Un bilan du premier tour des législatives.
par Alain Lipietz

samedi 16 juin 2012

Encore une semaine agitée, mais, comme tous les candidats EELV qui m’ont invité m’invitaient pour le jeudi, je n’ai pu en soutenir qu’un : François-Michel Lambert, à Gardanne. Une triangulaire contre « droite populaire » et FN dans un ancien bastion PCF. Assez significative, finalement, j’y reviens plus loin.

J’avais privilégié à l’avance pour cette semaine intermédiaire les débats thématiques : sur la transition énergétique en ville, à Lyon, sur l’Économie sociale et solidaire face au vieillissement, à Paris, sur la crise de l’Europe, à Nantes. Et hier soir, la campagne finie, une contribution en hommage à un Juste, Michel Duhameaux.

Dans l’insoutenable suspense de ce second tour, vote décisif (le seul finalement : si la droite gagne, cela efface les 3 votes précédents), je peux un peu réfléchir au bilan du premier tour. Deux questions se posaient. D’abord, comme c’est la première fois que la gauche a gagné la présidentielle, depuis « l’inversion du calendrier » par Jospin qui fait des législatives le prolongement de la présidentielle, quelle serait l’attitude des électeurs écologistes et communistes ? Ensuite, après le succès de Mélenchon et l’échec de la campagne d’Eva Joly, quel serait le rapport de force entre ces deux mouvances ?

Sur la première question, la réponse est hélas claire : le vote PS pour « donner une majorité à Fançois Hollande » est aussi vote qu’il y a 5 ans ou 10 ans le vote « sauve qui peut ». Le vote PS écrase tout. EELV s’en tire grâce à l’accord de partage d’une soixantaine de circonscriptions de chaque coté, mais les gains sur 2002 ou 2007 sont très faibles dans les circonscriptions « en autonomes ». On est très loin du temps (les Européennes de 2009) où Europe Écologie faisait presque jeu égal avec le PS, on est en fait revenu à des niveaux de vote Verts ordinaires aux législatives. Dégringolade due aux fautes politiques de la direction depuis les régionales de 2010, dont mon blog a suivi la chronique désespérante.

Dans la 11è circonscription du Val-de-Marne, où j’ai toujours fait plus de 5 %, malgré les débâcles de 2002 et 2007, et où nous étions encore en seconde position dans les cantonales de l’an dernier, l’EELV Christian Métairie fait 5,25% ! Il est vrai qu’une catastrophe est survenue à Villejuif (la moitié de la circo), en deux temps. Un : la direction de campagne a réimprimé les bulletins EELV en noir « parce que cette candidature EELV, ce n’est pas que des Verts » (et alors ?). Et deux : la préfecture a envoyé dans les enveloppes le premier bulletin (en vert) et fait mettre sur les tables les bulletins noirs. Alors que l’inévitable « écologiste indépendant » restait seul avec des bulletins verts. D’où confusion, doutes, etc. chez nos propres sympathisants. Mais la tendance générale est là, malgré quelques beaux résultats en autonome.

Le PCF, qui croyait, sous l’étiquette Front de Gauche et à la faveur de la belle campagne Mélenchon, avoir retrouvé sa couleur rouge d’antan, constate que son inexorable déclin se poursuit. Il a même perdu le dernier député du Val-de-Marne qui lui restait : à Ivry, et il est dépassé par le PS même dans l’ancien bastion des Vaillant-Couturier et de G. Marchais, Villejuif. Dans la circonscription de Gardanne-Oriol (où je serai donc allé deux fois), le dynamique EELViste François-Michel Lambert, s’appuyant sur un groupe très « Europe Écologie 2009 » et loyalement soutenu par le PS, le distance même dans la ville de Gardanne, vieille ville industrielle. Dans les vieux bureaux de vote miniers, les mineurs retraités avaient voté Le Pen au premier tour de la présidentielle et Hollande au second tour. Le vote à gauche se cristallise donc sans problème sur un écolo soutenu par le PS, le vote « sociologique » n’est plus communiste, mais « gaucho-lepeniste ». D’où sans soute la débâcle de J.L. Mélenchon , imprudemment parachuté à Hénin-Baumont.

