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par Alain Lipietz | 13 janvier 2000

Politis, n°583
ET SI L’ON REPARLAIT DE STRATÉGIE OUVRIÈRE ?
L’année 99 s’achève sur un étonnant paradoxe. La croissance, conformément aux pronostics gouvernementaux, et malgré les Cassandre, se chiffre autour de 2,7 %. Le chômage baisse à un rythme impressionnant. Les Français retrouvent l’optimisme. Et cependant, dans certains cercles de centre-gauche ou d’extrême gauche, on entretient le culte de l’idéologie du désespoir des années 90 : " Rien n’est possible ".

Au centre gauche, cette ligne est théorisée par le livre des journalistes du Monde et de Libération, Laurent Mauduit et Gérard Desportes, dans La Gauche imaginaire, et par les dessins répétitifs de Plantu sur le thème " Nous faisons la même politique de Juppé, mais nous avons du bol ". C’est logique : tout au long des années 80-90, la ligne éditoriale de ces journaux (qui s’est quand même nettement infléchie depuis), rabâchait que la globalisation dictait sa loi, que Maastricht était nécessaire, que la politique était désarmée. Si aujourd’hui une politique semble donner des résultats, c’est qu’elle est " imaginaire ", et que le succès est un don du ciel, ou plutôt du cycle.

Or ce don a été arraché par une politique précise : relance keynésienne et partage du travail. La première est la plus évidente. Quand le Prix Nobel Mundell parle de " bénédiction cachée de l’euro faible ", il oublie que ce fut un engagement public de la campagne électorale de 1997, que la conversion du PS à l’euro faible débloqua l’accord avec les Verts ; il impliquait la rupture avec les critères de Maastricht, fort adroitement annoncée en Juin 1997 par Strauss-Kahn, et la décision d’Août 97 d’accueillir l’Italie dès le lancement de l’Euro. Libérée de ce carcan, l’expansion fut enflammée par les transferts massifs en faveur des salariés (plusieurs dizaines de milliards de francs au budget 98), etc.

Mais " l’expansion ne crée pas d’emploi en dessous de 2,4 % " disait-on, à cause des gains de productivité. 2,4 % : ce fut justement la croissance française du premier semestre 99, malgré la crise asiatique. Pourtant l’emploi a cru à la même vitesse ! Miracle de la première loi Aubry : même dans sa phase facultative, le partage du travail " mangeait " les gains de productivité. Effet accéléré en Juin par la fin des primes les plus avantageuses ? qui pourtant, selon l’extrême gauche, " ne créent aucun emploi ".

Car il est navrant d’entendre, dans les débats, cette extrême gauche ressasser le discours des " jaunes " du XIXe siècle : " les patrons sont trop forts, nous sommes trop atomisés, nous ne pouvons pas lutter ". Combien l’étaient-ils plus en 1848 ou en 1936 ! Heureusement, les manifestants de Seattle n’ont pas écouté ces oiseaux de malheur.

Les vrais problèmes sont ailleurs. Peut-on encore accélérer la création d’emploi ? Que dire à ceux (10 % !) qui restent actuellement en marge de la reprise de l’emploi ?

La première question est celle des limites de la loi Aubry II, avec ses réserves d’heures sup’ autorisées. On mesure l’exact rapport de forces parlementaires issu des élection de 1997. Le PS, seul, voulait les 37 heures en 2002. Dans l’accord avec les Verts, il acceptait à contre-c ?ur " les 35 heures tout de suite, vers les 32 heures en 2002 ". Aubry II, c’est les 35 heures vers 2003. Beaucoup trop lent. Les députés pluriels ont eu pourtant raison de la voter, personne ne reproche à " ceux de 1936 " la loi des 40 heures ? même si les heures sup’ permettaient de travailler 52 heures en 1968. Aux luttes sociales de les combattre !

Pourtant, déjà l’argument cher à Alfred Sauvy retrouve sa réalité : les entreprises se heurtent à un manque de main d’ ?uvre. Dans l’électronique bien sûr. Dans le bâtiment, où on n’a presque rien construit depuis dix ans, ceux qui savent monter une grue ou un coffrage se font rares. Dans les stations de sports d’hiver, on se plaint de ne plus trouver la main d’ ?uvre corvéable habituelle. A St Herblain où les jeunes de Centre de Formation Professionnelle ne finissent pas leur année, aspirés par la croissance rugissante de St Nazaire, qui vient d’importer 8000 travailleurs immigrés (alors qu’on ne régularise pas ceux qui sont là !). Le travail, il y en a, mais le patronat veut des gens formés ? ou de la chair fraîche.

D’où le paradoxe. La croissance est déjà suffisante pour rendre à la majorité du salariat l’espoir et la combativité. A Toulouse, on innove dans la lutte : entre les Sociétés de Service Informatique, on organise par Internet la grève tournante (afin que les boites qui ne sont pas en grève ne prennent pas le boulot des grévistes).

Et en même temps, celles et ceux qui sont entrés en galère dans les années 80-90 ne se voient rien proposer. À Saint-Herblain, le chômage a juste inversé sa montée inexorable depuis 1973. Une génération est ainsi sacrifiée ; pour elle, 1997 n’a pas eu lieu.

Comment obliger les entreprises à assumer leur tâche de formation professionnelle, leur rapprendre à traiter correctement un travail qualifié ? Comment diffuser l’espérance chez les abandonnés, à partir des secteurs forts mais aussi en comptant sur leurs propres forces ? Comment régler le dosage entre la croissance (suspendue à l’imminente crise américaine, et qu’il faut canaliser dans les contraintes écologiques), le partage du travail, la montée du Tiers-Secteur, et la lutte des chômeurs pour le Revenu Garanti ?

Voilà les vrais débats. Pour les ouvrir, il faut d’abord tordre le cou à notre pire ennemi : le discours de l’impuissance politique.




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