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par Alain Lipietz | 18 octobre 2005

Faire de la non pénalisation de l’avortement un droit pour toutes les femmes dans l’Union européenne
Le 18 octobre, plusieurs femmes témoigneront au Parlement européen de l’injustice de ne pas pouvoir bénéficier d’un avortement sûr et légal dans tous les pays de l’Union Européenne.
Les droits et la santé des femmes en matière de reproduction ne sont-ils donc pas à l’ordre du jour du programme de l’Union Européenne pour l’égalité ?

Nous sommes en 2005. Les femmes ont le droit de vote dans tous les États membres de l’Union Européenne. Les femmes ont le droit d’avoir leur propre compte en banque. Il est discriminatoire et illégal de licencier une femme parce qu’elle se marie ou est enceinte (mais c’est encore pratiqué !). La violence domestique envers les femmes, l’égalité des salaires et l’égalité des chances sur le marché du travail et dans la vie sont reconnues comme des questions politiques, parfois de compétence nationale, parfois de compétence européenne. En tous cas, elles ne sont plus ignorées de la scène politique. Ce sont des questions à la fois domestiques et globales, parce qu’elles ont un impact sur la vie des femmes, et la possibilité d’être présentes dans tous les domaines de la vie.

Mais on ne parle pas, sur la scène européenne, du droit des femmes à disposer de leur corps. On considère cela trop controversé, trop "culturel". Un sujet pas politique, à ignorer ou à gérer État par État ! Le silence prévaut, des vies de femmes sont menacées ou détruites, et l’avortement est encore interdit ou limité dans plusieurs États-membres.

Au Portugal, en 2003, 17 personnes ont été inculpées pour avoir participé à des avortements illégaux. En Pologne, des femmes sont obligées de donner naissance à des enfants gravement handicapés. En Irlande, en 2002, une femme enceinte de jumeaux a découvert qu’un des foetus ne s’était pas développé entièrement ; l’autre foetus avait développé une anormalité chromosomique fatale. On lui a interdit d’avorter et elle a dû se rendre au Royaume-Uni. En Slovaquie, malgré la loi qui l’autorise, l’avortement devient de plus en plus tabou. Des femmes sont éconduites de certains hôpitaux. En Lituanie, des jeunes femmes de 16-18 ans ont peur de se rendre à l’hôpital, qu’on leur refuse l’avortement et que leurs parents soient mis au courant. A Malte, on se tait surtout, mais tout le monde sait que les femmes vont en Italie ou en Grande-Bretagne pour avorter.

Ces femmes qui ne peuvent pas avoir accès à un avortement sûr ont besoin de notre soutien. Si l’Union européenne se veut un projet moderne, les droits des femmes en matière de reproduction doivent être inscrits aux priorités de son agenda politique. Les gouvernements qui gardent ces lois punitives doivent subir des pressions de toutes parts.

Au Parlement européen, des femmes raconteront l’injustice qu’elles ont vécue - et les conséquences que cela a eu sur leur vie.

L’Union Européenne a pour compétence de promouvoir et protéger la non-discrimination des femmes et l’égalité. Refuser ou limiter l’accès aux soins spécifiques aux femmes est une forme de discrimination de genre. Le droit des femmes à choisir leur destin, en toute liberté de conscience, face à des évènements fondamentaux de leur vie, doit leur être reconnu.
La Commission européenne a désigné 2007 “l’année européenne de l’égalité des chances pour tous”. Les quatre thèmes principaux sont : droits, représentation, reconnaissance, respect et tolérance. De grands mots, aux riches significations, mais qui ne serviront à rien si les femmes ne peuvent pas exercer leur droit élémentaire de décider d’avoir - ou de ne pas avoir - d’enfants !

C’est aussi une question de santé publique.

En 2002, le Parlement Européen approuvait un rapport d’Anne van Lancker sur la santé et les droits en matière de sexualité et de reproduction. Il appelle tous les Etats membres à garantir l’avortement légal et sûr, et s’appuie sur la déclaration de la Conférence Internationale (de l’ONU) sur la Population et le Développement (Le Caire, 1994). L’Union Européenne se réfère souvent aux déclarations du Caire et de Beijing (1995) quand il s’agit de l’aide au développement, et elle fera de la santé reproductive un but prioritaire de son aide dans le Tiers-Monde. Et pourtant, au sein même de l’Union Européenne, la question de la santé des femmes est laissée à chaque État membre, selon le "principe de subsidiarité" !

Le principe de subsidiarité doit certes être respecté, mais une chose est certaine : il ne peut pas servir d’excuse pour oublier les droits des femmes en Europe. Il ne doit pas être un prétexte pour refuser aux femmes le droit à l’égalité, à la santé et à la liberté de conscience. La législation européenne est construite sur le respect des droits humains. Or les femmes ont le droit d’être libérées de toute coercition, discrimination et violence, et c’en est bien une que de mener une grossesse non désirée ou dangereuse à terme.
Le Conseil des Ministres de l’Union sur l’Égalité des Genres en 2005 a fini par publier une déclaration qui reconnaît les droits humains et les spécificités de genre en ce qui concerne la santé sexuelle et reproductrice. C’est officiel, mais confidentiel : “L’égalité de genres ne peut être atteinte sans garantir aux femmes les droits et la santé en matière de sexualité et de reproduction.”

Nous ne disons pas que l’avortement est la solution ou épuise la question. Nous voulons au contraire augmenter les efforts en matière de prévention (l’éducation sexuelle, l’accès aux services pour réduire les grossesses non désirées). Mais nous ne pouvons plus accepter que les droits fondamentaux des femmes soient ignorés, mis entre parenthèses par l’Union européenne. Il faut légiférer, à l’échelle de l’Union, pour assurer ces droits.



À noter :

Cet article est publié aujourd’hui dans plusieurs pays membres ; il est signé par de nombreux dirigeants et responsables politiques.

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