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[2003a] Refonder l’espérance. Leçons de la majorité plurielle, avant-propos, La Découverte, Paris, avril 2003.

(art. 1000).


par Alain Lipietz | avril 2003

Avant-propos
Refonder l’espérance. Leçons de la majorité plurielle
Une gauche assommée, muette, une droite arrogante qui démantèle le droit social et nous ramène aux noires premières années 1990, avec leurs plans de licenciement quotidiens, avec la police omniprésente et ses bavures ; avec une Amérique triomphante qui se croit libre de faire ce qu’elle veut, une Europe divisée, paralysée...

N’y a-t-il pas quelque ironie à prétendre « refonder l’espérance » ? Quand ce que nous avons tenté a échoué, si sèchement récusé par le vote du 21 avril 2002 ? Depuis cette nuit terrible, les uns maugréent : « De toute façon, avec la social-démocratie, l’Europe, la mondialisation, rien n’est possible. » Les autres rétorquent : « Tout ce qui était possible a été fait ; le 21 avril nous étions là, si vous avez préféré Juppé-Sarkozy-Raffarin, tant pis pour vous. » Ce double discours, en miroir, constitue depuis un an la nouvelle figure de l’idéologie du désespoir. Rien n’est possible (ou alors il faut tout changer), quelque chose était possible (mais vous n’en avez pas voulu).

Eh bien si. La majorité plurielle, de 1997 à 2002, a fait bouger les choses, en bien, parfois en très bien. Mais elle a fait aussi de graves fautes, par action ou par omission, et ces fautes lui ont coûté la victoire. Ces fautes ne sont pas anodines. Elles expriment avec précision les deux démons qui taraudent la gauche française depuis un quart de siècle : la fixation sur un modèle nationaliste, productiviste, autoritaire de progrès, ou la résignation au traitement compassionnel d’une mondialisation libérale perçue comme inéluctable.

Nous allons dans ce livre analyser l’histoire d’un échec, celui d’une troisième gauche, l’écologie politique, dans sa tentative de rénover les idées de progrès et de les appliquer à l’échelle de la France : l’expérience de la majorité plurielle de 1997 à 2002. Mais auparavant, il faut affirmer avec force que nous n’avons pas tout perdu, que nous avons accompli de grandes choses, que nous avons appris beaucoup. Ruminer l’échec sans mesurer ce que nous avons gagné, c’est admettre que la tentative était vouée à l’échec. Que la volonté politique ne peut pas changer le cours des choses (« L’Histoire n’est qu’une ombre en marche, pleine de bruit et de fureur, ne signifiant rien », selon la vision shakespearienne). Ou bien que, le capitalisme étant intrinsèquement pervers, il est inutile, voire contre-productif de prétendre le réformer. Ou bien encore qu’il est impossible d’utiliser le pouvoir d’État pour transformer la société. Ou qu’il est impossible, pour ce faire, de s’allier avec les partis réformistes de la vieille gauche. Ou peut-être encore que, le capitalisme étant à ce point mondialisé, il est impossible de prétendre le changer « localement », à l’échelle de la France. Bref, si la majorité plurielle était d’emblée vouée à l’échec, nous n’aurions rien appris que nous ne sachions déjà, et nous ne sommes pas plus avancés.

Telle n’est pas mon analyse. Qu’on n’attende pas de ce livre la délectation morose du « Je vous l’avais bien dit ». Au contraire. Nous avons gagné beaucoup, nous avons savouré les progrès réalisés, nous avons repéré les déraillements, au moment même où ils se produisaient, ou parfois avec retard, et donc nous pourrons un jour, tirant le bilan de nos insuccès, repartir pour de nouveaux assauts. Et quand je dis « nous », je ne parle pas seulement des écologistes. Je parle de toutes les femmes et de tous les hommes qui ont cru qu’il était possible de transformer la société par la démocratie, qui ont réappris à espérer dans la politique.

