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L’utilisation de l’outil Internet en politique fut remarquable à l’occasion de la campagne présidentielle de 2002.

(art. 1203).


par Perline | 16 février 2004

Internet et Campagne électorale
Bilan d’une éphémère cybercampagne présidentielle
Commandé par Les Cahiers du Cévipof en juin 2003
L’utilisation de l’outil Internet en politique fut remarquable à l’occasion de la campagne présidentielle de 2002.

 Table des matières

Le futur candidat et Internet
1. Le candidat et la cybercampagne interne
1.1. Le contenant
1.2. Le contenu
1.3. Un tremplin pour une cybercampagne nationale
2. L’élu et la cybercampagne présidentielle
2.1. Le contenant
2.2. Le contenu
2.3. La visibilité
3. Comment survivre dans la jungle politique avec pour seul outil Internet
3.1. La jungle politique
3.2. L’outil internet
3.3. Survivre
En guise d’épitaphe

 Le futur candidat et Internet

C’est en 1997 que débuta la présence sur le Web de celui qui serait candidat à la présidence de la République pour les Verts quatre ans plus tard.

Son travail de chercheur [1], ses conférences de par le monde, lui faisaient pratiquer, depuis 1992, Internet via le mail, une aubaine qui lui facilita grandement la vie.

C’est par un beau jour d’automne que, après m’être plongée dans le HTML, je lançais une proposition sur des listes de diffusion militantes : “ Qui veut son propre site web ? Je le lui fabrique. ”

La timidité face aux techniques ne me ramena, cette fois-là, qu’une seule réponse, mais décisive : Alain m’écrivit sobrement dans les heures qui suivirent : “ Ça fait des mois que j’attends ça. ”

Lui qui peut écrire 10 pages sur un coin de table en moins d’une heure, avait accumulé plusieurs centaines de références, souvent traduites en plusieurs langues, dont de nombreuses personnes, de toutes nationalités, lui demandaient copie.

Il avait évidemment compris le soulagement que procurerait le Web, tant pour lui que pour sa secrétaire qui devaient photocopier, plier, adresser, timbrer et envoyer la publication désirée...

De plus, ceux qui demandaient un texte pouvaient de cette manière voir les précédents et suivants sur le même thème, les changements, les évolutions, les mises à jour, bref, profiter pleinement des écrits, ainsi publicisés.

C’est ainsi que naquit le (premier) site web d’Alain Lipietz, site de chercheur, hébergé chez son fournisseur d’accès, à une époque où c’était une sorte de luxe d’avoir son propre site.

En juin 1999, il fut élu député européen (Verts, France) et, tout naturellement, naquit un nouveau site, qui rendait compte de son travail de parlementaire.

Les conditions étaient différentes, nous achetâmes le nom lipietz.net (chez gandi.net), à la fois pour un accès simple et mémorisable, pour ne pas opérer de confusion et ne pas faire de “ publicité ” à un fournisseur d’accès ; et un hébergement en propre (chez altern.org) [2]. Nous ne manquâmes pas d’acheter aussi, par précaution, lipietz.com et .org, aussi bien pour éviter le cyberpiratage - et un éventuel procès [3] pénible et coûteux - que la cybersatire.

À l’automne 2000 naquit la feuille du Tilleul, “ irrégulomadaire d’information sur les activités d’Alain Lipietz ”.

Nous étions toujours à l’écoute des critiques, nous rectifiions les défauts annoncés.

En réalité notre tandem roule plutôt tout seul : nous avons à la fois de nombreuses affinités dans la perception de la relation entre la technique et son utilisation citoyenne d’une part, et, d’autre part, une pratique d’Internet et du Web très différente. En fin de compte, pour avoir un site qui réponde aux exigences de l’un et de l’autre, les rectifications sont souvent effectuées avant que le public ne nous les demande.

Car en fait, depuis l’origine, le site web d’Alain Lipietz lui sert d’abord à lui - c’est tout de même plus simple que des tonnes de papiers - pour fouiller dans ses écrits et retrouver ses publications, références et contenus.

Ensuite, le site web me sert à moi, pour retrouver des sources et orienter ceux qui écrivent et posent des questions, en les dirigeant d’abord sur les écrits lisibles sur le Web. Enfin, les demandes de version papier qui continuent à parvenir nous permettent de connaître les textes anciens à mettre en ligne en priorité.

