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par Alain Lipietz | 29 février 2004

Regards n°2
L’Europe se débat
Table ronde avec Francis Wurtz
Au lendemain du Forum social européen, à l’heure du projet de Constitution et à quelques mois des élections européennes, Regards donne de la voix à deux députés du Parlement européen : Francis Wurtz, président du groupe de la gauche unitaire européenne/gauche verte nordique, et Alain Lipietz, membre du groupe Les Verts/Alliance libre européenne. Yves Salesse, président de la Fondation Copernic, conteste les bases libérales du projet européen. Table ronde avec Francis Wurtz et Alain Lipietz, propos recueillis par Clémentine Autain.

La Constitution européenne, préparée sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, constitue-t-elle une avancée pour les peuples de l’Union ?

Alain Lipietz : « Avancée », c’est exactement le mot ! On ne doit pas évaluer un nouveau traité européen au regard d’un idéal, mais par rapport aux traités précédents. C’est-à-dire comparer ce que serait l’Europe si le nouveau traité est rejeté (donc si seuls les anciens traités continuent à s’appliquer) à ce qu’elle serait avec le nouveau traité. Au nom de ce critère, je me suis prononcé contre Maastricht, Amsterdam et Nice, parce qu’ils n’apportaient que des « reculs ». Je considère que les deux premières parties du Traité constitutionnel et la première page de la troisième contiennent d’importantes « avancées », en matière de projet pour l’Europe. Le fait que ce traité ait été pour une fois préparé par les élus, même sous la présidence de Giscard, n’y est pas pour rien. Les objectifs sociaux, écologistes et féministes y sont affirmés beaucoup plus clairement que dans toutes les constitutions nationales. Et surtout, les avancées démocratiques sont considérables : le Conseil (le club des gouvernements) voterait à la majorité des populations qu’ils représentent, le Parlement aurait deux fois plus de pouvoir et surtout, une pétition d’au moins un million de citoyens pourrait proposer une loi. Toutes les critiques opposées au projet de traité, notamment lors du Forum social mondial, visaient en réalité la troisième partie, qui n’est autre que le traité actuel issu de Nice... donc ce que nous garderions si le projet était rejeté.

Francis Wurtz : Sincèrement, ce traité n’est pas une avancée ! La crise de confiance entre les citoyens et les institutions européennes prend avant tout sa source dans les politiques mises en œuvre et dans le type de fonctionnement qui les caractérise. Or, sur ces deux points clés, le projet de Constitution reprend tout simplement le texte du traité de Maastricht : les politiques partent des exigences des « marchés » et le fonctionnement se fait par le haut. Il n’y a donc, hélas !, pas d’avancée sur l’essentiel. Pire, il y a « constitutionnalisation » du modèle libéral.

Les décisions prises à l’échelon européen paraissent opaques et peu démocratiques. Comment mieux associer les populations aux politiques européennes ?

Francis Wurtz : D’abord, il faut faire circuler l’information sur les projets de directives, les « livres verts », « livres blancs », tous ces documents qui permettent de connaître à temps les terrains sur lesquels une bataille se prépare. Plus généralement, il faut aider les gens, les acteurs sociaux, à se familiariser avec les enjeux européens, économiques et sociaux, mais aussi ceux concernant les libertés, la politique internationale et les institutions. Il y a une nouvelle dimension de la culture politique à acquérir progressivement. Il faut apprendre à devenir des interlocuteurs incontournables. C’est une grande tâche politique d’aider les citoyens à acquérir ce statut.

Alain Lipietz : Déjà, les propositions de la Convention seraient un pas en avant dans ce sens ! Imaginez que la Confédération européenne des syndicats, avec les organisations écologistes et de consommateurs, lancent une pétition avec 60 millions de signatures pour une loi sur les services publics européens ! Mais c’est aussi la tâche des médias d’expliquer que les vraies décisions sont les décisions européennes, que les élections décisives pour notre vie quotidienne sont les élections européennes, pas nationales !

Le pacte de stabilité pèse aujourd’hui sur les gouvernements nationaux. Comment enrayer cette logique ?

Alain Lipietz : Ce pacte est caduc. Le Conseil européen a décidé de ne pas l’appliquer à la France et à l’Allemagne. Il faut l’enterrer officiellement, et en écrire un autre, « intelligent ». Il faudrait par exemple sanctionner les Etats qui s’endettent pendant les périodes de croissance, et déduire les investissements nécessaires pour sauver le climat.

