Un droit pénal européen de l’environnement
par Alain Lipietz

samedi 24 mai 2008

Le grand texte de cette semaine à Strasbourg, c’est incontestablement celui qui créée un droit pénal européen de l’environnement. Les autres textes adoptés, chargés de bonne volonté mais sans grande portée pratique, font pâle figure, même s’ils prouvent que, comme d’habitude, quand ce n’est pas contraignant, le Parlement a bon cœur. Espérons que c’est de bon augure pour le premier examen, toujours retardé, de la « directive de la honte » sur le rapatriement des immigrants sans papiers.

Vendredi, grand colloque à Paris sur la présidence française et les deux suivantes. J’interviens à la table ronde sur l’environnement. La France est absente...

Droit pénal

L’adoption mercredi de la directive sur le droit pénal environnemental est une grande première à de multiples titres.

Rappelons-le d’abord, il n’y a pas de droit pénal européen (« fédéral » dirait-on aux USA). Il existe des directives articulant les droits civils nationaux, par intégration dans le droit communautaire des conventions dites Rome 1 et Rome 2. Mais l’idée que l’on puisse fixer des barèmes de punitions (le « pénal ») et pas seulement de réparation (le « civil ») n’existait pas en droit européen. Elle n’a été évoquée pour la première fois que par le TCE (article III-271, une des « pépites » du traité » qui a été rejeté), et se retrouve dans le traité de Lisbonne qui n’est pas encore adopté. C’est donc en forçant un peu les traités actuels que la Commission, approuvée par le Parlement, vient d’adopter une directive pénale.

Oh ! N’exagérons rien, une directive n’est qu’une directive, c’est-à-dire qu’elle doit encore être transposée dans le droit national de chacun de États. Mais ce qui est nouveau, c’est que la directive fixe la liste des législations d’origine européenne dont la violation doit avoir, État par État, des sanctions pénales, et charge la Commission de coordonner le barème des peines pour qu’elles soient « dissuasives » dans tous les États…

Le deuxième point très significatif est que, pour initier ce droit pénal européen, on commence par l’environnement. La directive donne en annexe la liste impressionnante des législations d’origine européenne portant sur la défense de l’environnement (on en rajoute d’ailleurs cette semaine à propos du mercure, du démantèlement des bateaux etc), directives qui théoriquement doivent depuis des années s’appliquer dans tous les pays. Et elle exige - ce qui n’est pas le cas aujourd’hui – que pour tous les manquements, par action ou par omission, à ces directives, un barème de sanctions pénales soit fixé.

J’ai été jadis rapporteur de la directive sur les responsabilités civiles des entreprises en matière d’environnement. Je suis persuadé que la voie des réparations civiles peut être dissuasive, surtout si elle est accompagnée d’une généralisation de l’action de groupes de victimes (class action). Mais le fait que l’on adjoigne au droit des victimes un devoir (pour l’État) de poursuivre les fautifs ne peut que renforcer le respect de l’environnement.

Point significatif : la bataille, d’abord menée et perdue au sein de la commission juridique avait été bien calculée par Monica Frassoni et notre collaboratrice Francesca. Comme je l’avais dit à l’époque, nous avions perdu de peu, mais nous avions repéré quelles alliances et compromis à nouer pour gagner en plénière.

++++Droits de l’Homme

Le Parlement se montre en revanche beaucoup plus hésitant quand il faut passer aux actes engageant les politiques futures. Bien sûr, on vote comme toujours une flopée de déclarations humanistes et droits de l’Hommistes sur la lutte contre les discriminations, notamment celles dont sont victimes les Roms, et contre la junte Birmane etc. La résolution sur la Turquie est assez équilibrée, notant les progrès et les retards, et prenant fermement parti contre l’interdiction de l’AKP, le parti au gouvernement que la justice, tenue en main par les vieux kémalistes, prétend interdire contre la volonté du peuple qui l’a majoritairement porté au pouvoir.

Mais sur deux textes importants, à propos des matières premières et à propos de la crise alimentaire, les Verts décident de voter contre, car le flot des bonnes paroles ne correspond pas à la situation, qui exige des décisions fermes, telles qu’un moratoire sur les agrocarburants.