Certains liront ce livre en pensant m’y voir « régler mes comptes », d’autres s’agaceront de l’importance donnée à mon insignifiante aventure dans ce désastre collectif. Je voudrais donc préciser d’emblée que, dans l’analyse d’une expérience passée, il convient de se garder soi-même de l’illusion rétrospective. Il est facile de dire après coup : « Je l’avais bien dit. » On ne fait œuvre utile pour le futur qu’en revenant sur ce qu’on avait vraiment dit, pour le comparer à ce qui s’est vraiment passé. On peut alors mesurer la pertinence de l’analyse et donc des outils ayant servi à l’élaborer. C’est par-là seulement qu’une méthode historique (je n’ose pas dire une théorie) acquiert le statut des sciences expérimentales : une hypothèse préalablement énoncée peut être « réfutée » par l’expérience, et dans ce cas corrigée.

J’ai écrit ce livre en « ruminant » les textes où, au fil de ces cinq années, je me suis réjoui ou désolé de la politique du gouvernement auquel participait mon parti, Les Verts. Je me suis souvent trompé (et je peux à présent rectifier ces erreurs de diagnostic), parfois j’avais vu juste (ce qui étaye la validité des hypothèses sur lesquelles je m’appuyais). J’ai cru honnête de renvoyer en note à ces textes qu’en fait je critique ou dont je reprends la rédaction, et que l’on peut consulter sur mon site. On pourra y approfondir certains thèmes, ou simplement y mesurer ma naïveté [1]...

À un an de distance, de la somme de nos erreurs surgit, avec une évidence aveuglante, ce qui a causé notre chute, et donc ce qu’il aurait fallu faire. Oui, on pouvait faire beaucoup mieux : un programme pour demain se dessine. Un autre monde était possible : il le reste. Nos échecs eux-mêmes nous auront appris ceci : refonder l’espérance.

Dans un premier chapitre, je rappellerai ce que nous avons gagné, car encore une fois l’espérance se nourrit aussi des succès réels. Puis le livre se divise grossièrement en deux, autour du chapitre 6 qui traite de l’année charnière, l’an 2000. Les grands thèmes sont entièrement développés dans la partie de législature où ils ont occupé l’actualité, et non pas selon une chronologie d’ensemble. Le chapitre 2 est consacré aux sans papiers, les chapitres 3 et 4 à la loi des 35 heures, le chapitre 5 à la campagne des élections européennes (et à la guerre au Kosovo), le chapitre 7 à la réforme de la fiscalité et aux services publics, le 8 au tiers secteur, le 9 aux difficultés de l’écologie gouvernementale, le 10 à la riposte face à la mondialisation libérale et donc, à nouveau, à l’Europe. Le chapitre 11 est consacré à la chronique du désastre annoncé : les élections de 2002 et ma petite aventure présidentielle.

Je remercie pour leur aide précieuse, au long de cette expérience, mes assistantes et assistants au Parlement européen, Julie Mazercjak, Blaise Desbordes, Agnès Sinaï, Jean-Marc Brulé, Lauréline de Bie, Frédérique Tarride et, surtout, dans la dernière période et pour la rédaction de ce livre, Karen Bentolila et Alexandra Debaisieux, ainsi que Perline, qui réalise mon site Web depuis six ans, dont les conseils et encouragements m’ont aidé à franchir bien des caps. Au-delà de leur engagement et de leur compétence, leur amitié (vertu politique sur laquelle je reviendrai plusieurs fois) fut de leur part le don le plus précieux.

Mais par-dessus tout je remercie ma compagne, Francine Comte, qui a partagé mes combats et mes espoirs depuis trente ans et qui a pris plus que sa part dans nos déceptions. À elle, à toutes et à tous ceux qui ne se sont jamais résignés, à notre ami, Gérard Ignasse, « père du PACS », décédé récemment, je dédie ce livre.



À noter :

Lire aussi :
- la table des matières,
- la quatrième de couverture,
- la conclusion.
________
NOTES


[1Tous ces textes, et d’autres que j’y ai placés pour la commodité du lecteur, sont consultables sur le site <http://lipietz.net> . L’accès aux textes de ce site sous SPIP est une adresse de la forme : <http://lipietz.net/article.php3?id_...> , XXX étant le numéro du texte. Il suffit donc, une fois sur le site, de cliquer sur un lien quelconque et de remplacer, dans l’adresse, XXX par le numéro d’article donné en référence dans mes notes. Les seules exceptions concernent notamment les archives du site de ma campagne présidentielle, construit à part pour des raisons légales et hébergé par la coopérative Ouvaton.

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