Staliniens, fachos et cathos contre le référendum européen.
par Alain Lipietz

samedi 14 juillet 2007

Beaucoup de votes importants cette semaine au Parlement. J’ai dû, par ailleurs, finir fiévreusement mon rapport sur « Commerce international et changement climatique » (en tenant soigneusement le compte du nombre de signes autorisé pour la traduction !) Les votes principaux portent sur le maxi-traité, la directive postale, la politique de la zone euro et les suites de la visite de Sarkozy au Conseil des ministres de l’Eurogroupe, la saga des accises…

MaxiTraité

Avec le rapport Leinen déjà fortement amendé par les Verts en commission, c’est une très vaste majorité du Parlement européen qui, tout en approuvant la relance du processus, condamne les petitesses de certains pays qui, au Conseil, sont parvenus à raboter les avancées du TCE (voir mon article paru cette semaine dans Politis). En gros, disons que le Parlement demande à la Conférence intergouvernementale de Porto de réintroduire presque toutes les avancées du TCE ! Il condamne l’« opt-out » obtenu par la Grande Bretagne sur la Charte des droits fondamentaux. Il souligne à quel point la qualité des débats par la méthode de la Convention l’emporte sur la diplomatie secrète du Conseil.

Deux amendements demandaient que le futur Traité de Porto soit ratifié par référendum. L’un émanait de l’extrême droite villiériste (Indépendance et démocratie), l’autre des communistes (GUE). Bien entendu une telle demande est impossible si on compte sur des référendums nationaux : le référendum est constitutionnellement interdit par exemple en Allemagne, où l’on en conserve plutôt de mauvais souvenirs (comme en France d’ailleurs, jusque dans les années 1980). Le premier amendement, de l’extrême droite, est rejeté. Mais au moment de voter l’amendement communiste, notre collègue Hélène Flautre se lève, pour demander, par la procédure d’amendement oral, de préciser « un référendum européen ». Je rappelle que cette procédure d’amendement oral en plein vote peut être rejetée si 50 députés se lèvent.

Immédiatement, toute l’extrême droite, et les catholiques polonais, se lèvent. Et, stupeur : une grande partie du groupe communiste se lève aussi ! Francis Wurtz, le président du groupe communiste, reste assis, tête baissée.

Ainsi, des communistes se seront joints aux fascistes et à la droite catholique pour empêcher que les citoyens européens, dans un référendum original, organisé le même jour dans toute l’Europe, se prononcent sur ce qui va, à quelques rabotages près, fortement ressembler au TCE ! Haine de l’Europe ? Peur que, dans un contexte européen où ne joueront plus les conjonctures nationales, l’ensemble des Européens votent comme les 4 pays qui se sont prononcés par référendum sur le TCE et qui ont dit Oui à 55% ?

Toujours est-il qu’on en arrive au vote final, qui ressemble trait pour trait au vote de janvier 2005 sur le TCE. Les groupes d’extrême droite et communistes sont contre, les autres sont pour, à l’exception de la droite gouvernementale (du PPE) britannique, tchèque, polonaise… et maintenant roumaine ! Petit détail : chez les Verts, même l’Anglaise Jean Lambert et le Catalan d’ICV, Raül Romeva votent pour. Symétriquement, les travaillistes britanniques, voyant leur pays montré du doigt à cause du refus de Tony Blair d’accorder aux Britanniques les droits fondamentaux qui seront garantis aux autres Européens, s’abstiennent.

Poste

Débat très difficile sur la directive postale qui doit libéraliser totalement (c’est-à-dire y compris pour les lettres) le service postal sur l’ensemble de l’Union. Voilà comme toujours l’hypocrisie de la droite : la main sur le cœur, elle refuse une directive sur les services publics, expliquant que les États doivent rester libres de les organiser comme ils l’entendent, mais, en même temps, elle vote dans les faits des directives qui les privent des « conditions économiques, notamment financières, d’accomplir leur mission » (comme disait le fameux article 122 du TCE, celui que nous avons perdu). En effet, dans la plupart des pays, le monopole du petit courrier est ce qui garantit l’autofinancement du service public universel de la Poste (c’est-à-dire une poste où le courrier soit relevé, expédié et distribué tous les jours ouvrables et en tout lieu du territoire).

Sur ce coup, la mobilisation syndicale est devenue pitoyable : quelques dizaines de manifestants devant le Parlement, deux fois plus de CRS. Tout se passe comme si le syndicalisme considérait dorénavant que l’article 122 est fichu, perdu, enterré.

Le Parlement accepte tout au plus de reporter à 2012 la date fatidique de mise en concurrence totale de toutes les entreprises postales. Naturellement, les Verts votent contre l’ensemble du rapport.

