Un PE pronucléaire et antipesticide.
par Alain Lipietz

dimanche 28 octobre 2007

Je reprends le récit de cette semaine surchargée. Un militant s’est plaint sur une liste verte de ne pas savoir le jour même ce qu’on avait voté sur les pesticides. Je rappelle qu’il existe un site du PE qui donne un aperçu journalistique sur ce qui se passe, et où les textes votés apparaissent très vite. Si vous voulez plus de détails, débats en plénière, donc position des groupes, dont les Verts, votes nominaux, je vous ai fait un mode d’emploi . Et pour l’avis après-coup du groupe Vert, il y a son sitesur lesquels les commentaires apparaissent presque aussitôt après le vote.

Cinema

C’est en grandes pompes que la plénière accueille les trois films candidats au prix Lux, représentés par leurs metteurs en scène et certains de leurs acteurs principaux, comme à Cannes ! Manuel de Oliveira est donc là avec Michel Piccoli pour Belle toujours,

Michel Piccoli et Manuel de Oliveira

le Germano-Turc Fatih Akin est là avec Hanna Schygulla pour De l’autre coté.

Hanna Schygulla et Fatih Akin

Le président Pöttering ouvre solennellement l’enveloppe pour dévoiler le choix du jury (c’est-à-dire, comme le remarque Gérard Onesta, « père du prix », un jury plus large que ceux de Cannes, Venise et Berlin additionnés : les eurodéputés qui ont vu les trois films et qui ont voté). Le prix Lux va donc… à De l’autre côté. Ce n’est pas une surprise, ce film est excellent, émouvant, peut-être trop foisonnant, mais c’est surtout le seul traitant vraiment un thème européen. Il mérite donc le soutien que va lui donner le Parlement en finançant son sous-titrage dans toutes les langues de l’Union, et sa diffusion.

Le joli trophée que vous voyez sur la photo devant Fatih Akin représente une tour de Babel (l’Europe) en pellicule de cinéma...

Peu après, le PE attribue de manière consensuelle le Prix Sakharov à Salih Mahmoud Osman, incarnation de la tragédie soudanaise.

Fiscalité

Le vote catastrophique en commission Économique et monétaire sur le rapport de la communiste Sarah Wagenknecht à propos de la fiscalité dans la stratégie de Lisbonne se confirme en plénière. La commission Économique et monétaire avait littéralement défiguré ce rapport, le PS se divisant, et les communistes et nous votant contre.

Jusqu’à Prague, sur mon portable, la collaboratrice du PSE pour la commission Économique et monétaire (collaboratrice qui dépend théoriquement de… Pervenche Béres), m’avait relancé pour m’expliquer que le rapport n’était pas si mauvais, que le PS présenterait de bons amendements, et qu’il fallait donc le voter en urgence. Je lui avais répondu sèchement que nous avions déjà décidé de voter contre, et qu’au contraire il fallait le voter le plus tard possible pour avoir le temps de mobiliser les associations et les syndicats, de discuter avec le groupe libéral-démocrate. En réalité, le PSE cherchait à masquer ses divisions en votant le plus vite possible. Eh bien, on a vu le résultat de cette fine tactique…

Les Verts avaient déposé quelques amendements, que j’avais recommandés aux députés du Modem, qui d’ailleurs les voteront. Le PSE, qui déposait aussi de bons amendements, n’avait manifestement pas fait le même travail d’essayer de débattre avec les libéraux-démocrates. Résultat : tous leurs amendements sont rejetés, et le rapport est finalement adopté dans un état aussi horrible qu’à l’issue de la commission Économique et monétaire, le PSE se divisant, les Verts et les communistes votant contre, Sarah Wagenknecht retirant son nom du rapport.

Évidemment, ce n’est pas très important car ce rapport n’a aucune portée législative. Pourtant, c’est un gros coup dur psychologique. Par exemple, nous étions arrivés jusqu’à présent à repousser l’offensive de Madame Lulling pour détruire le peu d’harmonisation existant en Europe des accises sur les alcools. Eh bien, cette fois-ci, son amendement contre l’harmonisation des accises est adopté ! Une grande victoire pour les contrebandiers et les alcooliques. Et cela, grâce à la subtile tactique du parti socialiste européen…

Énergie

Nouveau rapport sur la politique de l’énergie, lui aussi assez mauvais, et lui non plus sans portée législative. On sent que le vent a tourné : entre l’alerte climatique de plus en plus perceptible et confirmée par les chercheurs (prix Nobel aidant) et le discours alarmiste de certains sur l’épuisement des ressources pétrolières, les eurodéputés, en particulier de droite, sont prêts à tout pour trouver d’autres sources d’énergie, alors que les Verts insistent exclusivement sur la sobriété, l’amélioration de l’efficacité énergétique, et les énergies renouvelables soutenables (c’est-à-dire pas la culture intensive d’agrocarburants).

