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par Alain Lipietz | 6 mai 1999

Politis, N°547
Bye, Bye, USA ?
Quand tout a été dit sur les années perdues au Kosovo, sur Rugova ignoré, les démocrates serbes abandonnés, la raison doit céder au choix tragique entre deux valeurs, devenues, par la faute de Milosevic, antagoniques : la non-violence, et les droits humains. Déchiré, comme la majorité des Verts, j’ai opté pour la seconde. Comme le dit le Mouvement pour une Alternative Non violente : " Une force d’interposition militaire s’avérera probablement nécessaire (?).

Lorsque, pour les États, le choix, face à des violations caractérisées des droits de l’Homme, n’est qu’entre la violence et la lâcheté, mieux vaut encore qu’ils choisissent la violence, dès lors qu’elle permet effectivement de parvenir à un moindre mal. "

" Dès lors que ? ", et ici la raison reprend ses droits. La violence militaire ne peut avoir qu’un but : refouler la purification ethnique, rétablir le peuple du Kosovo dans ses droits, instaurer une paix durable dans les Balkans. Pour cela, il aurait fallu que la " force d’interposition " intervienne au sol, avec ou sans la permission de Milosevic, et jusqu’à la frontière nord du Kosovo. Et, faute de cette " permission " bien improbable, il lui faudra une couverture aérienne, il lui faudra s’appuyer sur ceux qui résistent encore au Kosovo (sauf à passer par la Hongrie, ce qui serait loin du " moindre mal ").

Or, la stratégie de force a tourné le dos, dès le début, à cet impératif. Des frappes, pour appuyer l’interposition, oui. Des frappes, sans l’interposition, c’est la stratégie de la " punition ", de la pression sur les populations civiles pour intimider le dictateur : des crimes de guerre comme monnaie d’échange face aux crimes contre l’humanité. Mais les crimes de guerre ne peuvent que souder le peuple serbe autour de son dictateur, et cela sans ralentir d’un jour une épuration ethnique préparée de longue date. Arrêter les frappes sans condition, c’est aujourd’hui ratifier la victoire de Milosevic. Les continuer sans rien faire d’autre, c’est subir sa victoire en s’enlisant dans l’illégitimité.

Ah ! la légitimité ! Ultime condition et ultime piège. " D’accord avec vous, mais pas avec l’OTAN ", nous disent beaucoup d’opposants à l’intervention. Et d’invoquer la seule " légalité " sensée apporter le sceau de la légitimité, celle de l’ONU.

Rappelons d’abord un fait : aucun gouvernement européen, sauf celui de Tony Blair, n’est partisan de l’intervention au sol. Le choix de la guerre téléguidée n’est pas une conspiration de l’impérialisme américain, mais un choix timoré de l’Europe des gouvernements. Cette guerre de terreur qu’ils ont sollicitée, ils en paient en effet le prix ! Mercenaires aériens d’une Europe inconséquente, les États-Unis imposent leur tarif : le sabotage de toute initiative (comme le plan Fisher) qui mettrait en selle la personnalité propre de l’Europe, la coopération de la Russie, le rôle des Nations Unies. Sous la guerre contre Milosevic, se manifeste une résistance américaine non contre l’Europe, mais contre l’Organisation de la Sécurité Collective en Europe, contre l’ONU, et sans doute contre le spectre d’une Eurasie. Or la rentrée en scène de l’OSCE, de la Russie, de l’ONU, pourrait donner à une intervention au sol la légitimité qui lui manque.

Ici, les intérêts européens divergent des intérêts américains. Et cette divergence croîtra tout au long du prochain siècle, se combinant aux divergences commerciales (bananes, veaux aux hormones), aux divergences environnementales (Kyoto ?). C’est pourquoi " l’anti-américanisme primaire " de nos nationalistes est dangereux : il jette de l’huile sur des braises qui ne demandent qu’à flamber. Le sursaut d’indépendance nécessaire de l’Europe ne doit pas se baser sur le rejet des États-Unis, base arrière de l’anti-fascisme européen infiniment plus démocratique que la Russie, mais sur l’affirmation aussi paisible que résolue de nos intérêts : la paix en Europe dans la coexistence des peuples. Une paix que nous devons assurer nous-mêmes.

Bye-bye, USA ? Non. Bienvenue à un vieux rêve : l’Europe politique et démocratique. C’est pourquoi il ne faut pas tant parier sur l’ONU que sur l’OSCE. D’abord, l’ONU n’est pas l’expression du Droit. La seule " légalité internationale " existante, c’est le texte de la Charte Universelle des Droits de l’Homme, dont l’auteur, René Cassin, disait : " Nous l’avons rédigée pour qu’aucun homme ne puisse plus dire : j’ai le droit de massacrer qui je veux chez moi ". Or à l’ONU, beaucoup d’États partagent cette maxime : la Russie (en Tchétchénie), la Chine (au Tibet), sans oublier l’Inde dont le gouvernement hindouiste raciste promet aux Sikhs et aux Musulmans le sort des Kosovars ? L’ONU a légalisé la Guerre du Golfe, mais livré Sebrenica au génocide. L’ONU n’est pas un le temple du Droit.

Mais le Droit n’est que vent sans instance de régulation. Une seule structure regroupe les pays intéressés par la paix en Europe, sans s’embarrasser d’un veto chinois : l’OSCE. Les États-Unis et la Russie y figurent. Celle-ci n’est pas inconditionnelle de Milosevic. Moyennant le respect de ses craintes et de ses droits, elle pourrait appuyer l’option du " moindre mal ". Mépriser cette option serait à terme assurer " le plus grand mal ".




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