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par Alain Lipietz | 25 octobre 2003

Misère du présent, richesses du futur
Les voies ecologistes de la transformation sociale
Séminaire à l’initiative d’EcoRev’, revue critique d’écologie politique.
Néolibéralisme globalisé et germes d’alternatives.

Le fordisme se caractérisait par : « taylorisation » du processus de production (division conception/fabrication) et « rigidité du contrat salarial et des règles de partage de la VA », le tout dans un cadre national. La crise du fordisme est à la fois une crise du taylorisme comme forme de systématisation du savoir faire social et crise de la régulation nationale.

La crise des relations de production fordistes pouvait évoluer vers deux solutions exclusives l’une de l’autre : « restituer » au travail l’activité de conception (mais cette solution par l’implication des salariés aurait dû être négociée) ou la « flexibilisation du contrat salarial » qui impliquait d’externaliser à outrance l’activité de conception.

Même si la solution de l’implication négociée n ?a pas dit son dernier mot, la mondialisation de la production et des échanges en l’absence d’une mondialisation des outils de régulation politique démocratiques (pas même à l’échelon du continent européen), en désarmant la régulation politique, a favorisé outrageusement la solution de la flexibilisation. Même le Japon et aujourd’hui le « modèle rhénan » ont du mal à tenir face à la concurrence de la solution la plus simple, la flexibilisation. Il est donc juste de dire que pour le moment la globalisation a été le vecteur du néolibéralisme.

Cette tendance générale se traduit par
- Formation d ?un régime d’accumulation concurrentiel à l ?échelle mondial, unifié et régulé par un capitalisme financier « court-termiste », avec forte cyclicité (les « bulles ») et division internationale du travail selon la ligne conception/fabrication, ou (plus rarement) implication négociée/taylorisme.
- Délocalisation et immigration pour occuper les segments peu qualifiés
- Reprolétarisation des ouvriers au centre comme à la périphérie de ces économies monde.
- Développement d’une sphère de production de connaissance devenue sphère d ?activité capitaliste autonome , avec appropriation marchande de ses produits (brevets) dans les « centres d ?économie monde tayloriennes
- Naissance de nouveaux centres intermédiaires par « up-grading »
- Formation d’une immense armée de réserve paysanne entrant éventuellement dans le capitalisme par une taylorisation sanguinaire, mais le plus souvent totalement marginalisée.

Cependant la dynamique même des transformations de la production et de la demande s’oppose sur de très nombreuses branches à cette perpétuation aggravée du taylorisme. Les solutions à implication demeurent objectivement plus productives et résistent (d’où le déficit commercial abyssal des États Unis dû à leur très faible compétitivité). On assiste à une forte résistance à la marchandisation-brevetage de produits de la recherche et de l’innovation et, symétriquement, aux tentatives capitalistes d’imposer l’implication sans la négocier (gestion par objectif qui devient gestion par le stress). Cette contradiction ouvre un double champ de luttes pour la réappropriation collective de la connaissance et de la compétence : lutte pour la gratuité des produits intellectuels, possibilité de renégocier l ?implication au travail contre l’accès réel au temps libre.

Parallèlement, mais de façon relativement indépendante, se développent deux autres facteurs de crise : les crises écologiques d’abondance, locales et globales, et la crise de la famille et de la communauté. Ces crises auraient eu lieu même avec le régime fordiste, qui les a préparées (fordimse et néolibéralisme sont deux productivisme). Mais le néo-libéralisme globalisé supprime le moyen traditionnel de réguler les crises : l’État national. C’est pourquoi les écologistes sont fédéralistes.

La crise écologique d’abondance se manifeste par le fait qu’au lieu que le progrès, en artificialisant la nature, réduit les risques pour le genre humain, il les accroît. Ces risques ne pèsent plus sur « les générations futures » : nous y sommes. Cet été, ils ont frappé nos parents (15000 morts), ils nous frapperont à l’intérieur même de l’horizon économique. Il en résulte une crise ouverte de l’Assurance, aussi grave que la crise du Crédit dans les années Trente, et qui ne trouvera qu’une solution équivalente : l’État (transnational) comme assureur et donc comme contrôleur en dernière instance.

Contrôler la crise écologique, « redomestiquer le progrès » de façon à nous faire « plus légers » (diminuer notre « charge » sur l’écosystème, ce que certains appellent « décroissance soutenable »), cela suppose également une régulation politique de dimension mondiale. Pour autant qu ?elle implique des « prix politiques », elle s’analyse comme une croissance de la « rente foncière » qui n ?est que la monétisation d ?un droit d’accès à l’environnement. La définition du « propriétaire foncier » correspondant (privé ? États ? ONU ?) est un des enjeux du XXIè siècle.

Simultanément, la crise de la communauté et de son noyau antérieur, la famille, laisse les individus dans un isolement réellement et psychologiquement terrifiant (c’est l’autre facteurs de la « crise de la canicule », mais aussi de la montée des populismes de droite). Là encore la réponse par la marchandisation capitaliste se heurte à la crise de pouvoir d’achat social (échec retentissant de Vivendi à organiser les « services domestiques en réseau »). La réponse des socialistes utopistes (« l’amitié », chez Fourrier) trouve son utopie concrète dans le tiers secteur, qui suppose une mutation de la notion de service public.



À noter :

On trouvera un développement partiel de ce schéma dans :
A. Lipietz, "The Fortunes and Misfortunes of Post-Fordism",in Robert Albritton, Makoto Itoh, Richard Westra, Alan Zuege, eds. Phases Of Capitalist Development : Booms, Crises And Globalization, Palgrave, Basingstoke (UK) & New-York, 2001.

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