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par Alain Lipietz | 28 octobre 1999

Politis
Pour un mouvement politique de masse
Ah ! ce fut une belle manif, que celle de Monsieur Hue ! Un soleil d’automne, les cars, les TGV, et, allez, 50 000 personnes. Deux fois plus que les patrons, et... moitié moins que les chasseurs. Pas mal, mais, tout compte fait, une défaite sur le terrain où l’on attendait le peuple de France, ses cinq millions de chômeurs et ses trente millions de salariés : la rue.

Les Verts qui défilaient (j’en étais) étaient contents. On avait fait la preuve que cinq partis (du MDC à LO) pouvaient, sans être ridicules, mobiliser sur une question sociale, pour faire pression sur un gouvernement de gauche. Mais le plus content était Robert Hue : il n’avait pas raté " son " coup. Mais le coût de ce coup était lourd. Par rapport à l’objectif (le chômage) et contre la mondialisation hyper-libérale, la mobilisation des masses n’était pas à la hauteur, loin s’en faut. Et l’échec était inscrit dans les conditions mêmes de la convocation.

Dès l’appel de Robert Hue, les défections s’étaient multipliées. D’abord la réticence de Dominique Voynet. Puis le lâchage de la CGT. Le refus de SUD et d’AC ! Le débat dans la FSU. Et la parution du texte, autour de Pierre Bourdieu, appelant à l’autonomie du mouvement social, revenant à la critique initiale de Dominique Voynet.

Car le problème n’était pas " Peut-on être au gouvernement et dans la rue ? ".Dès le 18 juin 1997, les Verts se retrouvèrent dans cette situation pour avoir appelé à un rassemblement sur le cannabis, aussitôt interdit. Posture qu’ils ne quitteront plus, face à la dureté gouvernementale vis à vis des sans papiers. Le vrai problème, c’est l’idée : " Les partis et les syndicats n’ont pas le même rôle ". Elle renvoie à une tradition séculaire : la Charte d’Amiens (1907), la séparation partis-syndicats dans le mouvement ouvrier français.

N’en déplaise à Dominique Voynet ou Pierre Bourdieu, je pense que cette séparation est caduque, en tout cas sous cette forme absolue. À s’y tenir, les grèves et les manifestations de 36 et de 68 auraient été impossibles ; les Verts n’auraient pas le droit d’organiser avec Greenpeace et les anti-nucléaires des manifestations contre les laboratoires d’enfouissement, etc. Mais les raisons d’Amiens valent d’être méditées.

Première raison : la différence des rôles, justement. Les organisations de masse, les syndicats, représentent des intérêts. Les partis représentent des projets, avec des compromis, ou leur mise en œuvre gouvernementale. Les syndicats ne doivent pas se subordonner à leurs choix tactiques. Mais justement la seconde Loi Aubry, même si elle place la France à l’avant-garde mondiale, représente un compromis que plusieurs partis pouvaient à bon droit juger insuffisant (pour les femmes à temps partiel, les " cadres de la 3ème catégorie ", les salariés un peu au dessus du SMIC) et surtout beaucoup trop lente dans sa mise en œuvre. Cela reste, en tout cas, l’avis d’une large partie du mouvement populaire. Il était essentiel de contrebalancer en masse la pression du patronat. Et tous ensemble !

Or (c’est le second argument), la convocation avait été formulée dans des conditions qui puaient ce qui fait horreur aux organisations de masse, la " récupération " . C’est-à-dire l’instrumentalisation au profit d’un parti et même d’une tendance d’un parti. En se réjouissant de l’embarras du PS et des Verts, Robert Hue a montré que son but était justement de ne pas faire l’unanimité à gauche : de marquer des points, non en faveur des chômeurs et des salarié-e-s, mais sur le dos de ses partenaires.

Oui, il faut apprendre à débattre, et parfois agir ensemble, entre organisations dont les vocations sont distinctes : organisations de masse (syndicats), mouvements citoyens, organisations de représentation politique (partis). À certains moments clés des processus de transformation sociale, elles doivent être capables de fusionner dans ce que les Italiens appelaient jadis : " mouvement politique de masse ". Cela demande, de la part des partis, infiniment de doigté, de modestie. Surtout quand ils prennent l’initiative : ils doivent la faire apparaître comme une nécessité du mouvement tout entier, en privilégiant rencontres et contacts plutôt que déclarations publiques, et s’effacer dans des collectifs plus larges.

Une occasion a été manquée. Et les faiblesses de la seconde loi en portent la trace. Souhaitons que la leçon porte, pour les prochaines échéances : la seconde lecture de la loi, sa mise en œuvre, la bataille face à l’OMC ?




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