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votre référence : 

Exposé, conférence sur la propriété intellectuelle, décembre 2006.

(art. 1960).


par Neth Daño | 5 décembre 2006

Conflit de paradigmes sur la propriété
LANGUE ET TRADUCTIONS DE L’ARTICLE :
Langue de cet article : français
  • English  :

    Convention on Biological Diversity (CBD): “Ownership” of Biodiversity, Neth Daño, 5 december 2006.

La Convention sur la Diversité Biologique introduit une définition de la « propriété » de la biodiversité
Cette définition déplace le concept de « ressources biologiques et génétiques considérées comme héritage commun » vers le concept de « souveraineté nationale sur le patrimoine » : ainsi, la biodiversité rencontrée dans un pays fait partie du patrimoine national, et l’Etat doit agir en tant que « gardien » de ce patrimoine.
Cette définition de la propriété ne concerne pas les collections d’espèces ou de gènes qui, antérieurement à 1993 et à la CBD, étaient déjà entre les mains d’institutions multinationales ou nationales, ou de compagnies ou individus privés, y compris quand ces spécimens ont été obtenus sans le consentement du pays ou des communautés locales.

CBD, Article 15 : Accès aux ressources génétiques

Reconnaissant les droits souverains des Etats sur leurs ressources naturelles, la CBD précise que le pouvoir de déterminer l’accès aux ressources génétiques appartient aux gouvernements et est régit par la législation nationale.

Les Etats (Parties contractantes) créeront les conditions propres à faciliter l’accès aux ressources génétiques à des fins d’utilisation écologiquement rationnelle par d’autres Parties contractantes, et n’imposeront pas de restrictions qui iraient à l’encontre les objectifs de la Convention.

L’accès aux ressources génétiques fera l’objet d’un consentement préalable, donné en toute connaissance de cause par la Partie contractante fournissant les dites ressources.

Les Parties contractantes sont censées œuvrer ensemble au développement et à la recherche scientifique sur les ressources génétiques.

Le partage juste et équitable des avantages du commerce et autres utilisations des ressources génétiques doit être assuré avec l’accord mutuel des Parties contractantes.

La « propriété » selon la CBD : Biodiversité et savoirs traditionnels

Biodiversité et savoirs traditionnels en tant que patrimoine national :

- Sont généralement considérés comme appartenant au « domaine public » les éléments qui ne sont pas déclarés comme propriété privée, ou qui sont couramment connus ou divulgués

- Le consentement préalable et en toute connaissance de cause (PIC = Prior Informed Consent) à l’accès à ces éléments de biodiversité et de savoirs traditionnels sont considérés comme une prérogative exclusive de l’Etat

- On suppose que l’Etat agit dans l’intérêt général de la majorité des citoyens et pour le bien commun, et non pas dans l’intérêt de quelques uns ou pour des intérêts commerciaux.

- Les gardiens de première ligne sont les populations autochtones et les communautés locales qui ont développé, conservé et nourri ces ressources et savoirs à travers les âges, y compris la « biodiversité sauvage ».

- Souvent, on ne prend pas en compte les droits inhérents des populations autochtones et des communautés locales sur les savoirs traditionnels et la biodiversité, et on néglige, passe outre les mécanismes traditionnels d’accès à ces ressources et savoirs.

- On ne tient pas compte des systèmes traditionnels de droits réciproques et du caractère holistique des ressources et savoirs.

- C’est lié à la reconnaissance et au respect des droits des peuples indigènes sur leur territoire ancestral.

« L’accès et le partage des avantages » selon la CBD :

- Est basé sur la prérogative des Etats d’ouvrir l’accès à la biodiversité et de décider des termes du partage des avantages.

- La biodiversité est considérée comme une ressource économique dont les Etats peuvent tirer partie pour en obtenir des avantages.

- En l’absence de règles claires sur le « territoire ancestral » ou sur les droits des communautés à la biodiversité et aux savoirs traditionnels, le « partage des avantages » se fait entre l’Etat d’où proviennent les ressources et les parties qui y accèdent.

- La part des avantages attribuée aux communautés relève d’une prérogative de l’Etat.

Article 8 de la CBD : Conservation in situ

« Chaque partie contractante, dans la mesure du possible et selon qu’il conviendra :
j) Sous réserve des dispositions de sa législation nationale, respecte, préserve et maintient les connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qui incarnent des modes de vie traditionnels présentant un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique et en favorise l’application sur une plus grande échelle, avec l’accord et la participation des dépositaires de ces connaissance, innovations et pratiques, et encourage les partage équitable des avantages découlant de l’utilisation de ces connaissances, innovations et pratiques . »

Ainsi :

Le consentement préalable et informé des communautés locales est reconnu par l’article 8-j, mais il est soumis à la législation nationale.