 1. Le candidat et la cybercampagne interne

1.1. Le contenant

C’est donc tout naturellement que lorsqu’il envisage de se présenter aux primaires des Verts pour élire le candidat à la présidentielle [4], je lui propose de fabriquer un site dédié, car, selon un sacro-saint principe de communication de base on ne mélange pas les messages. Après avoir acheté, le 22 février 2001, lipietz2002.net [5] (et .org et .com), je me fais donc plaisir (puisque c’est sur mon temps personnel et militant...) en fabriquant un petit site simple et rigolo [6], destiné aux adhérents des Verts, agrémenté d’animations dans le but d’amuser les visiteurs. Nous ne serons pas loin de regretter ce parti pris humoristique plus tard...

La campagne des primaires démarre réellement en avril 2001, je m’applique à entretenir le site dont je suis la houèbemaîtresse [7] sans aucune arrière-pensée de possibilité de réussite à l’élection.

Rapidement, les primaires ne furent presque plus que les cyberprimaires. Les primaires ne sont, par définition, soutenues par aucune logistique : pas de bureau, pas de téléphone, les militants géographiquement éparpillés. Alors que la campagne internet ne peut se dérouler dans les médias, alors qu’elle n’a donc aucun support communément utilisé possible, Internet permet de pallier ces manques : l’intégration d’un texte, l’envoi par mail d’une information de notre côté, permet au lecteur, quel qu’il soit, de les consulter et les utiliser, au moment qui lui convient.

1.2. Le contenu

Le site, selon moi, devait contenir à lui seul toutes les informations nécessaires à l’adhérent... et au journaliste :
- Informations internes (absentes ou introuvables sur le site national) sur le calendrier des votes et des rencontres par exemple.
- Le programme, dont les professions de foi.
- Une présentation de la personne (avec renvois sur les sites de chercheur et de député).
- Un choix de textes sur les thèmes liés aux grands problèmes de la planète, de l’Europe, etc.
- Les contacts directs (mails, listes de discussion...).

Créée afin d’être au plus près des demandes des militants, la liste de discussion 2002@lipietz.net, ouverte librement à tous, prend une ampleur rapide et imprévue. Y sont abordés tous les problèmes, internes, externes, nationaux, internationaux, régionaux, locaux, thématiques... Alain Lipietz répond à chaque interpellation, il le fera jusqu’à son départ en octobre. Je “ modère ” pour surveiller d’éventuels débordements, qui n’auront pas lieu à ce moment-là.

La mobilisation est évidente, l’efficacité locale des pro-Lipietz galvanisée par la facilité des échanges, des réponses aux questions, des réponses aux arguments des adversaires.

Une question posée dans une liste, une réponse déposée sur le site... Une philosophie qui persistera tout au long des campagnes : “ Si l’un se pose une question, il faut répondre à tous. ”

Résultat le 18 mai 2001 : 42,78 % pour Noël Mamère et 25,65 % pour Alain Lipietz, qui estime alors son élection au second tour “ pas impossible ”. Je trouve cela chimérique, mais si je ne faisais que ce que je crois gagné d’avance je n’aurais jamais consacré plusieurs dizaines d’années au militantisme antinucléaire...

1.3. Un tremplin pour une cybercampagne nationale

La croyance d’Alain est contagieuse, ça s’agite dans les listes - celle de lipietz2002 comme celles parlant plus largement écologie existant auparavant - je m’agite de plus belle : entretien du site, et, surtout, travail sur les listes, trouver des réponses à toutes les questions - techniques, sans rapport avec la candidature d’Alain Lipietz, souvent à la place du parti, déjà sclérosé - de préférence sans avoir besoin de les demander à Alain, finissant par connaître le contenu des sites par cœur... Un élan et une expérience qui permettront ensuite le démarrage de la campagne sans accroc... côté militants.

En effet, Internet est un média participatif. Le choisir, c’est travailler avec les militants. C’est, certes, s’exposer aux critiques incessantes, aux conseils contradictoires et aux commentaires permanents. Mais c’est aussi être réellement dans un groupe, un parti, et évoluer avec l’extérieur et en fonction des demandes, tout en encourageant tant les militants que les sympathisants, à participer. Même si, évidemment, les décisions finales reviennent au candidat.

