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> Le traité constitutionnel marque une inflexion vers l’Europe politique (http://lipietz.net/?article1502)
par Alain Lipietz | mai 2005 Alternatives économiques n°236 Le traité constitutionnel marque une inflexion vers l’Europe politique Entretien
Les gains, en matière de contenu social, écologique ou féministe, sont réels : constitutionnalisation de la Charte, reconnaissance des services publics et obligation de les financer (article 122)... Mais l’essentiel, c’est la généralisation de la codécision avec le Parlement européen et de la règle de la majorité au Conseil, le droit d’initiative législative des citoyens sur la base d’un million de signatures, la simplification des réformes constitutionnelles futures avec la règle des quatre cinquièmes des pays (article 443) et les deux systèmes de révision simplifiées. D’un point de vue géostratégique, face à l’hyperpuissance américaine, c’est l’émergence d’une Union parlant d’une seule voix, avec une défense européenne qui n’est plus désormais inscrite dans l’Otan (article 41-6 qui se substitue à l’article 17-4). Les arguments en faveur du Non sont-ils totalement irrecevables ? La réaction des couches populaires qui votent Non est parfaitement compréhensible. Ce n’est pas un vote « pour en rester à Nice », c’est un vote contre l’ensemble de l’évolution européenne depuis l’Acte unique. Parmi ces ouvriers, ces paysans, ces employés, beaucoup avaient eu comme moi la conscience des dangers de Maastricht, et ne voient pas l’inflexion (il est vrai encore trop discrète) que marque le traité. D’autres avaient voté Oui sur la foi des serments de la sociale-démocratie. Ils votent cette fois Non pour « ne plus se faire avoir », ou pour exprimer leur ras-le-bol général. Ces attitudes sont compréhensibles, même si elles aboutissent à figer l’Europe dans un état dont ils sont les premières victimes. Je suis beaucoup plus sévère pour les dirigeants politiques et les intellectuels qui ont les moyens de mesurer l’évolution entre Nice et le TCE. Certains, trotskystes ou communistes, sont depuis le début contre l’Union européenne et jouent la politique du pire. D’autres, qui ont rédigé, signé, voté l’Acte Unique, Maastricht, Amsterdam et Nice, défendent sans le dire leur enfant : des traités sociaux-libéraux, une Europe des nations. Une dernière catégorie rêve de provoquer une crise salvatrice qui remettrait tout à plat et permettrait de renégocier un bien meilleur traité. Je n’y crois pas un instant. Que peut-on craindre d’une victoire du Non ? et espérer d’une victoire du Oui ? Si le Non l’emporte, le traité de Nice est formel, une petite majorité d’électeurs français aura décidé de bloquer une réforme que l’écrasante majorité du reste des Européens attendait. Le ressentiment sera tel, dans la gauche européenne, qu’il sera très difficile d’enclencher un nouveau projet. D’autant que les autres pays susceptibles de voter Non (la Grande-bretagne qui préfère une zone de libre échange, la Tchéquie et la Pologne qui veulent Dieu dans la Constitution) avanceront des demandes contradictoires. Voter Non, c’est garder Nice pour au moins dix ans et peut-être bien plus. C’est l’Europe-marché qui triomphe. Voter Oui, ce n’est pas ouvrir les portes du paradis. C’est déplacer significativement les règles du jeu en faveur du principe fédéraliste. Bien sûr, l’essentiel dépendra des majorités que choisiront les électeurs et des initiatives pour s’emparer des potentialités de la Constitution. La victoire du Oui ne prendra son sens que si s’enclenche aussitôt un mouvement de réforme constitutionnelle faisant sauter les derniers verrous (telles la règle de l’unanimité en matière fiscale ou sociale, la réforme des objectifs de la Banque centrale), et si les citoyens s’engagent dans des campagnes de pétitions pour s’opposer aux OGM, imposer la citoyenneté de résidence, l’abaissement de la durée du travail en Europe etc. Sur le Web : Le sommaire du numéro 236 d’Alternatives économiques |
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