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En un an, de 2001 à 2002, le nombre d’« actes racistes » a été multiplié par plus de quatre, et celui des « actes antisémites » par six - ces derniers en représentent désormais 62 % du total. Quant aux « menaces racistes », elles ont presque triplé, les menaces antisémites quadruplant (elles forment 73 % du total).

(art. 1003).


par Dominique Vidal | 4 avril 2003

Sur fond de guerre en irak
Violences antisémites
Le Monde diplomatique
En un an, de 2001 à 2002, le nombre d’« actes racistes » a été multiplié par plus de quatre, et celui des « actes antisémites » par six - ces derniers en représentent désormais 62 % du total. Quant aux « menaces racistes », elles ont presque triplé, les menaces antisémites quadruplant (elles forment 73 % du total) [1].

Telles sont les principales informations du rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), rendu public le 28 mars 2003. Ces chiffres, précisons-le, sont fondés sur les statistiques des Renseignements généraux du ministère de l’Intérieur.

La France est-elle emportée par une fièvre antisémite ? « Les violences, répond le rapport, ne semblent pas révéler un comportement de rejet dont seraient victimes les membres de la communauté juive dans l’ensemble de la société française. » De fait, comme les précédentes, l’enquête réalisée par BVA pour la commission reflète au contraire un rejet massif de l’antisémitisme. Trois exemples : 89 % des Français [2] considèrent que « les Français juifs sont des Français "comme les autres" » ; 87 % approuvent le principe de la restitution des biens juifs confisqués pendant la guerre ; et, interrogés sur le point de savoir si « l’on parlerait "trop" de l’extermination des juifs par les nazis », 17 % répondent « oui », mais 80 % « comme il faut », voire « pas assez ».

De ces réponses et d’autres, la chercheuse Nonna Mayer conclut qu’« entre 1988 et 2002, le noyau dur des antisémites convaincus (...) est resté remarquablement stable, aux alentours de 10 % ». Toutefois, analysant l’évolution des réponses, la chercheuse note, jusqu’en 2000, une certaine « libération de la parole » antisémite, « comme si la situation explosive au Proche-Orient et la réprobation suscitée par la politique d’Israël dans les territoires rejaillissaient négativement sur l’image de tous les Juifs ». Mais, conclut-elle, entre 2000 et 2002 (dès avant la présidentielle), cette tendance s’inverse, « comme si les violences répétées contre la communauté juive, loin d’attiser ou de banaliser l’antisémitisme, avaient fait prendre conscience du danger qu’il représente ».

La violence antisémite serait-elle le fait de l’extrême droite ? Selon le ministère de l’intérieur, autant cette dernière se manifestait, dans les années 1980, par « une idéologie antisémite virulente se concrétisant par une implication notable dans les actions visant la communauté juive », autant « ce thème tend, depuis quelques mois, à être abandonné au profit de la lutte contre l’immigration et le capitalisme, induisant, en fait, une diminution graduelle de l’implication de l’extrême droite dans les actions anti-juifs ». Les statistiques recensent certes des actions ou des menaces attribuées à l’extrême droite, mais très minoritaires.

S’agirait-il alors d’une poussée antisémite propre aux musulmans, aux Maghrébins ou aux Arabes ? Le Livre blanc de l’Union des étudiants juifs, publié début 2002, soulignait lui-même que les jeunes Maghrébins rejettent l’antisémitisme dans les mêmes proportions que les autres jeunes Français. Certes, le ministère de l’intérieur observe que les pires flambées de violence se sont produites à la fin de l’année 2000, après l’éclatement de la seconde Intifada, et au printemps 2002, lors de l’opération Rempart de l’armée israélienne contre les territoires autonomes. Il estime que l’escalade au Proche-Orient « a conduit nombre de jeunes à afficher une identification avec les combattants palestiniens, censés symboliser les exclusions dont eux-mêmes s’estiment victimes dans la société occidentale ». Mais il circonscrit beaucoup plus précisément le milieu dont proviennent les « auteurs des exactions recensées » : « Adolescents ou jeunes adultes, (ils) sont, en grande partie, issus de quartiers sensibles où demeurent leurs parents, bien souvent immigrés d’Afrique du Nord. »

