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par Alain Lipietz | 11 juin 2004

Article proposé à la presse
Les conditions d’une Europe économique et sociale
Le débat sur l’Europe sociale est en train de virer à la catastrophe : un simple slogan auquel se rallient absolument tous les candidats, de M. de Villiers à M. Besancenot, en passant par Mme de Sarnez et M. Désir. En quelques affiches, il a été vidé de contenu. Car une telle unanimité, dès lors qu’on ne répond pas à la question : « Oui, mais comment ? », se perd dans le bruit du Café du Commerce.

Si la question revient en force, avec le retour de « l’eurosclérose » d’où l’on peine à s’extraire durablement depuis Maastricht, il est bon, pour voir « Comment s’en sortir ? » de rappeler quelques leçons de l’histoire... de France.

C’est seulement en 1968 qu’a été parachevée « la France sociale ». Avant, les conventions collectives étaient départementales, le SMIC variait d’une zone de France à l’autre, et les délocalisations de l’Île-de-France vers le Grand Ouest étaient quotidiennes. L’unification des lois sociales en Europe ne se fera pas non plus en un jour.

Ce qui a été possible en France ne l’a été que parce qu’il y avait un « espace politique français commun ». Quand la Turquie et d’autres pays sont depuis belle lurette en situation de libre-échange avec l’Europe, il est pour le moins incohérent de vouloir tenir ces pays en dehors de l’Union Européenne, où ils seraient assujettis aux mêmes règles de politiques sociales.

Ce qui a été possible avec l’Espagne et le Portugal lors de leur entrée dans l’Union (le tarissement en quelques années des délocalisations vers ces pays) ne l’a été que grâce à un soutien massif à leur « mise à niveau ». Quand les socialistes anglais et allemands (MM. Blair et Schröder) s’opposent à la croissance du budget européen malgré l’entrée de dix nouveaux pays encore plus pauvres dans l’Union, ils condamnent l’Europe à un flux de délocalisations internes.

Encore fallait-il que, dans la constitution française, figurât la possibilité de légiférer en matière sociale ! Ce n’est toujours pas le cas pour le Parlement européen. Mais ceux qui dès l’origine, souverainiste de droite ou de gauche, se sont opposés aux transferts de souveraineté vers les élus des peuples d’Europe, comme ceux qui se sont démenés pour voter et faire voter les traités de Maastricht, Amsterdam et Nice, sont les derniers à pouvoir s’en plaindre.

Enfin, les lois sociales ne sont qu’un des piliers de la politique sociale. L’autre est la politique économique qui assure le plein emploi. En 1992, j’avais signalé, comme de nombreux économistes, mais contre le PS et l’UDF, que le traité de Maastricht, en instaurant l’irresponsabilité de la politique monétaire et en fixant des règles absurdes à la politique budgétaire, figerait l’Europe dans la stagnation. Rien n’a changé depuis.

Ce bref retour sur le passé dicte les conditions d’une Europe sociale. Commençons par le dernier point.

Faute de l’avoir doté d’un gouvernement économique responsable devant les élus européens, les traités ont encadré l’Europe dans deux ensembles de règles automatiques (les 2% d’inflation pour la politique monétaire, les 3% de déficit budgétaire) qui expliquent ses difficultés actuelles. Il est temps de rendre aux instances politiques démocratiquement responsables leur marge d’appréciation, comme depuis cinq ans les députés Verts n’ont cessé de le plaider au sein de la Commission Economique du Parlement. Nous proposons d’en sortir par quelques réformes de bon sens.

Pour une « gouvernance économique »

L’objectif de la Banque centrale doit être ainsi reformulé : « Stabilité des prix et financement du développement soutenable visant au plein emploi ». Les Gouverneurs de la BCE seront responsables devant le Parlement et le Conseil européen, ils rendront compte de leur politique deux fois par an devant le Parlement qui émettra un avis, ils seront renouvelables tous les quatre ans et nommés par le Parlement sur recommandation du Conseil... comme M. Grunspan, de la Banque Fédérale Américaine !

Les budgets nationaux seront régis par un pacte de stabilité et de développement soutenable. Celui-ci sanctionnera les déficits excessifs maintenus par les Etats lorsque leur économie n’est pas en récession. Les parlementaires européens adopteront une fois l’an le taux admissible de déficit budgétaire. Les déficits s’entendront déduction faite des investissements correspondant aux obligations qui découlent du traité de Kyoto contre le changement climatique.

Le budget propre européen sera adopté par le Parlement sur proposition de la Commission, dans la limite de 2% du produit européen. Il pourra être en déficit aux mêmes conditions que les budgets nationaux.