Or, peu de pays reconnaissent et respectent le territoire ancestral des peuples indigènes, et quelques uns ne reconnaissent même pas l’existence de peuples indigènes.

Même dans les pays où les droits des peuples indigènes sur leurs territoires ancestraux sont reconnus, c’est le gouvernement national qui décide des modalités du « consentement préalable et bien informé » des communautés.

Dans le cas des Philippines : Loi sur les Droits des Peuples Indigènes (Indigenous People’s Rights Acts, IPRA) :

- L’acceptabilité sociale et le consentement préalable et bien informé divise les communautés.

- La décision finale d’attribution revient au gouvernement national.

Les Droits de Propriété Intellectuelle selon la CBD

Dans l’article 16 sur l’accès à la technologie et les transferts de technologie, la CBD reconnaît et respecte aussi des Droits de propriété intellectuelle (IPR : Intellectual Property Rights), et précise (Art 16.5) que les brevets et autres droits de propriété intellectuelle peuvent avoir une influence négative sur l’application de la Convention, et qu’il est nécessaire que les parties coopèrent pour assurer que ces droits s’exercent à l’appui et non à l’encontre de ses objectifs.

Essaie de trouver un équilibre subtil, représentatif des compromis du processus de négociation :

- « Partage et échanges libres et gratuits de la biodiversité entretenue à travers les âges » versus « Droits privés sur des innovations utilisant la biodiversité et les connaissances traditionnelles »

- Des tensions inhérentes au paradigme de « propriété » sont contenues dans le texte même de CBD.

Article 16 : Accès à la technologie et transferts de technologie

(16.1) … Les Etats assureront et/ou faciliteront aux autres Parties contractantes l’accès et le transfert des technologies nécessaires à la conservation et à l’utilisation soutenable de la biodiversité, ou utilisant des ressources génétiques sans causer de dommages sensibles à l’environnement.

(16.2) … Concernant les pays en développement, l’accès et le transfert des technologies s’effectueront dans des conditions justes et les plus favorables, « y compris à des conditions de faveur et préférentielles s’il en est ainsi mutuellement convenu »

(16.2) … Lorsque les technologies font l’objet de brevets et autres droits de propriété intellectuelle, l’accès et le transfert sont assurés selon des modalités qui reconnaissent les droits de propriété intellectuelle et sont compatibles avec leur protection adéquate et effective.

Article 16.5

Les Parties contractantes, reconnaissant que les brevets et autres droits de propriété intellectuelle peuvent avoir une influence sur l’application de la Convention, coopèrent à cet égard sans préjudice des législations nationales et du droit international, pour assurer que ces droits s’exercent à l’appui et non à l’encontre de ses objectifs.

De la Convention pour la Diversité Biologique (CBD) aux Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC)

Les Droits de propriété intellectuelle ne relèvent pas uniquement des règles de coopération et de transfert des technologies telles que précisées par l’article 16 de la CBD

La coopération entre les parties pour assurer que ces droits s’exercent à l’appui des objectifs de la CBD est soumise à la législation nationale (c’est à dire aux lois sur la propriété intellectuelle), mais aussi aux lois internationales (c’est à dire aux ADPIC, qui sont un chapitre des accords de l’OMC)

Les ADPIC s’appliquent à tous les secteurs de la technique, y compris ceux qui mettent en jeu la biodiversité et les savoirs traditionnels, ce qui facilite la biopiraterie et l’appropriation indue des ressources et savoirs traditionnels des peuples indigènes.

Principes de base des ADPIC

En préambule, « les droits de propriété intellectuelle sont des DROITS PRIVÉS ».

Traitement National : chaque pays membre accordera aux ressortissants des autres pays membres des conditions égales et non moins favorables que celles qu’il accorde à ses propres ressortissants.

Clause de la nation la plus favorisée : Tous avantages, faveurs, privilèges ou immunités accordés par un pays membre aux ressortissants de tout autre pays seront, immédiatement et sans condition, étendus aux ressortissants de tous les autres pays membres. Sauf si de tels avantages découlent d’accords internationaux se rapportant à la protection de propriété intellectuelle dont l’entrée en vigueur précède celle de l’accord sur l’Organisation Mondiale du Commerce.

