Vacances frileuses
par Alain Lipietz

dimanche 5 novembre 2006

Cette semaine, « semaine jaune », c’est-à-dire que c’est les vacances pour le Parlement européen. J’en profite pour ranger mon bureau et celui de mon ordinateur : travail de Sisyphe, je vous l’ai déjà dit.

Quand même, je pars deux jours « chez moi », à Avallon-Vézelay. Nous faisons la traditionnelle montée par les collines jusqu’à la basilique romane, à partir de l’église gothique de Saint-Père sous Vézelay, où Pierre Lhermite, selon un irréalisme poétique (assumé) de Louis Aragon, prêcha la croisade devant Aliénor d’Aquitaine. Il fait un grand beau froid sec, même étonnamment froid.

Si je vous raconte ça, c’est pour vous dire qu’il est assez difficile, dans ces conditions, de mobiliser contre le réchauffement climatique !

Or, hier samedi, c’est la journée mondiale de mobilisation contre l’effet de serre, décidée lors du Forum social mondial de Caracas, qui l’a calée à la veille de la Conférence de Nairobi sur le changement climatique. Malgré un beau succès de la conférence de presse organisée par le réseau Action climat, malgré la mobilisation des associations, notre troupe n’est pas bien nombreuse (mais à Londres ils sont 20 000 !). Bien sûr, c’est les vacances. Bien sûr, les Verts franciliens (qui sont quand même la seule organisation politique significativement présente) sont en AG à Issy-les-Moulineaux, et il faut se dépêcher entre deux votes pour rejoindre la place du Châtelet.

Mais il faut se rendre à l’évidence, le changement climatique semble une chose si énorme qu’on a du mal à « manifester contre »… Surtout quand les gens sont bien contents de bénéficier d’un peu d’été indien. C’est un peu comme manifester contre la pauvreté dans le monde ou contre le capitalisme. Ce n’est pas qu’on manque d’objectifs : les Verts, en tant que parti de l’écologie politique, sont justement là pour faire avancer les politiques publiques contre l’effet de serre ! Et à Paris, ils le font. Mais la lutte contre l’effet de serre implique des mesures tellement variées, complexes, s’échelonnant de l’individu aux accords internationaux en passant par les politiques municipales, que, finalement, on ne sait pas trop que scander, pour « quoi » ou contre « quoi » on manifeste. Enfin, c’est quand même une jolie manif bien colorée.

Sandrine Mathy, présidente du Réseau Action-climat
Les Verts étaient présents
Les générations futures aussi
Une manif unitaire

Je finis aussi le tome 2 (« Les déportations ») du bouquin de Hillberg, La destruction des juifs d’Europe. On y apprend avec intérêt que les Roumains ont tué leurs juifs sans chambre à gaz, uniquement… en les déportant, et essentiellement pendant le transport, en train (sans eau), ou à pied, etc. Intéressant pour le procès en appel de la SNCF : le transport sans eau est aussi une formule d’extermination.

J’enchaîne sur le bouquin de Laurent Joly Vichy dans la « solution finale ». Remarquable. On y découvre bien sûr que les responsables de la politique antisémite (les Viallat, Darquier de Pellepoix) formulaient déjà leurs horribles propositions en tant qu’hommes politiques dans les années 1930, bien avant l’Occupation. Mais aussi que le juriste rédacteur des lois antisémites vichystes (lois du 3 et 4 octobre 1940) était un honorable conseiller d’État, Maurice Lagrange, qui « faisait son boulot ». À la Libération, quand Jean Monnet lui demandera de préparer le traité CECA , il lui répondra : « Je ne sais pas de quoi il s’agit, mais je ferai de mon mieux ». Il finira procureur à la Cour de justice des Communautés, à Luxembourg.

Ces deux psycho-pathologies (l’antisémitisme et le sens professionnel dévoyé) expliquent sans doute conjointement les crimes de la direction SNCF dans sa participation à la Shoah.

À part ça, je rédige quand même deux articles pour la presse. L’un pour Libération sur les propositions écologistes à propos de la crise des banlieues, avec Djamila Sonzogni, conseillère municipale et conseillère régionale de Mulhouse, et Noël Mamère, maire de Bègles et député : la lutte contre les causes profondes de ces émeutes implique en effet une action articulée au travail des associatifs, à tous les niveaux, municipal, régional, national et européen. L’autre, pour Le Monde, Peut-on encore sauver l’Europe ?, pour célébrer… ce qu’aurait pu être l’avènement du TCE le 1er novembre 2006, et analyser quelques unes des solutions en piste pour débloquer la situation. Je les mettrai sur mon site, qu’elles soient publiées ou non.

En effet, la généralisation des blogs contribue à rendre un peu moins motivante la bataille épuisante pour faire paraître des « tribunes » et « libres opinions ». Je l’ai dit ailleurs, la tentation est forte en effet… de publier seulement sur son propre blog, au risque de manquer un public qui n’aurait jamais l’idée de consulter ledit blog.

Ce mois d’octobre écoulé, vous avez été 48 000 à visiter mon site. Ce qui veut dire (si j’ai bien compris les explications de SPIP), 48 000 « visites-jour ». Une visite-jour, c’est un ordinateur, repéré par son adresse IP, qui se connecte dans la journée. Si vous vous connectez le matin pour parcourir ce site toute la matinée, si vous vous débranchez et reconnectez l’après-midi pour recommencer, ça compte pour 1. Si vous allez simplement sur le site pour voir s’il y a du nouveau, c’est pareil.

De plus, mon site est très ancien, et contient la plus grande partie de mes publications de chercheur : il y a des étudiants qui s’en servent pour leur travail. Par exemple, ce mois-ci, l’article du site le plus consulté fut l’article Cultural geography, political economy and ecology (3700 chargements depuis sa parution sur le site, dont 360 pour le seul mois d’octobre 2006). Cette poussée est probablement due au fait qu’un prof de géographie, quelque part, sans doute aux États-Unis, l’a donné à lire à ses étudiants…

Mais bien sûr, ce sont les articles politiques, et en particulier le blog, qui sont les plus consultés. À ce propos, petit sujet de fierté : le numéro de novembre de SVM Informatique, dans l’article Est-ce que la présidentielle se joue aussi sur internet ? La politique tisse sa toile, fait l’éloge de mon blog, où « il (Alain Lipietz) raconte concrètement son travail de député européen avec ses prises de positions, ses états d’âme et ses réussites ». SVM est beaucoup moins gentil avec les sites des vrais candidats, en particulier « Le site de Dominique Voynet a toutes les apparences d’un site plaquette… L’interactivité est plus que limitée… Même tonalité sur le site officiel du parti où il faut bien chercher pour télécharger le programme des écolos pour la présidentielle. »

Et si je prêtais la fée Perline à Dominique Voynet pour la durée de sa campagne ?



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