C’est une stratégie en totale opposition avec celle qui consiste à être quelques-uns à décider et imposer leurs décisions aux militants, tout en « communiquant » avec eux par l’intermédiaire des médias classiques.

Peu avant l’échéance qui lui fut fatale, Noël Mamère déclare, un peu méprisant : “ Moi je ne rameute pas sur Internet. ” Chacun ses méthodes [8].

Mais, comme le dira, un peu dépité, Stéphane Pocrain après les résultats : “ C’est la victoire d’Internet sur la télévision. ”

En effet, lundi 19 juin, Alain me dit “ ce n’est pas impossible mais ce sera serré ”. Je mijote toute la nuit, je me réveille mardi matin et en faisant mon marché cette phrase me travaille et je me dis : “ Le pauvre, il va être déçu. ”

 2. L’élu et la cybercampagne présidentielle

Arrivée devant mon fleuriste, j’achète, outre mon bouquet habituel, un immense bouquet de roses rouges, pour consoler le perdant ; ce n’est pas normal que seules les femmes, et seuls les gagnants, reçoivent des fleurs ! Les perdants aussi ont sué eau et sang et ont droit à des félicitations.

Pour tenir jusqu’au lendemain le bouquet sera déposé dans un vase, sur la table de la cuisine, pièce centrale dans laquelle on est obligé de passer d’où qu’on vienne et où qu’on aille. Et à force de passer, repasser, passer encore devant ce bouquet, je commence vaguement à réaliser ce qui ne m’avait absolument jamais effleuré l’esprit auparavant : “ et pourquoi pas ? ”

Là, en prévision, improbable, mais “ pourquoi pas ? ” d’une victoire, germe ce qui deviendra la matérialisation de l’infini pour la rentabilité de communication : investissement minimum/gain maximum.

Je me dis : je signe mon bouquet. “ Perline ” ça fait mégalo. Quelle signature est Perline sans confusion, mais ne l’est pas ? http://lipietz2002.net bien sûr ! Un papier, une imprimante, des agrafes, et le bouquet ainsi décoré, que je lui ai collé dans les mains sans presque même qu’il ne s’en aperçoive à son arrivée à la conférence de presse, brandi à l’envi devant les caméras et les appareils photo des journalistes médusés, fit la Une papier [9], celle de Journaux télévisés [10], tourna dans les rédactions et ressort à chaque évocation de l’événement.

Publicisant l’URL de campagne du candidat, dorénavant présidentiel, Alain Lipietz, arrivé en tête avec 50,3 % !

2.1. Le contenant

20 juin, c’est le printemps et le début d’une aventure non préparée : une cybercampagne où tout est à inventer, ou presque.

D’abord le site, forêt, ciel bleu, nature, impression écolo, quelque chose qui correspond à l’image que les gens se font de l’écologie, autrement dit l’environnement, vu que l’écologie politique est dure à matérialiser...

Je n’arrive pas à me résoudre à me lancer dans une programmation totale de gestion de base de données tout en me disant qu’il le faudra bien, mais, lâchement, tous les jours je trouve une (mauvaise) raison de ne pas commencer : excellente initiative ! Le 2 juillet 2001, sort la version 1.0 de Spip [11] : ce fut le coup de foudre, il me fallut un quart d’heure pour en devenir une adepte inconditionnelle !

Spip est constitué d’une base de données qui permet de stocker des informations pour ne travailler que sur la mise en forme ensuite, d’une apparence modulable à l’infini de manière simple grâce au métalangage de programmation intégré peu sujet à gros bug, et, surtout, de la possibilité de donner à un nombre infini de personnes le droit d’intégrer des textes - de manière extrêmement simple et pédagogique -, sans risque de publication intempestive grâce à la différenciation entre rédacteur et administrateur, ce dernier statut ayant seul la possibilité de mettre en ligne.

Une partie de mes “ vacances ” se passa à créer un aspect lisible (dont je n’eus le temps de faire que la page d’accueil) [12] : nombre de colonnes, type de division, logos, mises en exergue...

