L’Otan et le TCE

11 mai 2005 par Alain Lipietz

Un des arguments qu’on trouve sporadiquement sur le web contre le TCE c’est qu’il « assujettit définitivement l’Europe à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ». C’est exactement le contraire !

L’article I-41 du Traité établissant une Constitution pour l’Europe résume le "troisième pilier" de l’Union, sa politique étrangère et de sécurité commune. Il se substitue à l’article 17 de l’actuel Traité établissant l’Union européenne, traité qui subsistera si la France vote Non.

Le TCE établit en réalité une nouvelle alliance, entre les 25 pays de l’union :

41-7 Au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la charte des Nations unies.

La question qui se pose est évidemment : quel sera le rapport entre cette nouvelle alliance et l’alliance existant actuellement entre la plupart des pays européens (à l’exception de quelques États neutres : Suède, Finlande, Irlande, Autriche, Malte) et les pays nord-américains dans le cadre de l’Otan.

Concernant les pays individuellement membres de l’Otan, l’article 41 se contente de reprendre la position du traité de l’Union, telle qu’elle avait été modifiée à Nice pour prendre en compte la multiplication des pays neutres : la participation de chaque pays, séparément, à l’Otan, est facultative, et en même temps elle est compatible avec sa participation au pacte de défense commune que constitue l’Union. Bref, ceux qui veulent être membre de l’Otan en ont le droit :

41-2. La politique de l’Union au sens du présent article n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre.

Mais la vraie question est celle du système de défense européen en tant que tel et non pas des politique des différents États pris un par un. Qu’en est-il de la future armée européenne et des embryons de cette armée qui existe déjà ?

Sur ce point, le Traité de l’Union européenne issu de Nice (celui qu’on garde en votant Non) est parfaitement clair :

17-4 : Le présent alinéa ne fait pas obstacle au développement d’une coopération plus étroite entre deux ou plusieurs états membres au niveau bilatéral, dans le cadre de l’union de l’Europe occidentale (UEO) et de l’Otan, dans la mesure où cette coopération ne contrevient pas à celle qui est prévue au présent titre ni ne l’entrave

Autrement dit, sous Nice, la défense européenne en tant que telle est intégralement dans l’Otan, même si certains pays peuvent ne pas faire partie de l’Otan.

Qu’en est-il maintenant dans le TCE (ce qu’on adopterait en votant Oui) ? Le paragraphe 41-6 qui se substitue au 17-4 est lui aussi parfaitement clair :

41-6. Les États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes, établissent une coopération structurée permanente dans le cadre de l’Union. Cette coopération est régie par l’article III-312.

Autrement dit, ce qui disparaît avec le passage de Nice au TCE, c’est l’insertion de la défense européenne en tant que telle dans l’Otan !! L’enfer se cachant souvent dans les détails, on ira vérifier que l’article312 cité ne comprend plus, lui non plus, la référence à l’Otan.

S’il y a quelque chose à critiquer dans ce traité, ce n’est donc absolument pas la référence à l’Otan. Beaucoup plus valable est la critique de la phrase :

41-3 Les États membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires.

Mais qui ne voit que cette phrase est la contrepartie exacte de ce que nous venons de voir ? A partir du moment où l’Union amorce son indépendance par rapport au "parapluie" de l’Otan, il est clair qu’elle doit, pour rassurer certains pays (on pense évidemment aux anciens pays de l’empire soviétique), améliorer son propre système de défense.

En tant que Vert, j’aurais certainement souhaité un plus vaste débat sur l’efficacité de la défense militaire en tant que telle. Par rapport aux pays qui ont connu alternativement la domination nazie et la domination soviétique, il est en effet intéressant de se demander si les centaines de milliers de morts de leur libération dans les années 44-45 furent plus ou moins efficaces que les manifestations pacifiques des années 89-90. Il faut avoir en tête cependant que pour ces pays, la réponse ne fait aucun doute : "A partir du moment où aujourd’hui nous sommes libres, nous souhaitons défendre notre liberté, y compris militairement".

Toutefois, le TCE introduit la possibilité de ce débat en précisant :

41-3. Les États membres mettent à la disposition de l’Union, pour la mise en œuvre de la politique de sécurité et de défense commune, des capacités civiles et militaires pour contribuer aux objectifs définis par le Conseil.

Il faut cependant reconnaître que cette référence à la "défense civile" n’est suivie d’aucun développement dans le corps du TCE.



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