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par Alain Lipietz | 4 juin 2009

Libération
Critique de l’écologie politique du Front de Gauche
À l’heure où UMP, PS et Modem s’acharnent à faire de l’élection européenne un troisième tour de 2007 ou un tour de chauffe de 2012, c’est un vrai plaisir de lire, sous la plume de 36 économistes, un plaidoyer pour le programme du Front de Gauche (Libération, 19 mai). Enfin un peu de contenu !

Enfin un peu de contenu ! Dans ce qui nous est présenté, une bonne partie satisfera en fait un arc assez large d’économistes et de militants faisant référence aussi bien au Front de Gauche qu’au PS ou à Europe Écologie. Ainsi : la régulation financière, une nouvelle politique pour la BCE, le développement des services publics, un emploi décent pour tous, la convergence par le haut etc. Encore faut-il remarquer que certaines propositions des 36, tel un « écart maximal de revenus », figurent dans le programme d’Europe Écologie (« revenu minimum ET revenu maximum européens ») plutôt que dans celui du Front de Gauche !

Toutefois, leur « Rebond » pose deux problèmes rédhibitoires. Le statut de l’Europe, d’abord. Les auteurs (qui sont de bons économistes !) reconnaissent que « les États nations ont des marges de manœuvre. Par sa puissance, l’Europe est néanmoins un cadre idéal pour une autre politique ». Mais l’Europe actuelle, celle de Maastricht-Nice, dans laquelle nous coince depuis maintenant 4 ans les Non successifs à toute réforme, si minime soit-elle, en a-t-elle les moyens ? Alors qu’Europe Écologie détaille ce qui est possible dans les traités actuels, ce qui nécessitera au moins le traité de Lisbonne, ce qui nécessitera un « premier amendement » constitutionnel, sur initiative parlementaire, au traité de Lisbonne (autorisé par ce même traité et promis par le Parlement sortant, sur proposition d’un eurodéputé Vert autrichien), nos auteurs soutiennent un Front de Gauche qui rejette même la ratification des indispensables amendements institutionnels du traité de Lisbonne !

Comment réaliser fût-ce le dixième de ces belles propositions, en votant pour des candidats qui refusent l’extension des pouvoirs du Parlement de 45 à 100% du budget dépense européen, y compris la Politique agricole commune ? C’est pourtant bien cette politique agricole (décidée actuellement par le seul Conseil des gouvernements nationaux, sous la pression des lobbies de l’agro-industrie) qui, non seulement élimine les paysans ici et là-bas, propage la disette mondiale, mais, en privilégiant l’agriculture industrielle, contribue de façon non négligeable à l’extension des « maladies industrielles », comme la crise de la vache folle ou celle de la grippe A.

Bien entendu c’est dans le domaine de l’écologie, auquel les auteurs accordent trois lignes, que l’on mesure l’étonnante distance qui les sépare des urgences de l’heure et du siècle. Citons intégralement : « Il ne s’agit plus de produire toujours plus, mais mieux. Et cet impératif écologique, qui met en jeu le long terme, mérite une véritable planification plutôt que des marchés de droits à polluer ». Point.

Lunaire. Les auteurs, « nonistes », sont tellement loin des enjeux européens qu’ils n’ont pas remarqué que, depuis la conférence de Kyoto, l’Union européenne « planifie », et même en quantités physiques, et même jusqu’à 2020, la décroissance de ses émissions de gaz à effet de serre, la progression de l’efficacité énergétique de ses moteurs, et la croissance de la part de ses énergies renouvelables ! Cette planification est même décomposée en sous-objectifs pour chacun des 27 pays. Faut-il aller plus loin ? Planifier rigidement, pour chacune des 5000 grandes entreprises qui se voient actuellement attribuer des quotas annuels décroissants ? Les écologistes se refusent à pousser jusque là un délire quasi-soviétique. D’où l’idée que, si une cimenterie et une aciérie se voient attribuer chacune tel quota en début d’année (ou mieux, l’acquièrent de l’Etat ou de l’UE, en payant), la première, si elle a su éviter plus d’émissions que prévu, pourra revendre à l’autre, sur un « marché des quotas », le « rab » dont elle a besoin. À l’intérieur de la planification physique, le marché des quotas ne fait donc qu’introduire un bonus-malus.

Les écologistes ont énormément de critiques à faire à la planification écologique européenne adoptée par la majorité PPE – PSE – ALDE (en français UMP – PS – Modem), mais pas celle de ne pas en faire. La critique écologiste, c’est que la majorité Barroso planifie des objectifs criminels de croissance des agro-carburants qui affament le tiers monde. C’est qu’après des années où l’Union s’est gargarisée de sa volonté de contenir à +2° le réchauffement climatique pour ce siècle, ce qui exigeait, d’après les scientifiques du GIEC (Prix Nobel 2008), une réduction de -25 à -40% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020 (on parlait il y a un an de –30% pour l’UE !), cette majorité, en décembre dernier, a sans honte décidé d’abaisser à -20% les objectifs de réduction. Ce qui, toujours selon le rapport du GIEC, promet un réchauffement de 3 à 4 degrés. Là, on sort de tous les scénarios imaginables, c’est le monde de Mad Max qui est planifié !

Certes, les eurodéputés sortants du Front de gauche ont voté avec les Verts contre cette honteuse capitulation devant l’industrie automobile. Le problème, c’est que ces sortants ou nouveaux candidats ont affirmé et réaffirment tranquillement que le nucléaire est justement une issue. La catastrophe de Tchernobyl, comme la prolifération du nucléaire civil vers le militaire en Corée du Nord comme en Iran, ne leur a pas servi de leçon.

Oui, l’Union européenne peut nous sortir de la crise. Oui, elle peut planifier et financer une conversion écologiste. Mais seulement une Europe plus fédérale, pas celle de Maastricht-Nice. Mais seulement une Europe avec une majorité écologiste, pas avec une majorité productiviste et nucléophile.

Alain Lipietz, économiste, ancien eurodéputé (Verts). Dernier ouvrage paru : Face à la crise : l’Urgence écologiste, éd. Textuel.



À noter :

On trouve une "réponse à la réponse" de quelques signataires de l’article initial en cliquant ici.

Sur le Web : Sur le site de Libération

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