L’expérience et les contacts acquis lors des primaires se poursuivirent naturellement, les avis donnés par tous ceux qui le désiraient furent pris en compte ; les tests effectués sur diverses configurations de systèmes, navigateurs, écrans, facilités de navigation... Peu de gens peuvent se vanter d’avoir un si grand pool de testeurs, d’autant plus que chez les Verts, ce ne sont pas les matériels ni avis divers qui manquent, ni qui manquent de s’exprimer...

Spip permettant “ une véritable démocratie participative ” (le slogan du site lipietz2002.net), un identifiant et un mot de passe devaient être disponibles à tous les responsables (élus, de commission, de groupe local, etc.), pour qu’ils puissent intégrer rapidement des informations (fêtes, meeting, etc.), sans centralisation, avec, seulement, une phase de relecture, purement technique, par des administrateurs, pour des contrôles de mise en forme, sans intervention sur le contenu.

Chaque personne possédant un identifiant étant totalement responsable de l’intégration faite en son nom, à charge pour elle de prendre la responsabilité de le donner à qui elle voulait, en fin de compte, seul son nom portait la responsabilité du contenu.

2.2. Le contenu

Des informations sur la campagne, un agenda, des informations régionales, thématiques, les rubriques devaient permettre de retrouver ce que l’on voulait.

Mais à qui était destiné ce site ?

Le véritable problème de fond était celui-là, il fallait s’adresser à un public non ciblé, ce que normalement on ne doit pas faire en matière de communication.

Adhérent, journaliste, sympathisant, curieux, chacun doit pouvoir trouver réponse à ses questions ou informations selon ses demandes.

Contrairement à ce que pensent certains, ce n’est pas la quadrature du cercle. Juste un peu d’organisation. Comme nous l’avions fait précédemment, le site se modulait au fur et à mesure des suggestions et des besoins, c’est ainsi que fut créée, début juillet 2001 - après un diffamatoire article de Bernard Langlois dans Politis accusant Lipietz d’avoir arraché son soutien à un René Dumont mourant [13] - la rubrique sobrement appelée “ Mises au point ”, illustrée d’une voiture de pompier tentant d’éteindre un feu... Rubrique primordiale, qui ne remplace pas le droit de réponse, mais permet aux militants questionnés de trouver une réponse circonstanciée et argumentée sans délai.

L’interprétation des médias, les propos venimeux, les mensonges étaient ainsi remis à leur place. On peut lire que les prétendus « débordements individuels » sur la question de l’amnistie en Corse représentaient, en réalité, l’avis des Verts, puisqu’ils avaient été décidés avec le Secrétaire général d’alors, Jean-Luc Bennahmias. Qui fut nommé, plus tard, directeur de campagne de Noël Mamère.

La liste 2002@lipietz.net se transforma en 2002@lipietz2002.net, accueillant tout un chacun sans contrôle. À tel point que le 16 octobre 2001, lendemain de la désignation de Mamère après le putsch larvé que l’on sait, un de ses militants eut le culot de lancer sur cette liste un appel pour les signatures d’élus (pour Mamère)... Sur la liste lipietz2002 puisque les Verts n’ont toujours pas (et n’ont jamais eu...) l’équivalent au niveau du parti, malgré une déclaration de Dominique Voynet, secrétaire générale, le 14 octobre, parlant de “ remise à niveau du site web des Verts ”.

Parallèlement, fut mise en place la liste 2002verts@lipietz2002.net, réservée aux adhérents, dont chaque demande était vérifiée par l’intermédiaire d’un salarié ad hoc du parti.

La participation des militants était importante, les propositions, les questions, le retour du public et ce, quelle que soit la région, le mode de vie, campagne, ville, les préoccupations... Les expériences des uns furent utiles à tous, bref Internet s’affirma comme un outil formidable.

Puis naquit la liste media@lipietz2002.net, destinée à commenter les interventions médias (avant, après, sur la forme et le contenu), sans oublier la liste corse@lipietz2002.net, pour libérer un peu les autres listes de ce sujet devenu délicat ; toutes listes publiques.

Un bémol toutefois, la confusion que firent de nombreux journalistes (pas toujours animés d’objectives intentions) entre le Lipietz chercheur, député et homme politique.

C’est ainsi que Le Monde [14] écrivit “ Quel "CV" ! Sur son site Internet, Alain Lipietz, député Vert européen, le déroule une nouvelle fois avec délectation. ”, alors qu’il ne s’agissait que de son CV académique standard, figurant depuis des années dans la partie “ chercheur ” de son site.