Reste que le PCF est repassé devant les écolos, et c’est la plus mauvaise nouvelle. Il aura cette fois moins de députés avec plus de voix, alors qu’avant c’était l’inverse, parce que son électorat était plus concentré dans des bastions. A l’inverse, les écolos commencent à se faire des bastions (Mamère à Bègles) et peuvent s’en construire d’autres dans les circonscriptions où le PS les a loyalement soutenus. D’où la fréquence des dissidences socialistes, par exemple contre Meirieu à Lyon. D’où aussi le refus du PCF de faire campagne à Gardanne pour François-Michel : il n’était pas là au meeting de jeudi. Mais ce seront des bastions individuels. Parce qu’il n’y aura plus, pour aucun parti, de bastion sociologique, comme ce qu’a été la « banlieue rouge ». A noter (mais il faudra pousser l’analyse) que les scores EELV sont particulièrement bons (ou moins mauvais) dans le quart sud-ouest de la « banlieue rouge » du Val-de-Marne. Une évolution déjà notée en 2009 et 2010. Bobo-isation, ou effet du ralliement à EELV de communistes rénovateurs ?

C’est pourquoi le PCF tente d’imposer une règle dite de « désistement républicain », qu’il ne pratique pas lui-même (l’an dernier, à la cantonale de Montreuil, il l’a violée à son profit) : le retrait du candidat de gauche arrivé second, en l’absence de droite au second tour, parce que « ce serait donner à la droite la possibilité d’arbitrer ». Traduction : la droite votera plus volontiers PS que PCF. Un deal d’appareils qui prive l’électeur d’une possibilité de choix que lui laissait le scrutin à deux tours, et que les ex « grands partis de gauche » prétendent abolir, pour s’acheminer vers un scrutin à l’anglo-saxonne. La principale victime en serait les « nouveaux venus », les écologistes, dont la seule vraie chance de percer est le scrutin proportionnel qui évite la bi-polarisation droite-gauche et permet l’ouverture de nouveaux thèmes.

Mais ce désistement (en fait anti-républicain) sert aussi, comme à Villejuif, à épargner au PCF la raclée que lui promettait le premier tour : il se retire, même en seconde position et sans droite, laissant le PS attendre la poignée d’électeurs qui se dérangeront pour un scrutin ouvert de 8 heures à 20 heures. Et tant pis pour les assesseurs et les administratifs.

Sans moi. Demain, je n’irai pas voter pour ce candidat unique, Jean-Yves Le Bouillonnec, pour lequel le PCF s’est retiré, alors qu’il n’y a plus de candidat de droite. Comme l’avait fait le PS aux cantonales de l’année dernière, mais dans l’autre sens.

Comme l’an dernier, les électeurs sont mis devant le fait accompli par un accord d’appareils. C’est une gifle à la démocratie dont j’ai raconté l’an dernier les effets délétères. La notion de « front républicain » est bafouée : il s’agissait autrefois de se retirer, ou, déjà éliminé, de soutenir le candidat de gauche arrivé en tête, pour battre la droite anti-républicaine. Or cette pratique consistant à se retirer en l’absence de droite a l’air de se généraliser, alors que le PCF refuse de se mobiliser… quand il s’agit de battre la droite, même extrême, comme à Gardanne.

Il s’agit ni plus ni moins que de « désistement de confort », pour ne pas prendre une claque trop magistrale si la défaite est certaine en cas de duel (comme à Villejuif), ou pire, pour ne pas compromettre les bons rapports inter-partis. Comme si les électeurs n’avaient pas le droit de choisir entre plusieurs partis au second tour sous prétexte qu’ils s’étaient abstenus ou avaient voté autre chose au premier tour.

Que faire ? Aller voter, « pour faire son devoir », mais voter blanc, pour protester contre ce candidat unique ? Mais moi, je l’aime bien ce candidat, Jean-Yves Le Bouillonnec !! Le vote blanc signifie « aucun candidat ne me convient ». Or j’aurais volontiers appelé à voter pour lui, s’il avait eu un adversaire, comme je l’ai fait il y a 5 ans et il y a dix ans ! Ma révolte, c’est contre l’élection à candidat unique, c’est cela que je boycotte, pas le candidat lui-même, qui de fait est déjà réélu, sans mon vote ni celui de personne. Alors je n’irai pas voter.

Mais si vous, vous avez la droite en face , alors votez et faites voter vos amis !!! Car, encore une fois, c’est ce dimanche, la vraie élection du changement.



Reproduction autorisée avec la mention © lipietz.net http://lipietz.net/?page=blog&id_breve=462 (Retour au format normal)