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par Alain Lipietz | 3 mai 2008

Intervention à la plénière du Congrès des Verts Mondiaux sur la Biodiversité
Pauvreté, biodiversité et agrocarburants
Sao Paulo, 3 mai 2008
LANGUE ET TRADUCTIONS DE L’ARTICLE :
Langue de cet article : français
  • English  :

    How can we dedicate land to biofuel production when 25,000 people are dying from hunger each day, asks Alain Lipietz

Nous allons à la famine ! Ce titre d’un des premiers livres de René Dumont, anticipait de 31 ans son dernier livre, Famines, le retour, et la réalité de cette année 2008. René Dumont, l’un des plus grands agronomes du XXème siècle et fondateur de l’écologie politique, prophétisait qu’un modèle de développement productiviste, guidé par la loi du profit, aboutirait nécessairement à des famines généralisées.

Le dernier rapport de la FAO signale que 37 pays sont actuellement victimes d’une grave crise alimentaire, alors même qu’aucun d’eux n’est touché par un "accident climatique" particulier (sécheresse exceptionnelle, inondation). Non : simplement ils ont abandonné, sous injonction des organismes internationaux, leur souveraineté alimentaire. Et depuis deux ans le prix mondial des aliments a explosé, sous le coup de 3 facteurs : le changement climatique, l’apparition de nouvelles couches moyennes dans les pays "émergents" qui se convertissent à la viande (et la Terre est 20 fois moins productive en protéine animales qu’en protéines végétales) et... le développement des agrocaburants pour "nourrir les voitures".

Ce développement des agrocarburants n’a pas seulement pour effet de réduire à la famine les plus démunis. Il se fait au détriment des droits sur leurs terres des communautés paysannes (je pense aux 4 millions d’hectares volés par les paramilitaires colombiens et replantés en palmiers à huile). Il se fait au détriment de la biodiversité, des dernières forêts primitives, comme en Indonésie où disparaissent les écosystème des orangs-outangs, des zones floristiques de l’Union européenne.

Et pourtant, il y a encore deux ans, le développement des agrocarbrants était présenté comme la solution miracle contre la raréfaction des réserves en pétrole et dans la lutte contre l’effet de serre. L’Union européenne surenchérissait en objectifs de plus en plus ambitieux !

Le revirement quasi-unanime des positions officielles vis à vis des agrocarburants que l’on peut observer ces derniers mois est une première victoire. Il ne faut toutefois pas relâcher nos efforts. Il nous faut continuer à échanger nos points de vues, nos expériences, à les affiner, à convaincre. Car le combat n’est pas terminé et la route ne fut pas facile !

Je vais vous le montrer par un bref historique de la législation européenne en matière d’agrocaburants, avant de vous exposer la position des Verts français sur les biocarburants.

Tout "commence" en mai 2003, avec l’adoption par l’Union européenne de la directive visant à promouvoir l’utilisation des biocarburants (1). Cette directive incite les Etats membres à fixer des objectifs indicatifs pour l’introduction d’une part minimale de biocarburants sur le marché : 2% en 2005 et 5,75% en 2010. Pour le groupe Vert au Parlement européen, c’est une victoire. Mais nous, nous pensions à la transformation en carburant, par fermentation, des déchets végétaux !

En mars 2007, dans le cadre de proposition de révision de cette même directive par la Commission européenne, les dirigeants gouvernementaux européens s’engagent lors d’un Sommet à respecter l’objectif contraignant minimum selon lequel, dans chaque Etat membre, 10 % des carburants pour les transports devront être des biocarburants d’ici 2020. Cette décision fait suite au vote du Parlement européen, le 14 décembre 2006.

Ce jour-là, lors du vote d’une résolution sur une stratégie en faveur de la biomasse et des biocarburants, les amendements verts sont tous rejetés. Nous, nous avions demandé que la culture des agrocarburants ne se fasse pas sur les terres dédiées à l’alimentation ou à la conservation de la biodiversité. Aucun groupe ne nous a suivi ! Tout juste cette résolution reconnait-elle que l’accroissement continu de la production d’huile de palme peut avoir une incidence sur les forêts naturelles et les productions alimentaires traditionnelles, entraîner des pertes de biodiversité et des conflits territoriaux, et provoquer des émissions significatives de gaz à effet de serre (2). Porté par la vague d’espoir que représentent les agrocarburants pour nos sociétés bouffeuses de pétrole, le Parlement européen adopte le rapport à une très large majorité. Nous serons les seuls à voter contre.

Il a fallu l’organisation de nombreuses conférences sur les conséquences sociales et environnementales dramatiques des agrocarburants dans certains pays en développement (et notamment celles que j’ai moi-même organisée au Parlement européen le 9 mai 2007, sur la production d’agro-carburant à partir du palmier à huile : Les arbres du Mal), et la sortie par le groupe Vert d’une affiche et d’une carte postale « Manger ou conduire, faudra-t-il choisir ? », pour faire émerger notre message sur les agrocarburants (3).

