vendredi 19 avril 2024

















Accueil  > Vie publique > Articles et débats > Europe : le moteur, le frein et l’accélérateur (http://lipietz.net/?article165)

par Les eurodéputé-es Verts français 1999 (Danièle Auroi, Alima Boumédiene-Thiery , Dany Cohn-Bendit, Hélène Flautre, Marie Anne Isler Béguin, Alain Lipietz, Gérard Onesta, Didier-Claude Rod, Yves Piétrasanta) | 8 mai 2001

Le Monde
Europe : le moteur, le frein et l’accélérateur
Longtemps le couple franco-allemand a été décrit comme le moteur de l’Europe. Cette expression est aujourd’hui caduque : le moteur est allemand, le frein à main, serré, est français.

En moins d’un an, par les voix successives de Josckha Fischer, ministre des Affaires étrangères, de Johannes Rau, président de la République, et tout récemment de Gerhard Schröder, chancelier, la République Fédérale Allemande a démontré qu’elle assumait pleinement le questionnement sur l’avenir de l’Union européenne. Non contente de lancer le débat et d’en déterminer les enjeux, elle propose des orientations audacieuses et novatrices qui permettrait ce saut politique dont l’Europe a besoin pour ne pas mourir de complexités byzantines.

La France reste quant à elle d’un mutisme consternant. Alors que les deux têtes de l’exécutif n’ont à l’esprit que leur face-à-face futur, le ministre des Affaire étrangères Hubert Védrine se contente de défendre un Traité de Nice dont la seule valeur est d’avoir été signé sur notre sol, et de sermonner doctement nos partenaires d’outre-Rhin pour l’utopie de leurs propositions ! Lionel Jospin, tout à la préservation des sacro-saints équilibres entre partenaires de la majorité plurielle, préfère taire le débat plutôt que d’assumer publiquement les interrogations fondamentales qu’il suscite. Nous refusons ce parti-pris : la gauche française doit sortir par le haut d’une ambiguïté qui n’a que trop duré.

Pour le Parti communiste et le Mouvement des Citoyens, la construction néo-libérale de l’Europe alimente leurs théories catastrophistes. D’émancipateurs universels, ceux-ci sont devenus les gardiens d’une gauche momifiée s’abritant derrière l’illusion de ses frontières et le confort supposé de son histoire. Le Parti Socialiste se complaît quant à lui dans un attentisme soupçonneux, se contentant d’accompagner l’avènement de l’union économique et monétaire sans préciser ses projets. Ce non-positionnement devient intenable : au-delà des pratiques de gestionnaires bon teint de la social-démocratie et de l’anti-mondialisme primaire des souverainistes de tous bords, la tâche historique de la gauche est d’unir ses forces afin de démocratiser cette nouvelle entité qu’est l’Europe.

Les Verts portent ce désir de renouvellement. Convaincus que proviendra de l’Europe soit la désillusion mercantile soit l’espoir d’émancipation, nous prônons un investissement sans pareil des forces progressistes dans la construction européenne. A l’instar des manifestants de Nice, d’Attac et de la Confédération paysanne, les Verts partagent l’analyse qui stigmatise l’opacité du système communautaire, la carence flagrante de régulations démocratiques, l’hégémonie des marchés et le lobby victorieux des industriels. Mais c’est bien à cause de ce constat là que nous voulons que la gauche fasse de l’Europe le nouveau champ de l’émancipation sociale léguée par des États-providence en perte de vitesse. Pour parachever l’&oelog;uvre de paix continentale, il nous faut faire l’Europe politique. Pour gérer un environnement à l’évidence interdépendant, l’Europe est l’échelle adéquate, en attendant une conscience mondiale lointaine au vu des réactions américaines au protocole de Kyoto. Pour lutter contre la vache folle, la fièvre aphteuse ou les poulets à la dioxine, seule l’Europe peut être efficace. Pour faire pièce à certains effets dévastateurs de la mondialisation, en particulier dans le domaine social, et pour les services d’intérêt général, seul l’échelon européen est signifiant. Pour rééquilibrer la donne internationale en faveur de la solidarité Nord/Sud et faire contrepoids, sans animosité, à l’unilatéralisme américain, les pays européens doivent parler d’une seule voix. Est-il véritablement utopique d’imaginer qu’un projet européen recentré autour d’un texte constitutionnel garantissant les libertés individuelles et collectives, cherchant à jeter les bases d’une démocratie véritable et d’un modèle social original, adoptant les principes salvateurs du développement durable serait à même de créer un consensus à gauche ?