Francis Wurtz :Le pacte de stabilité est effectivement en crise et c’est une très bonne chose, car cela a permis d’engager un vaste débat public. Rien de tel pour effrayer les « gardiens du Temple » ! Il faut pousser en avant ce débat, avec nos concitoyens, en montrant l’absurdité de « règles » rationnant les dépenses publiques, même s’il s’agit de rénover l’hôpital public ou de développer la recherche. L’actuel « pacte » deviendra intenable.

Le 1er mai 2004, dix nouveaux pays doivent entrer dans l’Union européenne. Les conditions sont-elles réunies pour les accueillir ?

Francis Wurtz :La réussite de l’élargissement est un combat. A ce jour, il est loin d’être gagné ! Le modèle libéral ne fait pas bon ménage avec les besoins de développement des futurs pays membres. Ces pays ont un PIB inférieur de moitié à la moyenne de l’actuelle Union. L’emploi y est un défi majeur : la Pologne compte 20 % de chômeurs. Des entreprises et les banques ont été privatisées et rachetées par des groupes occidentaux dont le premier souci n’est pas le bien-être des populations ni la réduction des inégalités. La Banque centrale européenne vient de rappeler à ces pays que « l’objectif de stabilité repose sur l’arme fiscale au détriment éventuellement d’objectifs du développement ». De graves menaces planent sur les budgets futurs de l’Union. C’est dire si la réussite de ce grand et beau projet qu’est, en soi, l’élargissement, appelle des batailles d’envergure entre forces progressistes européennes des « vingt-cinq ».

Alain Lipietz : Si la première partie du Traité constitutionnel, tel que proposé par la Convention, n’est pas adoptée avant cette date, ce sera une catastrophe car, avec le Traité de Nice, l’Europe politique ne peut pas fonctionner à vingt-cinq. L’Union deviendra une simple zone de libre-échange, sans politique commune. C’est pourquoi les ex-staliniens devenus ultra-libéraux qui dirigent aujourd’hui la Pologne se sont battus contre la Convention aux côtés de l’ex-franquiste Aznar, aux cris de « Nice ou la mort ! ». Il est lamentable qu’une partie de la gauche française les ait appuyés.

En juin, le Parlement européen sera renouvelé. Cette échéance ne passionne généralement pas l’opinion publique et mobilise peu les citoyens. Comment mieux faire comprendre les enjeux de cette élection ?

Alain Lipietz : En proclamant très clairement que, la Conférence intergouvernementale ayant échoué à adopter le Traité constitutionnel, seul le Parlement européen aura l’autorité nécessaire pour nous sortir de l’enfer du Traité de Nice ! Il faut présenter la prochaine élection comme l’élection d’une Assemblée constituante.

Francis Wurtz : Je constate avec plaisir un intérêt nouveau pour les enjeux européens. Sans doute est-ce dû à l’omniprésence de l’Europe dans la vie quotidienne, que l’on apprécie ou que l’on critique les effets des décisions de « Bruxelles ». L’amorce de débat lancé autour du projet de Constitution a également contribué à aiguiser l’appétit de connaissance à cet égard. Il faut faire ressortir un double enjeu des élections. D’abord, créer un rapport des forces politiques plus favorable à une conception solidaire et démocratique de l’Europe. Ensuite, envoyer à Strasbourg et à Bruxelles des élu-e-s dont on soit sûr qu’ils ou elles travailleront avec vous dans le sens souhaité. Il faut clarifier les nouvelles compétences du Parlement européen : c’est en particulier lui qui, en « codécision » avec le Conseil des ministres européen, vote ces lois européennes qui, ensuite, structurent notre quotidien.

Dans vos rêves, à quoi ressemble l’Europe ?

Alain Lipietz : Une Europe des régions et des peuples solidaires, c’est-à-dire une Europe fédérale, où c’est la majorité des citoyens de l’Europe qui décide. Une Europe digne d’être aimée, parce qu’à l’avant-garde mondiale de la législation sociale, de la responsabilité écologique planétaire, de la résolution pacifique des conflits et de la solidarité avec le Sud.

Francis Wurtz  : Vaste programme ! Dans chaque région du monde où je me rends, je mesure l’attente que suscite l’Europe face à l’hégémonie et à l’arrogance des Etats-Unis. Que l’Europe ait la volonté et se donne les moyens de porter un modèle de société solidaire dans la mondialisation, qu’elle use de son poids - 450 millions d’habitants au 1er mai prochain, plus du quart des richesses du monde, plus de droit de vote que les Etats-Unis au FMI... - pour faire émerger des règles plus équitables, plus démocratiques, plus pacifiques sur la scène mondiale : voilà un beau rêve européen.




Sur le Web : L’article sur le site de Regards.

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