De ce procès d’intention nous ne retiendrons qu’une chose : les médias, sans aucune information ni contact chez les Verts, se sont rués sur le site web, pour “ découvrir ” cet “ inconnu [15] ” qu’ils accueillaient dans leurs colonnes comme économiste de référence depuis de très nombreuses années et qui était député européen depuis deux ans... mais dont les journalistes de la rubrique “ Politique française ” ne savaient rien, juste que c’était un “ ex-chroniqueur de Politis ” [16] ! Site qu’ils ne pouvaient plus ignorer depuis le bouquet de roses, et qui se révéla être la seule source d’informations disponibles, face au blocage total de la direction du parti, de la direction officielle de campagne, sans compter, à partir de l’été 2002, les coups de poignard dans le dos de la part de l’attachée de presse des Verts.

Le Figaro ne s’y trompait pas, lui qui introduisit, en guise de présentation : “ Alain Lipietz c’est d’abord trois sites web. ” [17]

Mais l’utilisation d’Internet, ce n’est pas seulement le site web - conception, lisibilité, facilité de navigation, contenu pertinent... -, ni celui des listes de discussion - thématiques, modération modérée -, c’est aussi l’utilisation du mail.

Fut créé un e-mail secret, extrêmement pratique lors des voyages d’Alain pour lui permettre de connaître très vite les urgences telles les nouvelles rumeurs ou attaques, mail que ne possédaient que les personnes du cercle restreint (trop restreint...) de l’urgence, une sorte de mail rouge équivalent au téléphone du même nom.

Contrairement au numéro de portable, jamais resté secret plus de 24 h, ce mail ne fut jamais ébruité, et, resté en sommeil, est évidemment réactivable à tout moment.

Gérer le flot de mails reçus avait été prévu, une liste d’adresses thématiques (culture, santé...) fut créée, dont chacune devait renvoyer sur un responsable de commission ou un élu ou une personne désignée comme apte à le faire. En attendant que les Verts mettent en place une campagne - ce qui évidemment ne se fit jamais, puisque certaines des personnes engagées dans ladite campagne s’activèrent même pour la couler - je récupérais, aussi, tous les e-mails. Il fallait faire le tri entre l’urgent, le très urgent et le primordial. En particulier les journalistes.

Le premier article uniquement consacré à la cybercampagne fut publié le 15 août 2001, preuve du peu d’intérêt, du moins à l’époque, pour le sujet. Cet article du Parisien relevait la meilleure rapidité de réponse : la cybercampagne Lipietz.

2.3. La visibilité

Début septembre 2001, je reçus une très jolie bannière “ publicitaire ” faite spontanément par le webmaster du site Vert de Noisy-le-Grand, immédiatement proposée à la diffusion, que de très nombreux webmasters de sites amis (Verts ou pas) utilisèrent.

Les journaux s’intéressèrent peu à l’utilisation du web politique, du moins dans leurs colonnes, car on retrouvait (et on retrouve toujours) de nombreuses informations tirées du site, mais non sourcées, ou, pire, extraites de discussions au débotté sur les listes, ce qui ressemble fâcheusement à relater une conversation écoutée derrière une porte.

La « netiquette », la « déontologie », et même le droit, interdisent de fait d’utiliser ce genre d’informations. La simple honnêteté devrait obliger quiconque ayant l’intention de rendre publique une information glanée par espionnage d’en demander l’autorisation à l’émetteur. Demander l’autorisation de diffusion, par mail, est une technique extrêmement facile et rapide. Ne pas le faire montre le manque de conscience professionnelle de nombreux journalistes politiques osant parfois invoquer l’urgence !

Notons toutefois deux exceptions : le mensuel Futur(e)s qui, en octobre 2001 se demanda ce qu’il y avait dans l’ordinateur de Lipietz, et le magazine Influx qui, dans son numéro d’hiver 2001, fit un portrait de la webmaîtresse.

Toutefois, le plus extraordinaire du point de vue de la visibilité, fut le référencement de lipietz2002.net et ce malgré, par exemple, le refus de Lycos, le 24 avril 2001, d’intégrer l’URL : “ Nous gardons votre site sous la main pour notre future catégorie Présidentielles 2002 ” !

