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par Alain Lipietz | 12 janvier 2006

Politis, n°884
Pour solde de tout compte
Comme vous avez pu le voir dans le n° du 13 décembre, avec mon article annonçant la victoire d’Evo Morales en Bolivie (victoire écrasante, dès le premier tour, d’un syndicaliste et indigéniste modéré, malgré l’opposition de la droite et de l’extrême gauche), j’ai recommencé à écrire pour Politis !

Je dois confesser que, depuis cet été, je n’accordais plus à Politis qu’une attention distraite. Ce qui m’a réconcilié, c’est qu’en lisant l’éditorial de Denis Sieffert, consacré à Finkielkraut (Politis du 1er décembre), je me suis écroulé de rire ! Un journal qui publie de tels éditoriaux ne peut être foncièrement mauvais...

Ma prise de distance datait précisément, non pas de l’engagement de Politis pour le Non, légitime, encore qu’il eut été souhaitable alors de ne pas traiter par le mépris les journaux (Le Monde, Libération, Charlie, etc.) qui eux donnèrent largement la parole aux deux partis, mais de cet incroyable numéro de juillet où, dans un article intitulé « De la soumission », le journal réglait son compte avec les intellectuels coupables d’avoir voté Oui.

J’avais trouvé cet article, et surtout son titre, déshonorant. Certes, je n’y étais pas cité, puisque dans le n°844 du 24 mars, j’avais eu l’insigne honneur de voir mon « Oui de gauche » estampillé comme aussi légitime que le Non de gauche. Mais je m’étais senti solidaire de tous ces intellectuels qui, au terme d’une réflexion approfondie sur ce qu’était l’Europe de Maastricht-Nice et sur ce qu’offrait le TCE, s’étaient, au nom de valeurs écologistes et de gauche, engagés pour le Oui. Intellectuels qui étaient ainsi traînés dans la boue, accusés d’être « soumis » à l’idéologie dominante. Un article voisin de Pinto osait même rapporter leurs prises de position à des positions de classe, les enseignants d’université ayant été, paraît-il, plus portés à voter Oui que les « prolétaires » instituteurs...

En réalité, les divergences entre les intellectuels ne furent pas tant des divergences de revenus ou de qualification que des divergences de spécialités professionnelles ou de références idéologiques. Globalement, les professeurs d’économie de l’université ont voté Non, comme le Financial Times ou le Wall Street Journal (mais pas Alternatives économiques !), persuadés que l’économie était capable d’autorégulation, et n’avait que faire de l’interférence de la démocratie. En revanche, les professeurs de droit social s’étaient engagés pour le Oui, à cause des incontestables avancées qu’offraient, surtout aux pays du sud et de l’est de l’Europe, la deuxième partie et les quelques correctifs aux traités actuel de la troisième partie. Quant aux références idéologiques, en gros se sont prononcés pour le Non les intellectuels d’origine léniniste, alors que les ex-« hétérodoxes », « operaïstes » comme Tony Negri, « Socialisme ou barbarie » comme Edgar Morin ou « régulationnistes » comme Robert Boyer, Pascal Petit ou moi-même, avaient choisi le Oui.

Alors, redisons-le une fois pour toutes : à mes yeux, le TCE offrait de notables avancées par rapport à la situation actuelle, celle de Maastricht-Nice. Notamment en matière de démocratie et de contrôle sur le Marché : avec l’extension considérable du pouvoir législatif des élus européens, notamment le droit de voter toutes les dépenses budgétaires et donc de définir la politique agricole commune, avec la création, à coté du droit de pétition, d’un véritable droit d’initiative populaire, avec la généralisation du vote à la majorité. Le TCE aurait également apporté d’autres points importants, une défense des services publics (avec l’article 122), la définition du proxénétisme comme crime européen etc. Quant à la formulation « offre un marché unique où la concurrence est libre et non faussée », elle remplaçait avantageusement la formule actuelle et maintenue « libre et ouverte », en ce que « non faussée » visait le dumping social, fiscal et environnemental.

Pourquoi remuer ces vieilles histoires ? Nous sommes dorénavant et durablement ancrés dans l’Europe de Maastricht-Nice, union économique et monétaire sans politique commune. Or, je suis persuadé qu’un grand nombre d’électeurs du Non condamnent tout autant que moi cette construction. Si une grande partie du Non, de Le Pen et de Villiers à Marie-Georges Buffet en passant par Jean-Pierre Chevènement récusent l’idée même d’un espace politique européen et privilégient la politique nationale, je suis persuadé qu’une partie des électeurs du Non a cru de bonne foi, en votant ainsi, ouvrir les portes à un processus de renégociation dotant enfin l’Europe d’un espace démocratique commun permettant d’encadrer la loi du marché et la course au profit.

À sept mois de distance, cet espoir s’est enlisé. À gauche, mis à part les sociaux-libéraux et les anti-européens, le Non n’a produit que des vaincus. Mais si nous avons perdu une bataille, nous n’avons pas perdu la guerre... Nous ne renoncerons pas, Oui de gauche et Non de gauche fédéralistes, à l’espoir d’un espace politique européen, garant de la paix, du progrès social et écologique, pesant sur la scène mondiale d’un poids suffisant pour modérer les grandes puissances qui se partagent aujourd’hui le monde, les Etats-unis et la Chine.

Pour reconstruire cette espérance, il nous faut aujourd’hui unir ces Oui et ces Non de gauche fédéralistes. Rien ne serait plus terrible que de camper dans la division de la gauche entre les anciens du Oui et les anciens du Non. Ce serait offrir durablement la France à Sarkozy, l’Europe à Blair, Bolkestein et Barroso, le monde à Bush. Comment cicatriser cette blessure ? En identifiant les espoirs communs des Oui de gauche et des Non de gauche. En repartant du texte (qui sera forcément la base de toute renégociation, ne serait-ce que parce que la majorité des pays, représentant la majorité des populations, l’a déjà adopté) et en précisant les uns et les autres ce que nous aimions dans le TCE et qui nous a fait voter Oui, ou ce que nous n’y trouvions pas et qui nous a fait voter Non. Y compris dans le mode d’élaboration du texte et les règles de son adoption et de ses ultérieurs amendements. J’en appelle aux uns et aux autres pour qu’ils ne s’enferment pas dans la rumination d’un match terminé, ni dans le renoncement à l’exigence d’une Europe politique, et qu’ils préparent ensemble le prochain combat. Notamment celui-ci, décisif : comment sortir de Maastricht-Nice ?




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