Leur parcours, poursuit le ministère, « révèle aussi leur marginalité sociale : plusieurs d’entre eux sont déjà connus pour des faits de droit commun (...) et leurs "interventions" dans des écoles ou des crèches de la communauté israélite s’accompagnent souvent de cambriolages. Les modes opératoires sont en outre très souvent comparables à ceux utilisés dans les violences urbaines "classiques" ». Le rédacteur note ensuite que ces attaques ont « suscité de vives condamnations de la part des responsables des communautés musulmanes de France, si l’on excepte une minorité de radicaux islamistes dont le message - précise-t-il - demeure cependant peu audible pour des délinquants fréquemment imperméables aux idéologies et qui prennent habilement prétexte de la situation proche-orientale pour donner libre cours à leur violence ». Or, conclut sur ce point le ministère de l’intérieur, « les diverses exactions constatées impliquent très fréquemment des acteurs originaires des quartiers dits "sensibles", souvent délinquants de droit commun par ailleurs, qui essaient d’exploiter le conflit du Proche-Orient. »

Nous voici donc aux antipodes de la thèse d’Alain Finkielkraut, qui n’avait pas hésité à parler d’« Année de cristal [3] », mais aussi de celle, chère à Pierre-André Taguieff, d’une « nouvelle judéophobie » portée par les militants islamistes, altermondialistes, tiers-mondistes et antisionistes. Le principal terreau de cette violence, ce sont bien les ghettos de chômage, de misère où végète, sans le moindre espoir d’avenir, une partie de la jeunesse populaire, en premier lieu des jeunes issus de l’immigration.

Les auteurs d’attaques contre les personnes, les lieux de culte et les établissements d’enseignement juifs - comme musulmans - doivent évidemment être retrouvés, jugés et condamnés : c’est l’affaire de la police et de la justice [4]. Le mouvement social ne saurait cependant leur déléguer ses propres responsabilités. Il est temps d’en finir avec l’abandon de ces quartiers et de ces cités. Par l’Etat, qui les laisse littéralement pourrir. Mais aussi par les forces de gauche, les syndicats, les associations... Ne pas aider ces jeunes, en premier lieu arabes et musulmans, à trouver leur place, avec leur personnalité, dans notre société, c’est aussi mettre cette dernière en danger. D’où la nécessité d’un dialogue confiant, constructif et sans concession.

De ce point de vue, le rapport de la CNCDH est également riche d’enseignements pour la grande mobilisation en cours contre la guerre d’Irak et en faveur d’une paix juste au Proche-Orient : c’est un appel à la vigilance à l’égard des dégénérescences racistes et notamment antisémites. L’ignoble agression de jeunes porteurs de kippa, en marge de la manifestation du 22 mars, représente un signal d’alarme. Si les propagandistes du général Ariel Sharon parvenaient à identifier le mouvement pacifiste aux sentiments et aux violences racistes, ils lui porteraient un coup sans doute fatal. C’est d’ailleurs pourquoi il est plus que jamais impératif d’écarter fermement tout mot d’ordre, toute forme d’action risquant de les alimenter.

Loin de semer la division et la haine, la mobilisation contre la guerre d’agression en Irak et contre l’offensive israélienne en Palestine entend rassembler tous les partisans d’une paix véritable, sur la base de principes universels et humanistes, au-delà de leurs différences d’origine, d’opinion et de religion...



À noter :

Cet article est publié avec l’aimable autorisation de l’auteur et du Monde diplomatique, sur le site duquel il peut être lu.
Vous pouvez aussi consulter, du même auteur :
- Juifs de France en quête d’identité,
- Au nom du combat contre l’antisémitisme.
Ainsi que le dernier livre de Dominique Vidal Le Mal-être juif.
________
NOTES


[1Le nombre d’actes racistes est passé de 71 en 2001 à 313 en 2002, le nombre d’actes antisémites de 32 à 193 ; le nombre d’intimidations racistes de 350 à 992, le nombre d’intimidations antisémites de 184 à 731, Commission nationale consultative des droits de l’homme, 2002 : la lutte contre le racisme et la xénophobie, Rapport d’activité, La Documentation française, Paris, 2003, 617 pages, 23 euros.
.

[2En 1946, ils étaient... un peu plus d’un tiers.

[3La « Nuit de cristal », organisée par le parti nazi le 9 novembre 1938, s’est soldée par l’assassinat de 91 Juifs, l’incendie de 191 synagogues, la mise à sac de 7 500 boutiques et la déportation de 20 000 Juifs.

[4Police et justice devraient aussi s’intéresser plus activement aux violences des activistes du Betar et de la Ligue de défense juive, dont les exactions semblent bénéficier d’une étonnante tolérance : même le voyou qui avait poignardé un commissaire de police, à la fin de la manifestation du 7 avril 2002, n’a écopé que de 4 mois de prison dont 2 avec sursis...

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