Le 30 novembre 2001, Transfert notait encore que “ l’ex-candidat détrôné, Alain Lipietz, est toujours très présent sur le réseau ”, et le 14 décembre, soit deux mois après la fin de la cybercampagne, Troover, qui effectuait un audit mensuel sur le référencement des candidats à la présidentielle [18], commentait “ Le site de l’ancien candidat des Verts, Alain Lipietz est le mieux référencé sur l’ensemble des outils de recherche et des expressions-clés avec un taux d’apparition de plus de 95% ” - alors que la seconde position ne présentait qu’un taux d’apparition de 24 % - et le site apparaissant dans 8 outils de référencement sur neuf testés. Toutes les expressions choisies pour l’audit permettent le détachement du site lipietz2002.net. Que ce soit : les présidentielles, élections présidentielles, candidat aux présidentielles ou campagne présidentielle, à chaque fois c’était le site de Alain Lipietz qui était mis en avant.

Les secrets ne seront pas livrés ici, notons toutefois que l’avance prise par un référencement précoce fut décisive.

À tel point que le 11 février 2002 France 3 me contactait, à l’e-mail 2002-owner@lipietz2002.net, autrement dit en tant que responsable de la liste lipietz2002 : “ Dans un souci d’efficacité, nous souhaiterions recevoir l’organigramme de votre campagne (avec les coordonnées de chacun) ainsi qu’une affiche. ” !

Cliquer sur la vignette pour visualiser en taille réelle

Troover.com, décembre 2001
Référencement global des sites officiels des présidentiables.
Troover.com, décembre 2001
Référencement et pertinence des mots clés.
Troover.com, décembre 2001
Référencement des présidentiables sur les outils de recherche.

 3. Comment survivre dans la jungle politique avec pour seul outil Internet

3.1. La jungle politique

Alain Lipietz a décrit, par ailleurs [19], les conditions générales de cette campagne. La “ directrice de cybercampagne ” [20] et webmaîtresse, s’est non seulement retrouvée seule pour tout assumer, mais confrontée à des blocages. Citons pour exemple l’absence d’attachée de presse de la campagne, celle des Verts, Frédérique Tarride, étant supposée effectuer ce travail, mais refusant absolument de me contacter ou de me répondre, oubliant de gérer les rendez-vous, ou pire, descendant en flamme Lipietz auprès des journalistes, qui revenaient vers moi interloqués, me demandant, et se demandant, s’ils avaient bien compris...

Le moindre de ces coups de boutoir mesquins effectués avec délicatesse ne fut pas le refus, en premier lieu, de paiement de la connexion rapide dont j’avais dû m’équiper - travaillant de chez moi... -, ainsi que la signature de contrat d’embauche - évidemment déguisée sous les oripeaux des “ problèmes administratifs ” - refus orchestré par le directeur de campagne, ancien directeur de cabinet de la ministre Voynet et encore directeur de cabinet du ministre Cochet ; et Yann Helary, ancien chef de cabinet de la même, et responsable administratif de la campagne, tous deux suivis par les responsables de l’association de financement de la campagne, tous contre Lipietz, ce dont il était difficile de nous apercevoir à l’époque, tant nous devions avoir le nez dans le guidon.

Pendant ce temps-là, l’épouse du directeur de campagne était embauchée, avec salaire hors grille, depuis plusieurs mois en vue de la campagne...

3.2. L’outil internet

L’observation et l’analyse rétrospectives ne laissent aucun doute : c’est Internet qui a permis les 0,8 % d’avance au second tour de l’élection interne, c’est encore Internet qui a permis une mobilisation de tous les pro-Lipietz et les anti-putsch à partir du mois d’août, c’est encore Internet qui a permis que le découragement ne prenne pas le dessus, que le fiel répandu par quelques-uns dans les médias ne soit considéré que comme tel - grâce aux messages de soutien de militants, de sympathisants et même d’inconnus - amenant non pas à une démission par écœurement comme le prévoyait la courageuse meute opérant dans les coulisses des médias, mais à une remise en question publique, par vote en octobre.