Pour un plan non démagogique d’unification des règles sociales

Le traité de Maastricht a quand même eu cet aspect positif : une fois fixées des règles de convergence avec une date butoir, il est possible d’assurer la convergence réelle. Appliquons la même méthode en matière sociale. Fixons un horizon (10 ans ?) de convergence vers le haut des salaires minimaux, des minima sociaux, ainsi que des horaires maximaux. Pourquoi un délai ? Parce qu’il est démagogique de prétendre aligner aujourd’hui les salaires horaires polonais sur les danois ! Mais, dès aujourd’hui, il est possible d’unifier « raisonnablement » les règles sociales, en fixant les revenus minimaux en pourcentage du revenu moyen par tête de chaque pays (en gros : de sa productivité) au niveau des pays les moins inégalitaires (Pays Bas et Suède).

Pour des services publics à tous les échelons

La politique sociale, c’est aussi ce qu’on « offre » à la communauté. En France, il semble que cette bataille se limite à la défense des grands services publics nationalisés. C’est une bataille en effet importante... si ces entreprises sont mises au service d’une politique sociale et écologique, ce qui n’est pas toujours le cas. La bataille autour du Livre Vert sur les « Services d’Intérêt Général » (Rapport Herzog) a montré que leur défense et leur démocratisation dépendaient crucialement de l’adoption ou non de l’article III-6 du projet de Constitution. Les Verts défendent l’adoption des parties I et II de la Convention et des six premiers points de la partie III. Malheureusement, d’autres partis, comme le PS français, prendront leur décision... après le vote du 13 juin !

Surtout, le service au public est tout autant assuré par le « tiers secteur » d’économie sociale et solidaire (associations, coopératives, mutuelles), subventionné à la mesure des services rendus à la communauté. Les Verts se battent pour la pleine reconnaissance de ce secteur au niveau de la loi européenne, et ce sera un des grands combats des prochaines années.

Pour la justice environnementale

La politique sociale, c’est enfin (retour à Villermé et Pasteur !) l’environnement et la nourriture qui est proposé aux moins fortunés. Les écologistes clament à juste titre que les emplois créés pour sauvegarder l’environnement sont plus nombreux que ceux consacrés à le saccager. On s’aperçoit aujourd’hui qu’un bon environnement, une nourriture saine jouent un rôle crucial dans la santé de la population. La lutte contre l’effet de serre, le refus d’une nourriture gavée de chimie, d’hormones et génétiquement manipulée, la chasse aux molécules cancérigènes, en un mot le refus d’un environnement et d’une nourriture à deux vitesses, sont les bases d’une politique sociale de santé publique. Et elles ne sont possibles qu’au niveau européen.

Comment et avec qui mener ces batailles ?

Les meilleurs programmes sont inutiles si on ne dit pas comment les faire adopter. Mme de Sarnez (UDF) ou M. Désir (PS) souscriraient aujourd’hui certainement à tout ce que je viens de d’écrire... mais siégeront demain, elle sur les mêmes bancs que les libéraux britanniques, lui sur les mêmes bancs que les sociaux-démocrates anglais et allemands, qui s’y opposent ! Le premier impératif, pour qui veut suivre la voie institutionnelle vers l’Europe sociale, est de voter pour un parti qui défend le même programme social de la Galice à l’Estonie ! Il faut le reconnaître : seul le parti vert européen présente à ses électeurs une telle garantie.

Bien sûr, on pourrait se contenter de « l’Europe des luttes », comme les trotskistes qui luttent « dans la rue » pour la taxe de Tobin et la rejettent au Parlement européen. Mais alors pourquoi prétendre à la députation ?

Encore faut-il que tous ces points soient de la compétence des députés. Or, ce n’est pas le cas depuis Maastricht, ce n’est toujours pas le cas dans la III° partie du projet constitutionnel ! C’est pourquoi les Verts ne demandent qu’une chose (mais ils y tiennent ! voir dans ces colonnes, de Daniel Cohn-Bendit et moi-même, « L’Europe, premier pas vers l’altermondialisation », 20 septembre 2003) : qu’une clause de la Constitution prévoie la possibilité d’amender la III° partie, qui est d’ordre législatif et non constitutionnel, selon les règles fixées par la première partie : à la majorité !

Est-ce réaliste ? Oui, si le mouvement social appuie le vote des citoyens. Déjà, la Confédération Européenne des Syndicats, la Ligue Européenne des Droits de l’Homme, les grandes organisations écologistes soutiennent la même démarche : s’appuyer sur les avancées démocratiques de la constitution pour combattre les scories néolibérales des actuels traités incrustées dans sa IIIè partie. Anticipant sur une des innovations majeures du projet, offrant aux citoyens un droit d’initiative législative, trois pétitions visent déjà à recueillir un million de signatures. L’une pour un traité d’Europe sociale. La seconde pour une citoyenneté de résidence avec droit de vote européen (car comment gagner l’Europe sociale si l’on exclut, comme le propose le PS, 14 millions de travailleurs non communautaires du droit de vote au Parlement ?). La troisième pour prolonger le moratoire sur les OGM.

Oui, l’Europe sociale est à notre portée... si la mobilisation relaie la clarté du vote.




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