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par Alain Lipietz | 8 avril 2008

Défis Sud n° 82, avril-mai 2008
La dimension agricole de l’Accord d’association Europe-Communauté Andine
Entretien avec Pierre Coopman, Rédacteur en chef
Trois remarques qui entraînent une question :
Remarque 1 : La démocratie et la cohésion sociale sont les deux piliers de la collaboration entre l’Union européenne et l’Amérique latine. Les questions relatives au commerce des produits agricoles apparaissent à un autre niveau, et sont traitées dans le cadre de négociations avec des groupes régionaux : Amérique centrale, Communauté andine, Mercosur.
Remarque 2 : Pour les besoins de ce dossier de Défis Sud, nous nous concentrerons sur les questions relatives à la Communauté andine.
Remarque 3 : Dans son dernier rapport sur le développement dans le monde, la Banque mondiale remet l’agriculture au centre des préoccupations et conseille aux pouvoirs publics de réinvestir dans l’agriculture.

Question : Comment croyez-vous que l’Union européenne pourrait intégrer ces recommandations de la Banque mondiale dans sa stratégie de collaboration avec la Communauté andine, particulièrement en ce qui concerne le volet agricole des négociations commerciales ?

Il faut bien distinguer en effet la "collaboration stratégique Europe-Amérique Latine", qui reste abstraite faute d’organisation de celle-ci, et se matérialise en sommets de chefs d’Etat d’une part, et en "Eurolat" (assemblée parlementaire) d’autre part, et les Accords d’Association avec les groupes régionaux qui ont le mérite d’exister, comme la Communauté Andine (CAN). Ces accords reposent sur trois piliers : le dialogue politique, la coopération pour le développement et le volet commercial [1].

S’agissant de la CAN, les relations commerciales agricoles concernant essentiellement (outre le café) la banane, et très secondairement les fleurs et quelques fruits. Sur la banane, l’Union est protectionniste et réserve 20% de son marché à ses producteurs (Canaries), 20% pour les pays ACP, le reste essentiellement à la CAN, à parts en gros égales à l’Equateur et à la Colombie, qui tous deux mènent à ce sujet une guérilla contre l’Union à l’OMC.

La coalition des intérêts européens et des ACP laisse peu de place à l’élargissement de la part "CAN". Toutefois, plusieurs portes sont entrouvertes à la négociation, qui ont une dimension de politique agricole [2].

- ouverture du marché européen à certaines "bananes équitables" (à définir !)

- restitution d’une part des droits de douanes sur les bananes "industrielles" pour alimenter un fond de coopération pour l’agriculture vivrière locale.

Toutefois, un nouveau péril est apparu : le développement des agrocarburants, notamment du palmier à huile en Colombie, sur des terres volées par les paramilitaires aux petits paysans [3]. La position de l’Europe sur les argocarburants évoluant actuellement dans un sens négatif, il n’est pas exclu que des barrières seraient posées à ces exportations, de type "certification de légalité". Il en est de même pour l’exploitation illégale des bois tropicaux.

Autre axe en débat : la plupart des pays de la CAN sont actuellement "libres d’OGM" et pourrait servir de "greniers à cultures sans OGM" pour l’Europe (le Brésil ayant renoncé à ce rôle). Mais la contamination peut aller très vite.

Bref, les deux premiers "piliers" (dialogue politique et coopération au développement, donc aide aux communautés paysannes) peuvent contrebalancer certaines tendances "extractivistes" dans le domaine agricole. Mais ne pas se faire trop d’illusions : ce que l’Union refuserait d’acheter, pour des raisons sociales et écologiques, peut fort bien être vendu à la Chine, comme on l’a vu dans le cas de la farine de poisson péruvienne.

1. L’approche de l’Union européenne se caractérise par un souci de se conformer à la « clause de la nation la plus favorisée » (ce que l’on accorde à l’un, il faut l’accorder à tous) et par une volonté d’élargir la négociation aux « matières de Singapour » (facilitation du commerce, concurrence, transparence des marchés publics et investissements). Que pensez-vous de cette approche pour ce qui concerne la Communauté andine ?

Vous décrivez fort bien les positions de la Direction Générale du Commerce et du Commissaire Mandelson. Elle ne fait pas l’unanimité, ni à la Commission (DG Relations Extérieures) ni au Parlement.

L’idée est de négocier de "bloc à bloc" avec la CAN pour lui offrir mieux (c’est à dire plus d’accès au marché européen) que ce dont elle bénéficie par son régime de "Système des Préférences Généralisées +" (ex-SPG Drogue), en contrepartie de l’accès à un marché non-cloisonné pour les exportations et investisseurs européens, en matière d’industries et de services, et le respect de la propriété intellectuelle (un des chapitres de Singapour).