Sur cette question des agrocarburants, le Parlement reste majoritairement pour, mais visiblement il est maintenant presque divisé par moitié, alors qu’il y a un an, les Verts étaient tout à fait isolés dans leur dénonciation des risques pour l’alimentation humaine et la biodiversité. La campagne d’un certain nombre de journaux et d’ONG au printemps, ainsi que la montée vertigineuse du prix des aliments est passée par là :le conflit pour l’usage des terres(nourriture humaine, nourriture des animaux, nourriture des bagnoles et respect de la biodiversité) commence à entrer dans les esprits.

Hélas, c’est donc le troisième sommet du triangle des risques écologiques (le risque nucléaire) qui est maintenant minoré. Pour la première fois, le Parlement se prononce majoritairement pour une relance du nucléaire, alors que, jusqu’à l’an dernier, nous arrivions à bloquer ce genre de position.

Les amendements pro-nucléaires sont votés par une très large majorité du Parlement, seuls s’y opposent véritablement les Verts et les communistes de la GUE. Rappelons que ce groupe GUE s’appelle en réalité « Gauche Unitaire Européenne-Écologistes nordiques », et que sa position antinucléaire est largement déterminée par ces derniers. (Il s’agit notamment d’écologistes suédois farouchement antieuropéens, mais authentiquement écologistes).

Innovation technologique dans le Parlement : quand nous votons électroniquement, un grand écran s’affiche, représentant l’hémicycle avec tous les sièges, qui s’allument en vert quand le député vote oui, en rouge quand il vote non, en blanc s’il vote abstention. Les amendements pro-nucléaires présentent l’hémicycle comme un grand « camembert » vert (c’est-à-dire ici Oui au nucléaire), avec deux quartiers en rouge, les Verts et la GUE. Je remarque, non sans une certaine honte en tant que Français, deux petites pastilles blanches qui s’allument dans le groupe GUE : ce sont évidemment les communistes français, indécrotablement pro-nucléaires. Au moment du vote final, même dispositif chromatique, mais les deux pastilles communistes françaises dans la GUE s’allument en vert, tandis que les autres GUE et les Verts votent contre le rapport.

Cerise grisâtre sur ce vote finalement plus inspiré par la « peur de manquer » que par le désir de sauver la planète : le vote sur les limites d’émission de CO2 par les voitures. Il est, lui aussi, en recul sur ce qu’exigerait une lutte réelle contre le changement climatique, alors même que les Verts avaient fait réaliser une étude montrant l’importance d’imposer d’ici 2012 des normes strictes (120g de CO2 /km). Les constructeurs automobiles européens ont gagné, pour le moment. Ma prochaine voiture sera japonaise. Enfin, bon, ce rapport n’était pas non plus législatif.

À noter le vote « pronucléaire et pro-voitures polluantes » des députés UMP et Modem. Pendant que le Grenelle de l’environnement amuse la galerie des ONG, les députés français non verts s’acharnent à détruire la planète dans leurs votes. Il est temps que l’ambiguïté de la « ré-ONGisation de l’écologie » soient levée.

Pesticides

La commission Environnement avait préparé un ensemble de trois excellents rapports, dont deux à portée législative à propos des pesticides : interdiction des pesticides déjà considérés comme dangereux, et réduction à l’horizon 2012 des quantités épandues, interdiction de la pulvérisation de pesticides par avion, obligation de prévenir les voisins quand on utilise des pesticides, obligation de respecter une zone tampon de 10m sans pesticides à la lisière des champs du voisin, etc…

Bien entendu, les lobbies agricoles et chimiques se sont mobilisés à fond pour adoucir le rapport, et une partie de la droite s’en est faite le relais en déposant des amendements. Nous avons donc, sur chacun de ces points, une guerre des tranchées en forme de série d’amendements qui ramollissent plus ou moins le rapport. De fait, les amendements les plus ramollissants sont balayés, mais les amendements « un peu » ramollissants sont souvent acceptés, ce qui affaiblit légèrement les rapports.

