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par Alain Lipietz | 27 avril 2009

EcoRev’. A paraitre.
Parlement européen : les chantiers du Green Deal et les contraintes des traités
La cause semble entendue : face à la première crise mondiale à la fois sociale et écologique du capitalisme, le monde a besoin d’une issue redistributrice (des riches vers les pauvres) autant qu’écologiste. Le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement parle de « Green New Deal », et même le communiqué final du G-20 de mars 2009 prône une « green and inclusive recovery », une récupération verte et solidaire. Il s’agit de combiner une relance rooseveltienne par la redistribution des revenus, et une réorientation du modèle de production-consommation vers les activités respectueuses de l’environnement, en particulier pour sauver la planète de la dérive climatique et de l’érosion de la biodiversité.

Le bon sens indique alors que, la crise étant globale, ces politiques anti-crise impliquent une action coordonnée, supranationale. Or une instance capable de politique publique n’existe pas à l’échelle globale, tout au plus à l’échelle continentale : les États-Unis, l’Inde, la Chine. Ni le Brésil, ni même l’Allemagne n’ont les moyens d’agir face à cette crise-ci. Idéalement, l’Union européenne a les moyens d’agir, ou plutôt les aurait eu si, dans les premières années 2000, elle avait su opter clairement pour une constitution politique de type fédéral, avec décisions à la majorité dans un système bicaméral : une chambre représentant les citoyens , l’autre les États, comme aux États-Unis d’Amérique ou en Suisse . Ce ne fut pas le cas : politiquement, on en est resté à la « non-Europe » des traités de Maastricht et de Nice. Le tout premier chantier du Parlement et de la Commission européenne issus des élections de 2009 sera de se doter des moyens institutionnel d’agir, c’est à dire de développer les politiques sociales et environnementales exigées par la crise.

D’autres articles d’Ecorev détaillent ces politiques. Je souhaiterais ici me limiter à trois exemples, pour montrer comment des contenus politiques, pourtant minimaux, se heurtent aux blocages imposés par les traités actuels, qui subordonnent la politique européenne, dans la plupart des cas, à l’unanimité des 27 gouvernements réunis en Conseil des ministres. Cette unanimité requise pèse, par des phénomènes de chantage (cross retaliation), même dans les cas (minoritaires) de codécision à la majorité. Il s’agit de trois chantiers, laissés pendants par législature qui s’achève, choisis pour leur caractère décisifs en vue d’une « récupération verte et solidaire », mais aussi pour le fait qu’ils sont dores et déjà soumis à la règle de la codécision Parlement-Conseil et de la majorité qualifiée : la limitation du temps de travail, le « paquet énergie-climat » et la lutte contre le trafic du bois.

1. La limitation du temps de travail.

La réduction du temps de travail est certainement la mesure sociale en même temps la plus redistributrice et la plus respectueuse de l’environnement : elle revient à déplacer le partage de la valeur ajoutée au profit des salariés, sans accroître en proportion la consommation de biens matériels, elle offre du « temps pour vivre » tout en créant des emplois. Or, si la législation sociale échappe largement à la codécision et à la majorité, les limites au temps de travail bénéficient de ce « privilège », parce qu’elles relèvent de la « protection de la santé au travail. »

Depuis longtemps une directive Temps de travail fixe donc la durée maximale du travail hebdomadaire dans l’Union à 48h (avec une journée de repos par semaine, et pas plus de 11 heures de travail d’affilée). Vu de la France des 35 heures, cela paraissait peu contraignant. Ce n’est plus le cas, et c’est une limite très réelle pour les entreprises qui s’implantent dans les pays de l’Est européen. Mais la Grande-Bretagne avait obtenu un opt-out, c’est-à-dire qu’une entreprise peut « proposer » à un salarié de renoncer à ses droits européens. La Commission européenne proposa une révision de la directive, limitant cet opt-out britannique à 65 heures. La position des syndicats et le premier vote du Parlement (rapport Cercas), en mai 2005, fut au contraire de supprimer purement et simplement l’opt-out britannique, en refusant l’annualisation, et en précisant que le temps d’astreinte était inclus dans le temps de travail.

Après ce vote du Parlement en première lecture, le Conseil européen traîne les pieds, puis ré-adopte la position de la Commission (65 heures remplaçant l’opt-out indéfini), sous la pression de la Grande-Bretagne et ses deux ex-colonies, Chypre et Malte, comme aussi... de l’Allemagne, en échange du soutien britannique sur un autre vote (le respect de la cogestion dans les fusions d’entreprises transfrontalières) ! On arrive enfin en décembre 2008 à la deuxième lecture du rapport Cercas au Parlement, et le Conseil espère bien qu’aucune majorité absolue ne viendra renverser sa position. En effet, en deuxième lecture, le Parlement doit s’exprimer à la majorité qualifiée, c’est-à-dire plus de la moitié de ses membres, qu’ils soient présents ou pas, ce qui est assez difficile à obtenir. Pourtant Alejandro Cercas et la commission Emploi du Parlement proposent d’en revenir au résultat de la première lecture du Parlement.