Une preuve supplémentaire du rôle primordial, donc inquiétant, de la cybercampagne fut le refus, lors des journées d’été des Verts fin août 2001, de me donner un créneau horaire pour expliquer le fonctionnement de Spip, afin que le maximum de militants puissent participer à cette campagne. Des tracts (fabriqués sans aucune aide d’aucune sorte) expliquant le fonctionnement du site disparurent moinsde 15 mn après avoir été déposés : “la démocratieparticipative”étaitàl’évidenceundangerpour ceux qui géraient le parti... Ce qui n’a jamais empêché la récupération de cette notion, uniquement dans les discours et les programmes, sans jamais qu’on n’en voie une quelconque application, ni dans la campagne de Mamère, ni chez les Verts.

3.3. Survivre

C’est, enfin, Internet qui a permis de recevoir de très nombreux messages de soutien et d’encouragement, longtemps après 2001. Un autre site, issu de milieux internet qui soutenaient le candidat de l’extérieur des Verts, Résistance Verte, vit même le jour pour contrer le putsch rampant...

Il faut toutefois se méfier de la différence de perception entre ce qui se passe sur Internet - mail et web - et la vie réelle.

Dans le premier cas une certaine distance, une certaine spontanéité, un certain humour sont courants. Les non-pratiquants peuvent le ressentir comme de l’arrogance, de la prétention, du ridicule. C’est ainsi que France Soir fit un article [21] visant à ridiculiser Alain Lipietz et/ou son site, l’illustrant de la devenue fameuse animation [22] datant de l’insouciante époque où nous pensions qu’un peu d’humour dans un site rébarbatif de chercheur ne pouvait qu’appeler le sourire. Le concours ouvert à l’époque « Comment interprétez-vous cette image ? », qui faisait suite à de nombreuses propositions, fut donc rapidement clos en septembre 2001. Pour France-Soir pas un mot du projet politique de l’élu.

 En guise d’épitaphe

Cette cybercampagne fut exceptionnelle, non pas par sa fugacité, mais par son efficacité, plus encore si on la rapporte aux moyens mis en œuvre.

Efficacité d’Internet,
- avec le site web comme moyen de visibilité, de perception des idées, de connaissance des lieux et dates de rencontre, d’information brute, de diffusion de ses vérités sans filtre,
- avec les listes comme moyen d’échange, de rectifications, de nouveautés, de profit des expériences,
- avec les e-mails comme communication laissant toute liberté de ses horaires.

Le site web peut devenir la vitrine, l’image d’un parti, le moyen de communication le moins cher, le plus rapide à mettre à jour, sans intermédiaire.

Cybercampagne réussie, de mi-juillet à mi-octobre 2001, 17 000 personnes ont consulté le site lipietz2002.net.

Des dizaines de militants ont fait connaître l’existence du site, se sont ressourcés sur le site (y compris pour des informations purement techniques relevant du parti), d’autres se sont proposés pour intégrer les informations générales à venir, en provenance des commissions, des dirigeants, des responsables, informations que ces derniers n’ont jamais daigné fournir ; une véritable dynamique de travail s’est mise en place en quelques semaines seulement malgré les conditions de blocage total que l’on a connues.

Qu’en ont tiré les Verts ? La campagne de Noël Mamère présenta, à grands frais, un site dont j’éviterai de répercuter les critiques. De toutes façons, “ Internet n’a pas d’importance pour lui ” car “ il a un accès très facile à la TV et aux médias en général ” [23]. Les militants ont si peu d’importance...

Ce qui était peu ou prou l’avis du directeur de campagne d’Alain Lipietz, quand vint l’invitation aux Entretiens scientifiques de Brest en octobre 2001 sur le thème : “ Internet, la substantifique toile : science en jeu et jeu de pouvoirs ? ” et qu’il se demanda, en substance “ pourquoi un candidat irait-il dans un truc lié à Internet ”.

Pour les législatives, les militants durent se débrouiller entre eux, dans une liste hébergée chez un fournisseur gratuit, s’aidant jusqu’à épuisement, autant qu’ils le pouvaient autour de questions aussi peu prévisibles que “ peut-on mettre un logo sur la profession de foi ”. Le site des Verts était impraticable, aucune section prévue pour aider le travail local des militants, et j’en passe et de bien pires.