Par exemple, sur l’obligation d’informer les voisins de l’épandage de pesticides, on rejette successivement les amendements les plus éloignés, et on finit par accepter une version douce recommandant de prévenir les voisins (« Les États membres peuvent prévoir dans leurs plans d’action nationaux des dispositions relatives à l’information des riverains qui pourraient se trouver exposés à la dérive aérienne. ») . Mais il s’est trouvé une bonne partie de la droite pour rejeter même cet amendement ! Autrement dit, elle est prête à interdire de prévenir les voisins, sans doute pour ne pas introduire une distorsion de concurrence en faveur de l’agriculture biologique…

On peut se reporter aux textes finaux ici :

- rapport (non législatif) de Irena Belohorská sur la stratégie concernant l’utilisation durable des pesticides

- Rapport (législatif, de la verte Hiltrud Breyer) sur la mise sur le marché des pesticides

- Rapport Christa Klass (législatif) sur la Directive-cadre sur l’utilisation durable des pesticides

Ces rapports sortent donc assez bons lors de la première lecture au Parlement. Reste à voir comment va réagir le Conseil, et ça, ça dépend de la mobilisation anti-pesticide, État par État.

Justement, la journée du jeudi, en France, est occupée par les nouvelles et les démentis à propos du traitement des pesticides dans le Grenelle de l’environnement. Mon assistante Natalie Gandais-Riollet se rend à ma place à l’Élysée pour écouter le discours de conclusion de Nicolas Sarkozy. Celui-ci se montre excellent, comme s’il connaissait par cœur le programme des Verts, et, sur la question des pesticides, il reprend des positions plutôt proches de ce que vient de voter le Parlement européen. Mais nous y sommes habitués : en matière d’environnement, la France traîne toujours des pieds derrière l’Europe avec plusieurs années de retard, quitte à signer pour ne pas appliquer.

Par exemple, la Directive Oiseaux avait été signée en Conseil, en 1978, de la blanche main de Michel d’Ornano, ministre de l’Environnement de Giscard d’Estaing. Il a fallu ensuite plus de vingt ans de batailles homériques (de la LPO sur le terrain et de Voynet au ministère) pour la faire à peu près intégrer dans la loi française.

Après les votes je rentre à Orly pour prendre l’avion de Toulouse où je dois animer un débat sur la politique économique et monétaire de l’Europe. Mais c’est la grève d’Air France : pas sûr d’arriver à temps à Toulouse, pas sûr de pouvoir revenir le lendemain de Toulouse. Or je dois impérativement passer le vendredi à Paris , où Arte doit m’interviewer pour un film de 2 heures sur la participation des compagnies ferroviaires à la Shoah (pas seulement la Sncf !!). Je laisse tomber Toulouse, à la grande joie de Francine qui sort épuisée de sa dernière chimio.

Samedi, table ronde de conclusion de Ligue des Droits de l’Homme sur l’Avenir de l’Europe et les Doits Fondamentaux. Je dois remplacer au pied levé Hélène Flautre, verte présidente de la sous-commission des Droits de l’Homme, qui a dû se rendre en Russie. J’explique ce que peut faire le Parlement en matière de Justice, Police, Politique étrangère : pour le moment (sous Maastricht-Nice), rien. Mais quand même si, un peu, parce que les gens (les dictateurs, les multinationales, etc) ne le savent pas. Sous le TCE on aurait pu beaucoup : ces deux « piliers » passaient en codécision. Sous le TME, un peu moins que sous le TCE.

Débat intéressant sur l’évolution de la Grande-Bretagne et de la Pologne (est lue l’intervention de Marek Beylin de Gazeta, qui n’a pas pu venir à cause de la grève).

J’en profite pour saluer chaleureusement Jean-Pierre Dubois et la LDH, sans doute désormais la seule ONG française à songer à inviter près d’un tiers de non-français pour ses tables rondes. J’évoque les récents débats de Libération et Politis sur la crise de la gauche : aucun invité étranger, alors qu’il y a 15 ans de tels débats à gauche étaient impensables en France sans un(e) Italien(ne), un Polonais, un Allemand, un Espagnol, etc… Le Non français, par delà les arguments rationnels (on a cru qu’on pouvait faire mieux, vient d’avouer Vincent Peillon, du coup on a le TME, on a compris, on arrête de jouer au héron de La Fontaine), révèlait un phénomène bien plus grave : la France s’est recroquevillée dans son hexagone.

Photo revolutionecolo, sous licnece CC.



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