Ce n’est pas une catastrophe. Que le Parlement reste dominé par la droite et donc par le productivisme et le libéralisme, malgré une évolution très nette depuis quelques mois vers un ordo-libéralisme, nous le savions. Mais l’urgence de la crise écologique demande plus que des bonnes paroles. Pour l’instant, le Parlement se contente de demander qu’on établisse des critères sociaux et environnementaux sur les importations d’agrocarburants. C’est gentil, c’est probablement comme ça qu’on fera d’ailleurs. Mais on reste dans la logique « on importe – et donc on fait planter - d’abord, on règlementera ensuite ». La lotta continua….

Décision importante en revanche, le Parlement se prononce pour le traité de bannissement des armes à uranium appauvri. Cela fait partie de la question « guerre et environnement » sur laquelle j’ai pris l’initiative, avec la Verte allemande Angelika Beer, d’un colloque le 12 juin prochain. Le programme sera sous peu dans cette rubrique.

++++Présidence écolo ?

Vendredi, deux grandes associations européennes, Notre Europe et la Fondation pour l’innovation politique, présentaient un rapport de 13 « think tanks » européens sur le thème Think global, act european (Penser globalement, agir européen). Le programme était alléchant : la gouvernance après le traité de Lisbonne ; l’immigration, sujet qui porte ou sujet qui fâche ; croissance : la stratégie de Lisbonne dans la tourmente ; et : climat, l’énergie du changement ?

Normalement, les trois futures présidences du Conseil européen, française, tchèque et suédoise, devaient répondre aux interpellations des think tanks sur ces sujets.

Le débat a lieu à la Chambre de commerce et de l’industrie de Paris, dans l’hôtel Potocki, avenue de Friedland. Je n’y avais jamais mis les pieds. C’est une succession de palais haussmanien, puis Art nouveau, puis Art déco, encerclant un jardin. Le soleil de mai illumine la pelouse. Naturellement, tous les lustres sont allumés et brillent de toutes leurs ampoules à incandescence !

J’arrive au moment du débat sur la stratégie de Lisbonne et la compétitivité : les représentants des pays des trois futures présidences sont là. Quand vient le tour de la 4e table ronde, à laquelle je participe : disparition des représentants de la présidence française (NKM) et tchèque ! La journaliste des Échos nous demande : « Pensez-vous que l’objectif de moins 20% de gaz à effet de serre en 2020 soit tenable ? » Les Suédois, seuls restés à la tribune sous différents casquettes, le Directeur Général de l’Environnement à la Commission européenne, le Danois Mogens Peter CARL (qui fera incidemment une intéressante déclaration sur la « border-tax » à l’égard des pays qui ne signeraient pas l’accord post-Kyoto) et moi lui répondons assez fermement. « L’objectif n’est pas « moins 20% », mais d’éviter que la planète ne se réchauffe de plus de 2 degrés. Cela implique, d’après le rapport du GIEC (Groupe intergouvernemental d’étude du climat), que les pays développés fassent moins 30% d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020. L’objectif de moins 20% n’est qu’un objectif de second choix, si les États-Unis ou la Chine refusent de se joindre à la lutte contre le changement climatique, mais dans ce cas-là, c’est perdu : on dépassera très largement les + 2 degrés ».

La journaliste insiste : « Mais pensez-vous que les dirigeants en soient conscients ? » Je lui réponds « Eh bien voyez : quand on parle de compétitivité, tout le monde est là, quand on parle d’environnement, il n’y a plus que les Suédois, et c’est comme ça depuis 20 ans. La Chambre de commerce et d’industrie de la capitale de la France en est encore à faire brûler des ampoules à incandescence alors que la lumière du jour suffit très largement à éclairer cette pièce. En France, le tournant n’est pas pris ».

On trouvera un résumé de cette matinée, avec une interview-video de votre serviteur, en cliquant ici

J’avais oublié de vous dire : avec 43 membres, nous sommes repassés 4e groupe au Parlement, derrière le PPE, le PSE et l’ALDE (les lib-dem), mais devant l’UEN (droite souverainiste) et la GUE (communiste). Ça présente quelques avantages (tours d’intervention, désignations pour les petites délégations, etc…)

Comment cela s’est-il fait ? par l’adhésion au groupe de László Tökès, représentant de la minorité hongroise de Roumanie, leader de la révolution contre Ceaucescu et… évêque protestant. Avec Margrete Auken, du Parti Socialiste Populaire danois, c’est notre second pasteur. Encore que je me pose des questions sur Sepp Kusstatscher, Vert du Sud-Tyrol (comme il dit, c’est-à-dire pas Trentin-Haut-Adige).



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