Les ONG européennes et sud-américaines ont été très actives et nous ont très souvent associés à leurs combats et à leurs conférences.

Ce n’est qu’après ce combat acharné, durant de longs mois, que la prise de conscience des effets potentiellement négatifs des agrocarburants, tant en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, que sur la sécurité alimentaire et l’environnement des pays producteurs, a émergé. Un revirement extraordinaire de la presse s’est alors produit, largement alimenté par les rapports alarmistes des grandes institutions internationales appuyant nos positions sur les agrocarburants.

Le plus retentissant d’entre eux fut bien évidemment le rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation des Nations Unies publié le 22 août 2007 (4), de par ses déclarations fracassantes sur les effets des agrocarburants, véritable "violation du droit à l’alimentation et crime contre l’huanité", mais également de par la personnalité même de Jean Ziegler (5) .

En juillet 2007, un rapport conjoint de la FAO et l’OCDE s’interrogeraient déjà sur l’impact de la croissance de la demande d’agro-carburants sur la hausse des prix agricoles.

Depuis, toutes les grandes institutions internationales y vont de leur déclaration sur les effets dangereux des agrocarburants sur la hausse des prix des produits de base et les émeutes de la faim qui en découlent (FMI, Banque Mondiale...). Seul le Président Lula semble camper sur ses positions !

Ce mouvement international, scientifique, politique et médiatique a ainsi permis un revirement au sein du Parlement européen. Et ce que nous n’avions pu obtenir en décembre 2006, était voté à l’unanimité lors de l’adoption de mon rapport sur « Commerce et Changement climatique », le 29 novembre 2007. Nous avions pu y intégrer « la » phrase sur la protection de l’alimentation et de la biodiversité (6) .

En janvier 2008, la Commission européenne présente enfin sa révision de la directive de 2003 sur les biocarburants, dans le cadre d’une directive plus vaste sur les énergies renouvelables. La directive confirme l’objectif de 10% pour 2020, mais contient des "critères de durabilité" pour éviter les investissements massifs dans des biocarburants meilleurs marché, mais nuisibles à l’environnement. Les biocarburants qui ne permettent pas une réduction de CO2 d’au moins 35% comparé aux carburants fossiles, ainsi que les cultures de biocarburants semées après le 1er janvier 2008 dans les zones protégées, les prairies, les forêts et les zones humides riches en biodiversité ne seraient pas comptabilisés pour l’objectif de 10%.
Toutefois, au 3 mai 2008, la Commission n’a toujours pas changé ses « guidelines » et son objectif de 10%. Et nous, Verts, continuons à nos battre pour un moratoire sur l’objectif de 10%.

Au sein même des institutions de l’Union européenne (7) , des voix s’élèvent contre les agrocarburants et vont jusqu’à réclamer une pause dans la législation européenne avant l’obtention de nouvelles données probantes. D’abord, le Centre Commun de Recherche, en mars 2008, dans son rapport sur les incertitudes relatives aux agrocarburants, puis, le 10 avril 2008, le comité scientifique consultatif de l’Agence Européenne de l’Environnement, ont même demandé la suspension des 10% d’agrocarburants.

La semaine dernière au Parlement européen, lors de la Déclaration du Conseil et de la Commission « Hausse des prix des produits alimentaires dans l’Union européenne et dans les pays en développement », le Groupe Vert a organisé une conférence de presse demandant à nouveau un moratoire sur les agrocarburants et invitant la Commission à abandonner l’objectif des 10% pour les biocarburants. Nous pensons que l’utilisation de denrées alimentaires à des fins énergétiques est un mauvais choix. Seuls les déchets et les résidus issus de la biomasse doivent être utilisés pour la production énergétique.

Car attention ! Les Verts ne se positionnent pas contre tous les carburants captant l’énergie solaire par la fonction chlorophyllienne ! Notre emblème reste le tournesol ! Pour jouer sur les mots, disons que nous sommes pour les biocarburants, issus des déchets de biomasse, et contre les agrocarburants, issus de cultures spécifiques…

En ce qui concerne les pays dits développés, nous sommes pour une politique systématique de transformation en carburant de la matière putrescible mise en décharge, par fermentation. Ce qui a qui a le triple avantage d’améliorer la gestion des déchets, de produire de l’énergie propre, et du compost. L’exemple de Stockholm et maintenant de Lille, la grande métropole du nord de la France(8) , devraient ainsi être plus largement suivis. Ce sont pas moins de 270 bus qui fonctionnement grâce au biogaz à Lille. Les déchets de cuisine et de jardin sont ainsi transformés dans le Centre de Valorisation Organique en biogaz, carburant propre pour l’environnement, et alimentent ainsi les bus.

