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par Alain Lipietz | 3 février 2000

Témoignage chrétien n° 2900
35 heures : la loi de la législature ?
Voilà, c’est fini, ou plutôt ça commence. Le grand projet de la majorité plurielle, enfant de l’accord PS-Verts de janvier 1997, est voté. Rappelons-nous : " Pour créer des emplois : les 35 heures tout de suite, par une loi-cadre, vers les 32 heures dans le cadre de la législature ".Voilà, c’est fini, ou plutôt ça commence. Le grand projet de la majorité plurielle, enfant de l’accord PS-Verts de janvier 1997, est voté. Rappelons-nous : " Pour créer des emplois : les 35 heures tout de suite, par une loi-cadre, vers les 32 heures dans le cadre de la législature ".

Pour en arriver là, à ce qui figurait dans le Programme Commun de 1973, à ce qui fut abandonné en 1983, à ce qui devint la risée de tous quand les Verts le maintinrent, douze ans durant, sur leur drapeau, à ce qui revint à la surface du " légitime " du fond du malheur de 1995 (quand le candidat Jospin proposait encore les 37 heures pour 2002), il avait fallu batailler dur, et bien peu surent tenir face à la pensée unique de la " seule politique possible ". Mais c’était ça ou Juppé : le PS, le PCF et même le MDC (qui fustigeait " la semaine des 4 jeudis ") eurent la sagesse de se rallier à un objectif que leur électorat soutenait sans trop y croire. Et, contre lobbies et scepticismes, Martine Aubry s’attela à la mise en musique.

 UNE LOI MINIMALE

En 1995, les Verts s’appuyaient sur les diagnostics économétriques de l’OFCE et de l’INSEE. Une réduction de 10 % du temps de travail pour tous, c’était quelque 2 millions d’emplois créés ou sauvés (car il est aussi important, voire plus, d’éviter un licenciement que de créer un emploi). Cela, à condition que les entreprises n’aient pas à subir la totalité de la hausse du coût salarial, ce qui impliquait (voir La société en sablier) :

- une baisse des cotisations sociales employeurs due à la multiplication des emplois créés ;
- une participation des revenus du capital au financement de la protection sociale ;
- un certain partage des revenus, seuls les bas et moyens salaires conservant leur niveau mensuel initial.

Alors, qu’en est-il ? Finalement, on aura les 35 heures obligatoires au 1er février 2000, non " pour tous ", mais pour les entreprises du secteur privé de plus de 20 salariés (tout est décalé de 2 ans pour les autres). Quant au secteur public, il fera l’objet de négociations à venir. Moins de la moitié des salariés seront immédiatement concernés. Parmi ceux-ci, beaucoup travaillaient déjà moins de 40 heures : la réduction du temps de travail sera inférieure à 10 %. Voilà pour la quantité. Quant aux rythmes, la loi prévoit un accroissement pendant deux ans du volume d’heures supplémentaires autorisé et une baisse de leur surcoût : les entreprises récalcitrantes pourront attendre 2002 sans que cela leur coûte grand chose.

 QU’EN ESPÉRER ?

Dès lors, les mêmes modèles économétriques ne permettent plus 2 millions, mais seulement 500 000 à 700 000 emplois. Ce n’est pas rien, ce n’est pas assez ! Pour le reste, il faudra attendre ? la prochaine législature.

Enfin, faute d’avoir osé aborder la différenciation dans la compensation salariale selon le niveau de revenu, la loi se contente de garantir le maintien des salaires pour celles et ceux qui sont au voisinage du SMIC. Les pouvoirs d’achat seront en gros maintenus grâce à la prise en charge d’une partie des cotisations salariés par les revenus financiers, grâce au transfert des cotisations maladie vers la CSG. Mais les gestionnaires de la Sécurité Sociale ont refusé de ristourner les gains réalisés par la baisse du chômage : la baisse des cotisations employeurs devra être financée par une taxe sur les profits et par les pollutaxes.

Les vrais perdants seront sans doute les cadres moyens travaillant au forfait. Malgré la mobilisation des sections d’entreprise du PS, relayée jusqu’au bout à l’Assemblée Nationale par les Verts et leur " coach " Yves Cochet, les salariés de la classe moyenne qui rêvent de pouvoir souffler, se voient ôter toute limite quotidienne à leur travail, en échange de deux semaines de congé supplémentaire alors qu’une véritable annualisation leur en garantissait quatre.