Pour appuyer cette proposition, une grosse manifestation européenne, comme lors du débat sur la directive Bolkestein, défile dans les rues de Strasbourg. Stupéfaction : le Parlement revote tous les points sensibles du rapport Cercas, avec une centaine de voix au-delà de la majorité qualifiée !

Alejandro Cercas, pour obtenir cette improbable succès, avait fait un énorme travail entre les deux scrutins, avec l’aide des syndicats. Par le biais des anciens de Solidarnosc, dispersés jusque dans les paris d’extrême-droite, il a pu influer par exemple une grande partie du vote polonais. Mais au-delà, ce vote exprime la première prise de position inspirée par la classe ouvrière au sein de la crise actuelle.

Tout va maintenant dépendre du Conseil. Si la majorité du Conseil ne se rallie pas à la position du Parlement, la révision de la directive tombe… et on en revient à la directive actuelle, c’est à dire que les Britanniques gardent leur opt-out. On mesure ici une première limite de la « codécision au sens de Nice » : dans ce type de jeu, les gouvernements nationaux gardent le dernier mot.

2. Le paquet « énergie – climat »

La lutte contre le changement climatique est un peu la « carte de visite » de l’Union européenne à l’échelle internationale, et le tardif ralliement des États-Unis d’Obama ne remet pas en cause cette avance historique du Vieux Continent. Malheureusement, à l’échelle du temps écologique, cette avance n’est qu’un moindre retard. Toute « récupération verte » n’impliquant pas au moins une réduction de 25 à 40% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020 dans les pays développés impliquera, selon les experts du GIEC, un réchauffement planétaire de plus de 3°C. Tel est l’enjeu de la conférence post-Kyoto prévue pour décembre 2009 à Copenhague. Et pour présenter son meilleur visage à la conférence préparatoire de Poznan, en décembre 2008, les fonctionnaires de la Commission européenne proposent 6 directives centrées sur l’objectif « - 30% d’ici 2020 », qui permettrait de limiter le réchauffement autour de + 2°C.

Normalement le Parlement devait amender et voter ces directives en première lecture, puis le Conseil des ministres de l’environnement donner sa position, à la majorité, etc. Mais, au Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, présidé par Sarkozy en novembre 2008 en parallèle à la conférence sur le climat à Poznan, décision est prise d’aller vite, et à l’unanimité : donc en acceptant les vetos des pays les plus réticents. La Pologne veut préserver son industrie minière, l’Allemagne son industrie automobile, etc. Le résultat n’est pas exemplaire du tout, très loin du « scénario +2°C » du GIEC. L’unanimité péniblement obtenue par Sarkozy (alors que la majorité suffisait) envoie plutôt la planète vers +3, +4 degrés.

Pourtant, les quatre principaux groupes politiques du Parlement (PPE, PSE, ALDE et UEN), soit en France : l’UMP, le PS et le Modem, décident d’adopter, en bloc, tout simplement la position du Conseil. Dès lors, les carottes sont cuites, le compromis du Conseil définitif.

Deux directives sont assez bonnes : celle sur la « qualité des carburants » et celle sur les « énergies renouvelables ». Trois sont vraiment mauvaises : sur les « normes de consommation des automobiles neuves » (où les industriels ont fait jouer la peur du chômage), et sur les expériences de « stockage géologique » du carbone (technique coûteuse et incertaine). La plus mauvaise est la plus décisive : celle sur le « partage du fardeau », qui non seulement entérine le fait que l’Europe ne vise plus qu’une baisse de 20% de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020, mais encore qu’elle pourra y parvenir largement en finançant des « économies de pollution » dans le tiers monde, c’est à dire en payant les pauvres à faire les efforts à notre place ! On appelle cela « Mécanismes de Développement Propre ». Les Verts votent pour les deux premières et contre les trois autres.

La dernière directive porte sur les « quotas d’émission » de gaz à effet de serre assignés aux grosses industries. On espérait que 100% des quotas seraient vendus aux enchères par les États. Le compromis Sarkozy permet d’en distribuer gratuitement à une grande partie de l’industrie, au nom de la « compétitivité ». Argument faux : dans le cas de l’aviation, l’Union, sous l’impulsion du Parlement, a déjà décidé de mettre ses compagnies en situation de concurrence non-faussée, en obligeant les compagnies des pays tiers à acheter aussi leur quotas quand leurs avions se posent en Europe. Mesure « protectionniste » qu’on aurait pu étendre aux autres industries. Néanmoins, les Verts acceptent de voter cette directive pour soutenir le principe des quotas, « planification en quantités » la plus rigoureuse pour la réduction de l’effet de serre.

