloquer pour un an les capitaux entrés dans un pays, est beaucoup plus efficace.

- Mais tout cela au fond ne permet que de stabiliser le capitalisme, le protéger contre lui-même, en évitant les crises " à la Thaïlandaise ". Il faut vraiment défendre les droits des travailleurs, des populations et de l’environnement par des règles internationales. Tel est notre objectif de moyen terme.

Lors du colloque contre l’A.M.I., le Malaysien Martin Khor avait étrangement défendu la politique isolationniste de la dictature fasciste et raciste de Mohamad Mohaytir. Cette réaction, qui rappelle (même cause, mêmes effets), les politiques fascistes des années 1930, est aussi intenable économiquement que moralement. Les peuples, mobilisés à l’échelle nationale, mais coordonnés internationalement par les ONG, ont de toutes autres ambitions. Il s’agit d’étendre à l’échelle du monde les droits acquis après 1 945 dans les pays développés, et y ajouter les règles de défense des droits des générations futures prônées par les écologistes. Cela passe par des règles prohibant l’investissement et le commerce international des marchandises produites dans des conditions insoutenables d’un point de vue social ou environnemental.

Tel doit être l’enjeu de négociations internationales au sein de l’ONU, de l’OMC, du Bureau International du Travail. C’est l’ambition du " Bel AMI " que proposent nos amis belges, et de multiples initiatives à travers le monde. Ils voulaient une évolution ? Ils l’auront.




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