Bref : on aura sans doute les 35 heures réelles en 2003 pour la majorité des salariés, avec une minorité à 32 heures ? et une autre sans horaire. On est à mi-chemin entre ce que proposaient Voynet et Jospin en 1995.

Ce résultat est très supérieur au poids parlementaire des Verts (militants de toujours des 35 heures et des " 30 ans au début du XXIè siècle ") et du PCF qui s’est vraiment rallié à l’objectif des 35 heures. Très supérieur à ce que pouvait laisser espérer la maigre mobilisation du 16 octobre à Paris. Il s’inscrit en outre dans un contexte de reprise de la croissance, due à l’abandon des critères de Maastricht à l’été 1997 et à une réticence marquée à appliquer " le pacte de stabilité " de Dublin-Amsterdam. Conséquences : un Euro faible, donc des gains de compétitivité, une consommation en forte hausse, bref une politique keynésienne qui, elle aussi, figurait dans les accords de la majorité plurielle. Même la mise en œuvre " facultative " de la réduction du temps de travail, suite à la loi Aubry, contribue à la baisse visible du chômage. Chiffre significatif : en 1999, la création d’emplois fut parallèle à la croissance, comme si la RTT " facultative " épongeait tous les gains de productivité. Dans cette conjoncture (semblable à celle de 1989), l’urgence d’une loi contraignante de réduction du temps de travail se faisait sans doute moins sentir.

Reste qu’une occasion a été perdue de faire faire au chômage un " grand bond vers le bas ". On est loin de l’accord Verts-PS et même loin de la déclaration du Premier ministre le 10 octobre 1997. Il ne faut pas y voir une cynique hypocrisie du PS, mais une différence de culture politique. Quand ils signent un contrat, les Verts croient s’engager devant les électeurs, les socialistes donnent une vague indication de la direction souhaitable.

 FALLAIT-IL DONC VOTER LA LOI ?

Cette question a taraudé les députés Verts et Communistes. Ils ont répondu " Oui ", et je crois, tout compte fait, qu’ils ont bien fait. J’y vois trois raisons.

Les deux premières figurent " en marge " en quelque sorte de la loi elle-même,. Cette loi aborde en effet la question des temps partiels et de la démocratie d’entreprise.

Côté temps partiel, le " lobbying des Verts " et du Collectif national pour les droits des femmes a obtenu l’effacement des primes accordées aux entreprises qui imposaient des temps partiels aux salariés (surtout aux femmes de la grande distribution). Le Conseil Constitutionnel a encore amélioré la loi en rétablissant en leur faveur le principe " à travail égal, salaire égal ". Il a appliqué le même principe aux heures supplémentaires en restituant aux salariés les 10% qui leur étaient ôtés en absence d’accord [1]. En fait, le patronat n’a trouvé qu’un motif de satisfaction dans l’arrêt du Conseil : la reconnaissance des accords signés et ratifiés (donc pas l’accord Métallurgie) entre les lois Aubry I et II.

Cette reconnaissance du droit conventionnel est cependant un cadeau empoisonné pour le patronat. Car la loi Aubry II introduit une innovation majeure : l’idée que les accords doivent être validés par la majorité des salariés, et non par un syndicat minoritaire mais déclaré " représentatif " il y a 50 ans. Tout premier pas, mais d’immense portée, vers la démocratie d’entreprise.

La troisième raison, c’est tout simplement qu’il devenait absurde d’essayer d’aller plus loin que ce que la loi peut vraiment garantir. Trois semaines de grève générale, en 1936, avaient donné la loi des 40 heures. Trente ans après, on travaillait plus de 50 heures, en heures supplémentaires. La lutte acharnée des députés Verts pour imposer des limites à la flexibilité, chipotant les " coupures " et les temps de pause, était juste, mais sans grande portée pratique. Car tout, dorénavant, se jouera sur le terrain.

Personne, en 1966, ne critiquait les réformateurs de 1936 pour le caractère " trop peu contraignant de leur loi ". Personne ne comprendrait, dans 10 ans, qu’on ait pu refuser la " loi des 35 heures ". Ce qu’il en adviendra vraiment, c’est une autre histoire qui va s’écrire. Dans les bureaux, les commerces et les usines.




NOTES


[1L’idée qu’une partie de la surtaxe des heures supplémentaires doit servir à financer la politique anti-chômage est profondément juste, mais le mécanisme proposé par la Loi Aubry II était injuste pour les salariés à temps partiel.

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