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1er décembre 1999

Viva (mensuel des Mutuelles de France)
Activités économiqes : valeur sociale ajoutée
MIEUX RECONNAÎTRE LA VALEUR SOCIALE AJOUTÉE DE CERTAINES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES
Quelle place donner à l’économie sociale ? Comment soutenir ce tiers secteur, qui est une réponse populaire aux manquements du marché ? Les mutuelles y ont-elles leur place ? L’économiste Alain Lipietz, député Verts au Parlement européen - où il est membre de l’intergroupe sur l’économie sociale -,répond aux questions de Viva.

Martine Aubry vous a demandé d’étudier I’opportunité de créer un " statut spécifique pour les activités économiques à vocation sociale et le tiers secteur ". Pourquoi ?

Il y a dans la société un, certain nombre de tâches répondant aux besoins des particuliers qui ne sont effectuées ni par le secteur public, qui dispense du bien d’intérêt général en se finançant par l’impôt, ni par le secteur privé, qui considère qu’elles ne sont pas rentables. Ces activités sont celles qui, au-delà d’un service particulier, produisent du lien social. Par exemple l’ouverture par des travailleurs en insertion d’un restaurant dans des quartiers où personne ne veut aller, la mise en, place d’un service de garde d’enfants ou des missions d’utilité écologique.

Ce lien social a une valeur que l’on ne peut comptabiliser de manière purement marchande. Ces activités qui donnent un contenu social aux tâches économiques, qui les gratifient d’une valeur sociale ajoutée méritent d’être subventionnées au sein d’un " tiers secteur ", à mi-chemin entre publie et privé. On l’appelle aussi " économie solidaire " : elle offre une production de marchandises ou de services auréolée d’un halo sociétal. Voilà ce fameux tiers secteur dont Martine Aubry m’a demandé de clarifier la situation.

Ce tiers secteur a pourtant une longue histoire ?

L’économie sociale est une réponse populaire aux manquements de l’État et du marché. Ce tiers secteur est apparu il y a longtemps, mais son essor a été freiné par la Révolution française libérale, pour laquelle l’individu ne pouvait être que citoyen et contribuable du service publie ou client du marché. La naissance d’une " économie sociale ", au tournant du siècle, par la reconnaissance des associations, mutuelles et coopératives, a entériné un mouvement de résistance contre le compromis intenable de 1789. Il faut attendre 1945 pour que l’État et le marché passent de nouveaux compromis. L’État devient enseignant, soignant et avec la Sécurité sociale, État providence. L’économie sociale se développe soit en complément du secteur public (les associations), soit en sous-traitante du système de Sécurité sociale (les mutuelles), soit en concurrente des entreprises (les coopératives). Devenant gestionnaire, cette économie sociale, officielle, historique, a perdu sa capacité à innover en matière sociale.

Quelle forme prend ce tiers secteur aujourd’hui ?

Il fait cohabiter l’économie sociale historique (associations, mutuelles, coopératives) avec de nouvelles activités, appelées " communautaires " au Québec, mais le terme fait peur en France. Ce tiers secteur, c’est " du vin nouveau dans de vieilles outres ", car il renoue avec les valeurs initiales de solidarité de l’économie sociale, sclérosées par sa satellisation autour du couple État-entreprise. La crise, en ébranlant aussi bien l’État providence que la famille, a fait émerger un nouveau tiers secteur, axé sur l’emploi et la lutte contre l’exclusion. Cette nouvelle économie solidaire part de l’idée bébête, mais ô combien juste, que puisque le chômage a un coût, il serait plus efficace économiquement et humainement de subventionner des entreprises qui produisent de l’insertion plutôt que des chômeurs passifs. L’écueil, c’est de permettre à ces entreprises subventionnées de se développer sans faire couler d’autres sociétés du secteur privé, d’où l’idée de réserver leur domaine d’intervention a des tâches d’utilité écologique et sociale.

Qu’avez-vous proposé à Martine Aubry ?

De mettre en oeuvre une " charte parapluie " couvrant tous les acteurs de l’économie sociale et solidaire (coopératives, associations, sociétés anonymes de production de services et de marchandises) répondant à ces critères de valeur sociale ajoutée. Cette charte parapluie ouvrirait droit à des exonérations fiscales et à des subventions.

La mutualité est-elle concernée par cette charte ?

Elle petit l’être si le mouvement mutualiste est capable de réfléchir à ses origines, aux spécificités de ses techniques et de ses conceptions solidaires. Mais la mutualité, par sa logique même, qui cherche l’effet de taille pour mutualiser les risques, s’est éloignée du terrain, des mutualistes en chair et en os, et de sa vocation sociale.

Les mutuelles - certaines plus que d’autres -, en se positionnant plus comme gestionnaires du système complémentaire de la Sécurité sociale que comme actrices du mouvement social, insérées dans l’économie solidaire, sont devenues moins lisibles. C’est pourquoi, face aux directives européennes, elles sont obligées de revendiquer leur spécificité et de justifier le fait qu’elles ne sont pas des assurances comme les autres. Face à ces nouvelles échéances, la mutualité doit affirmer sa volonté de renouer avec son histoire. C’est la politique de la Fédération des mutuelles de France, qui aspire à s’engager dans l’avenir en s’appuyant sur ses racines de mutualité populaire. C’est sa force. C’est la carte qu’elle devra jouer face à des compagnies d’assurances qui ne s’embarrassent pas de préoccupations sociales. Dans le système assurantiel privé, si on n’est pas content de vous, on vous vire. La mutualité ne se débarrasse pas de ses mutualistes. Mais ce qui la dessert aujourd’hui, c’est le manque de lisibilité de ses conceptions solidaires, y compris pour ses propres membres. Il faudrait tenter d’amorcer une reconquête de la mutualité par les mutualistes eux-mêmes et relancer l’initiative en son sein.

Cette charte parapluie est-elle transposable au niveau européen ?

Oui, si les différentes institutions de l’économie sociale ne s’arc-boutent pas sur leur spécificité nationale mais parviennent à définir un cadre commun au tiers secteur dans lequel trouveraient leur place aussi bien les coopératives, les entreprises à but économique et social, les institutions financières solidaires que les associations sans but économique. Cette clarification permettrait d’évaluer, à l’échelle européenne, qui fait de l’économie sociale et qui n’en fait pas.

Certains fonctionnaires de la Commission européenne reconnaissent que le tiers secteur existe. D’autres, soumis au lobbying des entreprises, voudraient le faire éclater entre ce qui relève, d’une part, du secteur rentable et marchand et d’autre part, de la bienfaisance. C’est refuser de reconnaître ceux qui librement, s’associent collectivement pour se rendre des services économiques mutuels. Cette économie alternative, le libéralisme ne la supporte pas. C’est pourtant une nécessité de la vie humaine : nous ne sommes pas de purs contribuables ou de purs consommateurs. Nous avons besoin d’association et de communauté, de ce capital social mis en commun.

Propos recueillis par Anne-Marie Thomazeau




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