Euro

Pour des raisons que j’ai du mal à m’expliquer, le rapport du PPE irlandais Gay Mitchell sur le rapport de la Banque Centrale présenté en Commission économique et monétaire était déjà très bon . Le débat en plénière a lieu en présence de tous les « chefs » de la politique économique européenne, le président de l’Eurogroupe Jean-Claude Juncker, le président de la Banque centrale Jean-Claude Trichet, le Commissaire à l’économie Joachim Almunia. Tout le monde tape en termes plus ou moins diplomatiques sur l’attitude de Nicolas Sarkozy venu quémander au Conseil de ne pas rééquilibrer les comptes de l’État français avant 2012 ! Tout le monde rappelle que, dans la période d’expansion assez rapide que connaît l’Europe, c’est bien le moment de se désendetter. Le pauvre UMP Jean-Paul Gauzès (par ailleurs tout à fait fréquentable, et sur lequel nous pouvons souvent compter contre les ultralibéraux) a la lourde charge de défendre seul les fantaisies de Nicolas Sarkozy.

Sur le fond, le rapport Gay Mitchell sur la BCE est une sorte de synthèse de mon premier rapport de la mandature et de celui de la socialiste Pervenche Béres l’an dernier. Tous les deux avaient été déchiquetés par les amendements ! Cette fois, comme je l’explique dans mon intervention en plénière, les principales demandes des Verts à l’égard de la politique monétaire sont reprises dans un rapport présenté par un député de la droite. Et celle-ci semble suivre son rapporteur. Il y a là comme un vent de fronde à l’égard de l’incohérence du gouvernement de la zone euro. Mais alors que le rapporteur demande que les trois responsables (BCE, Commission et Conseil) se rapprochent pour en discuter, la droite dépose un amendement pour faire sauter cette phrase. Au moment des votes, PPE et libéraux l’emportent. Mais le texte voté reste excellent.

Un rapport parallèle du socialiste polonais Dariusz Rosati sur la situation économique de la zone euro est au contraire fort médiocre. Nous arrivons à y remettre quelques idées essentielles du rapport Gay Mitchell, mais finalement nous nous abstenons sur le rapport ainsi amendé. Le monde à l’envers !

Reste à expliquer comment des gens supposés rationnels peuvent refuser l’idée que le président de la Banque centrale, le président du Conseil de l’Eurogroupe et le Commissaire à l’économie coopèrent ? D’autant que les trois intéressés ont affirmé lors du débat que c’était bien ce qu’ils faisaient ! Eh bien tout simplement parce que écrire cela révèlerait la stupidité du traité de Masstricht, qui l’exclut en termes extrêmement fermes, en proclamant l’indépendance totale de la Banque centrale. Dire que la politique budgétaire et la politique monétaire doivent être coordonnées, c’est aux yeux de la droite nier l’indépendance de la Banque centrale…

Accises

Quant au rapport sur les accises (les droits sur les alcools) de Madame Lulling, je rappelle qu’il avait déjà été rejeté et renvoyé en commission. Pour l’aile la plus libérale du Parlement, harmoniser les taxes sur les alcools est inacceptable, comme en général harmoniser les impôts. La droite libérale est pour le dumping fiscal (c’est à dire pour la concurrence faussée…) et donc pour la contrebande d’alcool d’un pays à l’autre.

Après ce renvoi en Commission économique, nous étions parvenus à un compromis pour suivre la position du Conseil réévaluant, au rythme de l’inflation, les taxes minimales sur les alcools. Par une intervention en plein vote, à la limite de la légalité, Madame Lulling, en tant que rapporteuse, rejette ce compromis qui n’était pas véritablement suivi par l’ensemble de la droite libérale. Le compromis tombe. Mais ce n’est pas encore suffisant pour la droite, et finalement la quasi totalité du Parlement vote à nouveau contre le rapport Lulling !!

Bref, le Parlement n’a aucun avis sur la fiscalité des alcools. Le traité de Maastricht ne lui demande de toutes façons qu’un avis, dès qu’il s’agit de fiscalité.

Beaucoup d’autres votes intéressants dans cette session. Notamment une plutôt bonne résolution sur la crise du Moyen-Orient (Liban, Israël, Palestine). Vous pouvez en voir ici le texte intégral (je rappelle que vous pouvez toujours aller voir les textes votés sur le site du Parlement, rubriques Actualité ou Activités).

Le soir après les votes, je dois m’activer pour gérer l’incroyable succès (des milliers de visites, avec une soixantaine de messages sur le forum) du site legrenelleenvironnement.fr. J’ai raconté samedi dernier son histoire. Il faut maintenant faire quelque chose de ce site (qui m’appartient !).

Je prends des contacts avec des personnalités connues du monde des associations de défense de l’environnement, pour leur proposer d’en prendre le contrôle. De la même façon que les députés du Tiers État, lors des États généraux de 1789, avaient pris l’habitude de se rassembler dans la salle du Jeu de Paume (vous vous souvenez, Mirabeau : « Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes »), il me semble qu’à côté du site officiel existera ainsi un vrai lieu de débat pour les associations, qu’elles soient invitées ou non au Grenelle de Monsieur Borloo.



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