Certes les dés roulent encore. D’ici Copenhague, bien des choses peuvent changer, au Parlement comme en Allemagne… Le chantier reste ouvert et sera celui des élus de Juin 2009. Mais nous avons ici une seconde leçon : même quand les règles constitutionnelles permettent au Parlement d’opter pour le Green Deal, il ne faut pas compter sur les « partis de gouvernement » traditionnels, de gauche comme de droite, pour en prendre fermement la direction !

3. La lutte contre le trafic des bois

La défense de la biodiversité (ce système immunitaire de la planète) passe par la défense de deux types d’écosystèmes sauvages : les zones humides et les grandes forêts. Or ces dernières sont terriblement menacées par de multiples processus économiques, au premier rang desquels l’exportation de bois, en particulier exotiques. C’est pourquoi la défense de la biodiversité passe par le respect des lois existantes dans le tiers-monde pour protéger ses forêts. Lois que défient les contrebandiers.

Depuis 2003, l’Union s’en tient au volontariat du programme FLEGT (Forest Law Enforcement, Governance and Trade), « Mise en œuvre des lois sur les forêts dans le commerce ». Il s’agit en effet de propositions d’accords volontaires, de la part de l’Union, avec les pays exportateurs de bois et les entreprises, pour qu’au moins soit respectée la légalité en matière d’exploitation forestière. La légalité, et pas forcément la "durabilité" : il ne s’agit pas d’imposer aux pays exportateurs une législation conforme à une exploitation soutenable de leurs forêts ! Mais il ne s’agissait pas non plus, de la part de l’Europe, de rendre obligatoire le respect de cette légalité. Quand les douaniers savent qu’arrive dans un port un container de T-shirts marqués du faux petit crocodile d’une marque célèbre, ils ont le droit de les saisir ; quand ils apprennent l’arrivée d’un bateau entier chargé de billes de bois coupées illégalement dans un parc naturel de République Démocratique du Congo, ils n’ont pas le droit de le saisir ! L’Union est plus encline à protéger ses marques que la biodiversité planétaire...

Pendant des années, en tant que président de l’intergroupe Commerce et développement soutenable, je me suis battu pour « durcir » le projet FLEGT. Le Parlement a fini par user de son droit d’initiative législative en demandant à la Commission de faire une proposition de directive. Car, contrairement à ce que de vains critiques pensent, le Parlement a bel et bien, depuis le traité d’Amsterdam (précisé par l’Accord interinstitutionnel « Mieux légiférer »), un pouvoir d’initiative législative, mais ce pouvoir doit passer par le canal de la Commission européenne.

La Commission rend sa copie en 2008. Au lieu de donner aux douaniers européens le droit de saisir les bois illégaux, elle se contente de demander aux entreprises qui importent du bois en Europe d’avoir "raisonnablement enquêté" sur la légalité de ce bois ! La rapporteuse (verte) Caroline Lucas réussit à faire voter en commission Environnement un durcissement considérable du projet de directive, qui va jusqu’au droit de saisie des bois illégaux, et étend la responsabilité, non seulement aux importateurs, mais aux entreprises qui leur achètent du bois (elle introduit le délit de recel de contrebande de bois illégaux).

On voit comment fonctionne le droit d’initiative législative du Parlement : certes, c’est la Commission qui introduit un projet de texte à la demande du Parlement, mais le Parlement peut largement l’amender quand la Commission n’a pas fait ce qui était demandé.

En avril 2009, le Parlement adopte sans coup férir le rapport Lucas. Pour la première fois, le Conseil des ministres de l’environnement va donc devoir se prononcer sur un texte inspiré et (après amendements) rédigé par le Parlement. La seconde lecture reviendra alors au Parlement élu en 2009…

Conclusion

On a pu mesuré que la puissance politique du Parlement ne dépend pas seulement de la lettre des traités, mais des mobilisations de la société civile (autre exemple : l’inflexion de sa position sur les agro-carburantsii) et des jeux de pression entre lui et les gouvernements, impliquant parfois les aspects nationaux. Le rapport des forces serait cependant considérablement modifié si en général les décisions européennes étaient adoptées à la majorité.

Les chantiers en cours ne manquent pas : la loi sur les services publics, la réforme de la Politique agricole commune, la coordination entre la Banque centrale et la Banque européenne d’investissements pour financer le « Green Deal »… Tout cela passerait en co-décision et à la majorité si Lisbonne était adopté. Surtout, avec le droit d’initiative populaire, sur un million de signatures, la jonction se ferait enfin entre l’émergence d’une opinion publique européenne et le travail législatif. Les Etats-Unis ne sont-ils pas eux-mêmes devenus une vraie fédération à l’occasion de la crise des années trente ?




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