Souveraineté nationale versus Droits privés

L’Etat accorde les droits privés sur la propriété intellectuelle
Les droits de propriété intellectuelle s’appliquent à l’intérieur des frontières nationales, mais sont étendus dans des conditions égales aux étrangers, selon le principe du traitement national des ADPIC.

Le même Etat est censé travailler dans la perspective de parvenir aux objectifs de la CBD.

Le défi pour les Etats est de trouver l’équilibre enter ces intérêts et l’assurance que la protection de la propriété intellectuelle n’ira pas à l’encontre des objectifs de la CBD.

Questions sujettes à controverse

La protection de la propriété intellectuelle doit-elle s’appliquer à la biodiversité et aux savoirs traditionnels ?

Le système de Protection de la propriété intellectuelle est-il approprié aux droits des communautés sur la biodiversité et les savoirs traditionnels ?

ADPIC : Brevets et licences

Art 27 .1 : Les pays membres ne peuvent exclure de la brevetabilité aucun domaine technique.

Non-discrimination : les Membres ne peuvent établir de discrimination quant au lieu d’origine de l’invention, au domaine technologique et au fait que les produits sont importés ou sont d’origine nationale.

Les pays membres peuvent exclure de la brevetabilité (27.2 et .3) :

- Les inventions contraires à l’ordre public et à la morale.

- Les méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales pour le traitement des personnes et des animaux.

- Des plantes et des animaux, avec certaines réserves.

ADPIC, Article 27.3

« Les Membres pourront exclure de la brevetabilité les végétaux et animaux autres que les micro-organismes, et les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux, autres que les procédés non biologiques et microbiologiques. Toutefois, les Membres prévoiront la protection des variétés végétales par des brevets, par un système sui generis efficace, ou par une combinaison de ces deux moyens. Les dispositions du présent alinea seront réexaminées quatre ans après la date d’entrée en vigueur de l’Accord sur l’OMC ».

ADPIC et Droits des Communautés

Les ADPIC ligotent les pays et les communautés dans le système de protection de la propriété intellectuelle.

- Brevets : pour tous les types d’inventions ( y compris celles qui impliquent des formes de vie, la biodiversité et les savoirs traditionnels).

- Droits d’auteurs : pour les travaux littéraires, y compris ceux qui impliquent l’art traditionnel, les chants, dessins, et folklore).

- Droits des obtenteurs sur les espèces végétales : pour les nouvelles variétés végétales (y compris celles issues de variétés traditionnelles).

Protection de la propriété intellectuelle versus Droits des communautés sur la biodiversité et les savoirs traditionnels

Les droits de propriété intellectuelle entrent directement en conflit avec la vision mondiale des populations indigènes et des communautés locales vis-à-vis de la biodiversité et des savoirs.

- Issus de générations d’innovations à travers les communautés.
- Ne peut pas être attribué à un individu isolé ou même à une seule communauté, et ne peut pas être « privé ».
- Caractère dynamique des innovations.
- Implique des relations de réciprocité.
- Caractère holistique des ressources et savoirs.

Options et tentatives pour résoudre le conflit de paradigme entre la CBD et les ADPIC

1) A l’intérieur des ADPIC

- Restreindre les droits des obtenteurs sur les espèces végétales à travers des systèmes sui generis de protection des variétés végétales.

- Une interprétation appropriée des ADPIC et des systèmes sui generis.

- Consentement préalable et bien informé des pays ou communautés d’origine.

- Certificats d’origine.

- Base de donnée digitale sur les savoirs traditionnels.

- Brevetage des savoirs traditionnels par les inventeurs locaux.

- Incorporation des savoirs traditionnels dans les ADPIC.

2) En dehors des ADPIC

- Interdire le brevetage des organismes vivants.

- Politiques et lois sur les droits intellectuels des communautés.

- Modèles de lois et de politiques nationales sur les droits des communautés, l’accès aux ressources biologiques et le partage des avantages.

- Système hors ADPIC de récompenses, incitation et partage des avantages.

- Politiques nationales de promotion des savoirs traditionnels.

Affronter le conflit de paradigme sur la propriété entre la CBD et les ADPIC

- Reconnaissance et respect des droits collectifs des autochtones et des communautés locales sur la biodiversité et les savoirs traditionnels et indigènes.

- Développement de mécanismes appropriés à la protection des droits des communautés sur la biodiversité et les savoirs traditionnels et indigènes en dehors du système de protection de propriété intellectuelle.

- Les ADPIC ne doivent pas être appliqués au vivant et au savoirs traditionnels et indigènes.

- Renforcement de l’autorité des communautés sur la biodiversité et les savoirs traditionnels et indigènes.




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