En face, la CAN est très divisée. Le Pérou et la Colombie sont libre-échangistes. La Bolivie, dont les dirigeants sont parvenus au pouvoir dans le cadre d’une révolte populaire contre les "marchands d’eau" (notamment la Suez) est arc-boutée contre les "matières de Singapour". L’Equateur représente une voie moyenne et proche de la vision européenne : il veut un marché "plus libre" afin d’exporter plus, mais qui reste régulé et tienne compte des asymétries de développement. La position de la Bolivie était initialement de refuser purement et simplement d’aborder les chapitres de Singapour. Ils comprennent progressivement que l’on ne peut pas parler de l’aide publique au développement des services publics (de l’eau ou de la santé) sans parler des aspects commerciaux [4].

Par exemple : si la CAN se voit reconnaître le droit d’importer des médicaments génériques anti-SIDA produits au Brésil sous licence obligatoire, pourquoi la Bolivie s’en exclurait-elle ? Si l’Europe accepte de payer des royalties pour le "viagra andin" du páramo péruvien, pourquoi la Bolivie qui en produit aussi s’en exclurait-elle ? Si l’on reconnait, comme en Europe, qu’une collectivité locale a le droit de décider de gérer son eau directement, ou au contraire d’en confier la gestion à une entreprise privée, à condition de le faire selon un mode de concession transparent, en quoi cela gênerait-il la Bolivie ?

2. Une partie des droits de douane payés par les pays de la Communauté andine pour l’accès de leurs produits au marché de l’Union européenne pourraient être reversés à l’aide au développement. Qu’en pensez-vous ?

Comme je l’ai dit plus haut, c’est en effet une solution élégante et équitable au problème des droits (énormes) sur les bananes. Equateur et Colombie se mordent les doigts d’avoir obtenu de l’OMC la transformation d’une régulation par les quantités (les quotas) en régulation par les prix (par les droits de douane). A quantité égale de bananes exportées de la Colombie vers l’Europe, la rente différentielle (par rapport au coût ACP) restait en Colombie avec le système des quotas, mais tombe dans la poche de l’Union avec le système tarifaire...

La restitution d’une partie de ces droits de douane par l’Europe permettrait ainsi de maintenir une certaine protection pour les pays Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP, en général plus pauvres que la CAN) et pour les îles ultrapériphériques de l’Union (Canaries, Départements français d’Outre Mer) sans prélèvement anormal sur le revenu des ventes CAN, et même en réorientant socialement et écologiquement une part du produit des ventes de la CAN. C’est ce que les Verts appellent "protectionnisme altruiste".

3. Comment peut ont avoir la garantie que ces réinvestissements d’une partie des droits de douane dans l’aide au développement profiteraient réellement aux petits producteurs et à leurs coopératives ?

C’est la question la plus difficile. Les négociations ont lieu de gouvernements à gouvernements, même si, en tant que Président de la Délégation du Parlement européen pour la CAN, je m’astreins à rencontrer toujours les associations de petits producteurs (péruviens, équatoriens, boliviens ou colombiens). Le principe de souveraineté nationale, que l’Europe respecte, interdit des "clauses sociales" trop pointues.

Ce problème peut être contourné en ouvrant davantage le marché européen à des produits "équitables" (avec tous les problèmes de certification que cela pose !), en ciblant mieux le volet "coopération" vers l’aide aux communautés paysannes ou indigènes, etc.

C’est ce que fait l’Union, mais il n’est pas admissible non plus que les classes dirigeantes andines sous-traitent à l’Union Européenne la contrepartie sociale d’une politique intérieure non redistributrice. Les "projets sociaux" de l’Union dans la CAN (comme ailleurs) sont donc limités dans le temps (2 fois 3 ans), ce qui peut poser en fin de course des problèmes douloureux. La "zones-tampon" Pro-Manu pour la réinstallation de paysans migrants de la Sierra péruvienne vers la plaine amazonienne, ou le "laboratoires de paix" dans le Niriño colombien. risquent ainsi de voir leur avenir compromis.




Sur le Web : Défis Sud

NOTES


[1On trouvera une introduction assez générale aux problèmes de l’Accord d’Association UE-CAN dans mon discours de Gayaquil.

[3Voir les colloques organisés avec la collaboration de Natalie Gandais-Riollet et de Gaby Kûppers : La production d’agro-carburant à partir du palmier à huile et Biocarburants, les enjeux locaux.

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