A contrario de ces aspirations, les États membres réunis sous présidence française à Nice ont offert une bien piètre image de la construction européenne et renforcé les suspicions légitimes de nos concitoyens. Pire : ils ont donné naissance dans la douleur à un Traité dangereux pour l’avenir de l’Europe. La dissolution de la responsabilité politique, la complexification de la prise de décision, la renationalisation latente des politiques de l’Union, la prépondérance de la règle de l’unanimité sont autant de menaces qui pèsent sur la construction européenne. Même la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui avait un temps suscité quelque espoir, reste un texte incomplet et juridiquement sans valeur.

La seule vertu du Traité de Nice aura été de faire l’unanimité contre lui : si, sur le Traité de Maastricht comme sur celui d’Amsterdam, nous nous étions divisés quant à l’attitude à adopter, les Verts voteront contre le Traité de Nice, au Parlement français le 13 juin 2001 comme au Parlement européen. C’en est fini du dilemme, partagé par une grande partie des citoyens lors du vote sur le Traité de Maastricht, entre le refus d’une élaboration néo-libérale de l’Europe d’une part, et la préservation du concept même de construction européenne d’autre part. Nous refusons d’apporter notre appui à un Traité qui éloigne une nouvelle fois l’espoir de voir l’Europe répondre aux attentes des citoyens en matière de démocratie, de protection des droits fondamentaux, de projet social et de développement durable.
C’est ainsi qu’au Parlement français, lors de la ratification du Traité de Nice, les députés socialistes seront les seuls avec ceux du RPR à apporter un soutien - souvent désappointé - au Traité. A gauche, ni les Verts ni le PCF ne l’approuveront, pour des raisons différentes. Preuve s’il en est que, sur l’Europe, la majorité plurielle reste à construire...

Cependant, nous ne nous résignons pas à cet échec. L’Allemagne, forte de sa tradition fédéraliste, a des facilités historiques, géographiques et institutionnelles évidentes dans le débat sur le futur de l’Union. En France, notre jacobinisme séculaire nous aveugle quant aux désirs concomitants des citoyens d’obtenir à la fois plus de proximité dans la prise de décision politique et de faire contrepoids à la mondialisation libérale. Le débat sur une Constitution européenne doit nous permettre de réfléchir plus largement à la refondation des légitimités démocratiques entre l’échelon fédéral européen, les États, les régions et les communes. Les citoyens français perçoivent ces enjeux : les résultats d’un sondage de janvier consacré aux questions européennes (Le Monde du 16 janvier 2001) montrait que si 61 % des Français sont insatisfaits de la manière dont l’Union européenne se construit, ils sont 55 % à être favorables à la création d’une Fédération européenne. L’arrivée de l’euro dans nos porte-monnaie en janvier prochain obligera en outre les candidats à la présidentielle à se positionner clairement quant au futur de l’Union. La situation s’éclaircit progressivement : le débat sur le contenu à donner à cette Constitution européenne va remplacer dans les mois qui viennent les polémiques devenues stériles entre souverainistes et pro-européens.

Pour parvenir à terme à ce texte fondamental, nous proposons un calendrier et une méthodologie. D’ici le sommet européen de Laeken (Belgique) en décembre 2001, qui sera consacré aux finalités de l’Union, un grand débat public doit s’ouvrir sur l’avenir de l’Europe, associant largement tous les acteurs de la société civile, les élus et les citoyens. La seconde étape, comme le demande le Parlement européen, devrait être la convocation par le Conseil, dès 2002, d’une Conférence constitutionnelle regroupant des parlementaires européens, nationaux et régionaux. Cette assemblée, constamment ouverte aux propositions de la société civile, aurait pour charge de rédiger un texte constitutionnel d’ici la fin de l’année 2003, afin que les États membres puissent examiner ce projet de Constitution en 2004, lors de la Conférence intergouvernementale prévue par le Traité de Nice. Enfin, cette Constitution européenne serait soumise au référendum dans les quinze pays de l’Union et dans les pays candidats à l’adhésion en même temps que les élections au Parlement européen.

Afin de déclencher ce processus, les gouvernements ont besoin d’un coup de semonce. C’est pour cela que nous appelons les députés et sénateurs de toute obédience politique à repousser le vote sur le Traité de Nice prévu le 13 juin 2001 tant qu’un calendrier et une méthodologie clairs quant à la suite du processus européen n’aient été définis par le gouvernement français et par le Conseil de l’Union européenne.




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