Y a-t-il une place pour les "agrocarburants", c’est à dire les végétaux plantés pour devenir du carburant ? Toute réponse à cette question doit être nuancée. Non, lorsque les cultures d’agrocarburants attaquent les terres cultivables et les réserves d’eau et de biodiversité. Oui, si elles ne font qu’offrir un débouché à une production en excès, comme par exemple celle du sucre. S’il y a déjà production de sucre en excès, alors il est tout à fait possible, voire souhaitable d’en faire de l’éthanol. Mais il ne faut pas planter de nouvelles cultures de cannes à sucre dont on sait qu’elles peuvent avoir des effets très préjudiciables pour le sol.

Le problème est qu’il est très difficile de contrôler l’expansion de la canne à sucre. Et si, par exemple au Brésil, elle n’est pas directement responsable de la déforestation de l’Amazonie, l’augmentation des surfaces cultivées en canne à sucre, depuis l’expulsion des petits paysans de la « Zona da Mata » dans les années 1980 par le plan pro-alcool jusqu’aujourdhui, renvoie bétail, soja et autres cultures toujours plus loin dans le Cerrado et les forêts...

Hélas ! Le recul du prestige des agrocarburants a fait revenir sur le devant de la scène le nucléaire, décrétée par certains "énergie propre" et outil de taille dans la lutte contre le changement climatique. Surtout pas ! Les Verts rejettent la dangereuse industrie nucléaire et nous devons poursuivre notre lutte et combattre les porteurs de cette campagne de manipulation. Nous devons nous battre sur les trois cotés du « triangle des risques énergétiques » : le nucléaire (explosions, déchets, prolifération militaire ou terroriste), les énergies fossiles (effet de serre et pollutions locales), et les conflits pour l’usage des sols (« conflit FFFF »(9) : nourriture pour humains, pour bétail, agrocarburants, biodiversité).

La réponse à la crise énergétique est entre nos mains : il faut poursuivre les efforts de sobriété énergétique, utiliser et développer au maximum les transports en commun. Il faut améliorer les rendements techniques et poursuivre les recherche sur les sources d’énergies alternatives : bio-récupération, apport direct du soleil (pompes à chaleur, capteurs, éolien...), etc.

Notre camarade sénégalais vient de le dire : la démocratie est le fondement de l’écologie, l’amour de la planète et des êtres vivants qu’elle porte, dont les êtres humains, en est l’axe dirigeant. Cet axe passe aujourd’hui par la lutte contre la folie des agrocarburants.

Notes

1 Directive 2003/30/CE du 8 mai 2003 visant à promouvoir l’utilisation de biocarburants ou autres carburants renouvelables dans les transports Directive (JO L 123 du 17.5.2003).

2 Point 46 d’une résolution du Parlement européen sur une stratégie en faveur de la biomasse et des biocarburants (2006/2082(INI))

3 Voir : 24 Août 2007, Journée d’été des Verts français à Quimper, "La querelle des agrocarburants".

4 Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation des Nations Unies conformément à la résolution 61/163 de l’Assemblée générale. 22 août 2007.

5 Le rapport consacre une partie entière aux agrocarburants !! Tout le chapitre III : L’impact des biocarburants sur le droit à l’alimentation (pp. 19-44).
Extraits : La première a trait aux graves conséquences négatives que pourraient avoir les biocarburants (agrocarburants) sur le droit à l’alimentation.
Le Rapporteur spécial s’inquiète vivement du fait que les biocarburants provoqueront la faim. Cet empressement à vouloir subitement et de façon irréfléchie transformer un aliment, tel que le maïs, le blé, le sucre et le vin de palme en carburant revient à courir à la catastrophe. Il risque fort bien d’entraîner une concurrence entre aliments et carburant qui laissera les pauvres et les victimes de la faim des pays en développement à la merci des prix des aliments, de la terre et de l’eau qui augmentent rapidement.
L’utilisation des méthodes du secteur agro-industriel pour transformer les aliments en carburants aura pour effet le chômage et la violation du droit à l’alimentation, à moins que des mesures spécifiques ne soient prises pour que les biocarburants contribuent au développement de l’agriculture paysanne et familiale à petite échelle. Au lieu des cultures vivrières, il faudrait utiliser, pour produire des carburants, des cultures non vivrières et des déchets agricoles, ce qui rendrait moins âpre la lutte pour l’accès aux aliments, à la terre et à l’eau.

6.Résolution du Parlement européen du 29 novembre 2007 sur le commerce et le changement climatique (2007/2003(INI) : point 43. "demande que tout accord sur l’achat de biocarburants soit subordonné à des clauses de respect de la surface dévolue à la biodiversité et à l’alimentation humaine".

7 "Suspend 10 percent biofuels target, says EEA’s scientific advisory body. The European Environment Agency Scientific Committee has made public an opinion on the environmental impacts of biofuel use in Europe. The Scientific Committee recommends a new, comprehensive scientific study on the environmental risks and benefits of biofuels, and that the EU target to increase the share of biofuels used in transport to 10 % by 2020 should therefore be suspended.”

8 Le centre de valorisation organique a été mis en œuvre par Eric Quiquet, Vice président de la Communauté Urbaine de Lille, Chargé des transports urbains et Vert !

9 Food, Feed, Fuel, Forests.




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