Deux ans plus tard il n’y avait toujours aucune liste interne installée, aucun système de reconnaissance (liée à un nom de domaine sans ambiguïté par exemple) pour savoir qui crée une liste ou une autre, aucun contrôle de qui est sur les listes. Ce qui a donné lieu à un étonnant mini-scandale lorsqu’un “ courant ” s’est aperçu qu’un individu d’un autre “ courant ” discutait sur la liste ! Que dire, alors, des discussions internes et instantanées des mêmes listes que l’on retrouve sans aucun recul dans les médias... quand ceux-ci se lancent dans des grandes analyses à partir d’extraits retransmis par les uns et les autres [24] ?

Deux ans plus tard, le site des Verts était tout juste mis sous Spip ; l’aspect n’y est toujours pas homogène [25], on n’y trouve toujours rien et... toujours aucune newsletter : ce n’est pas le logiciel qui fait l’esprit logique. Ni l’esprit militant la communication. Comble : de très nombreux sites Verts locaux sont autrement plus efficaces que le national ! Les compétences existent, c’est un talent de les reconnaître et les utiliser.

C’est ainsi que la webmaîtresse continue de recevoir tout naturellement des demandes sur “ ce qui se passe chez les Verts ”. Demandes auxquelles je me garderais bien de répondre, n’étant et n’ayant jamais été ni employée des Verts, ni adhérente aux Verts.

La suite ? Tout naturellement chez lipietz2004.net [26], site du candidat tête de liste en Île-de-France pour les élections européennes bien sûr !




Sur le Web : Archives de la campagne Européennes 2004 (Alain Lipietz, tête de liste, fut réélu)
________
NOTES


[1Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées, Alain Lipietz était alors directeur de recherche au CNRS.

[2Aujourd’hui, le site http://lipietz.net réunit les deux pôles, Alain Lipietz n’étant plus rémunéré comme chercheur.

[3Probablement gagné d’avance, allez trouver un Lipietz qui ne soit pas de la famille !

[4Seul parti dont le candidat fut désigné directement par les adhérents, première fois chez les Verts.

[5nom depuis récupéré par des cybersquatters pour être redirigé vers la Nouvelle-Zélande...

[6Site archivé à l’adresse http://lipietz.net/2002Primaire/.

[7Orthographe selon Lipietz, que nous abandonnerons ensuite, parce que je pense qu’un trait d’humour suffit, je garderai donc le terme que j’avais créé : webmaîtresse.

[8Son attaché parlementaire, et conseiller, Patrick Farbiaz, a commis, entre autres, le livre : “ Comment manipuler les médias ”.

[9Le Parisien, 21 juin 2001.

[10France 3, 20 juin 2001.

[11Logiciel libre, système de publication sur Internet, http://spip.net/

[12Le site est archivé à l’adresse http://lipietz2002presidentielles.o....

[13René Dumont est mort le 18 juin 2001 à l’âge de 97 ans.

[14Le Monde, 21 juin 2001.

[15Titre du Parisien, 21 juin 2001.

[16Le Monde, op. cit.

[17Le Figaro, 21 juin 2001.

[18Troover.com : “ L’indice UPI a été adapté au cadre des candidatures à la présidentielle de 2002. Une étude des occurrences des noms des candidats sur les forums et dans les articles on-line, couplée à un audit des référencements des sites et des thèmes de campagne, évaluent la maîtrise de l’Internet par les candidats, ainsi que la disparité dans les stratégies d’investissement du cyberespace et dans les bénéfices tirés de ce nouveau support de communication. ”

[19Alain Lipietz, Refonder l’espérance, leçons de la majorité plurielle, La Découverte, avril 2003.

[20Terme refusé par Jean-François Collin, l’imposé directeur de campagne énarque ex-trotskiste lambertiste, et totalement imperméable à toute notion d’humour, qui ne supportait pas le partage du terme de “ directeur ”.

[21France-Soir, 29 août 2001, « Sur la toile, Alain Lipietz a une araignée au plafond ».

[22Toujours visible.

[23Selon un (proche) militant cité par Transfert, 17 octobre 2001.

[24Une mention particulière à Alain Auffray qui, dans un article, au ton légèrement méprisant, de Libération du 12 avril 2003, parlant de ce qui se dit sur les listes (donc privées) de discussion des Verts, trouve moyen de citer Francine Bavay en l’orthographiant Bavet !

[25Le plan apparaît sous le squelette de base de Spip.

[26Ajout de juin 2004 : Ce site est maintenant archivé, mais toujours accessible, en ligne.

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