Rocard-Bayrou-Voynet
par Alain Lipietz

dimanche 15 avril 2007

De retour en France, je découvre l’appel de Michel Rocard dans Le Monde du 13 avril à une alliance Bayrou Royal avant le premier tour : « Isolés, ni eux ni nous, n’avons aucune chance de battre la coalition de Nicolas Sarkozy et Jean-Marie Le Pen. Mais rassemblés avec les Verts, la gauche sociale-démocrate et le centre démocrate-social constituent une majorité dans le pays. Et dans deux semaines elle peut devenir la majorité réelle. C’est la chance de la France. » Je découvre aussi les réponses négatives de Royal et…Voynet (en tout cas, c’est comme ça que c’est présenté sur France 2, comme si on avait bien conscience que Voynet est celle qui est la plus concernée par cette proposition !)

Là, on arrive au summum de cette campagne où, les candidats n’ayant guère réussi à faire émerger véritablement un projet sur lequel se jouera la présidentielle, tout devient affaire de tactique et d’image… et d’alliance pour la majorité parlementaire future, qui décidera, quelques semaines plus tard, quelle sera finalement la politique du pays !

Car, comme je l’ai déjà dit plusieurs fois sur ce blog, cette présidentielle est perchée entre deux trous noirs. Le trou noir du Non au TCE qui, en barrant provisoirement la route à l’Europe politique, achève d’évider la démocratie et la souveraineté populaire, à l’échelle nationale (c’est le thème populaire "la politique ne sert à rien" : oui, car l’économie se joue à l’étage au dessus !) Et le trou noir des législatives qui se retrouvent, par la terrible erreur de Jospin (« l’inversion du calendrier »), placées juste après la présidentielle, sans que les programmes des alliances aient été auparavant discutés. Or, la France reste un régime parlementaire, c’est-à-dire que c’est la majorité du Parlement qui décide. L’inversion du calendrier a couplé cette majorité au vote présidentiel : on a simplement oublié de dire à quel moment se négociaient les alliances et le programme !

Donc, Rocard propose une alliance immédiate (avant le premier tour de la présidentielle) entre Royal et Bayrou, contre Sarkozy et Le Pen. Naturellement, un accord, tout le monde à gauche le souhaite. Je ne vois pas qui pourrait souhaiter, à gauche, que Bayrou appelle à voter Sarkozy au second tour. Sarkozy, qui s’est considérablement lepenisé, aura déjà probablement un report de voix considérable de l’électorat lepeniste.

Alors, arrêtons de jouer les vierges effarouché(e)s : face au péril Sarkozy-Le Pen, plus il y aura d’alliés, mieux ça vaudra. Le problème, encore une fois, c’est que Rocard joue la pure tactique, et n’évoque même pas le commencement d’une ébauche d’un programme commun. En fait, il ne fait que constater la situation objective dans laquelle s’est placé Bayrou. Ou bien Bayrou se retrouve au second tour face à Sarkozy et évidemment il voudra les voix de la gauche. Ou bien il ne s’y trouvera pas, et je vois mal comment, ayant préparé ce second tour en concentrant ses coups les plus durs contre contre Sarkozy, il pourra se prononcer pour lui. Rocard ne fait que constater cette réalité.

Plus intéressant : Bayrou acquiesce chaleureusement à la proposition de Rocard. Il accepte donc de s’enfermer dans une position qui n’était vraiment pas la sienne il y a un an : au centre gauche. J’ai analysé ailleurs sur ce blog les raisons de cette évolution de Bayrou, fortement marqué par l’expérience Prodi. Peut-on dire que Bayrou est tombé dans le « piège » que lui tendait Rocard ? Pas tout à fait. Rocard offre aussi à Bayrou un schéma de majorité parlementaire possible (mais pour le moment tout à fait virtuel), alors que jusqu’à présent c’était la grande faiblesse de Bayrou : contrairement à Royal, il n’avait pas l’ombre de l’idée d’une majorité parlementaire possible si par hasard il se retrouvait au second tour à battre Sarkozy.

La réponse dilatoirement négative de Ségolène Royal est justement le miroir de cet argument. Elle a moins de chance que Bayrou de vaincre Sarkozy au second tour. Mais elle a un avantage sur Bayrou : elle peut disposer d’une alliance de partis qui pourrait, dans la foulée, remporter les élections législatives. Rocard, en les remettant à égalité, elle et Bayrou, à la tête potentielle d’une alliance du centre et de la gauche, lui tire un peu le tapis sous les pieds.

Mais il faut rappeler ici que le parti socialiste, qui n’a pas compris que, au fur et à mesure qu’on approcherait de l’élection présidentielle, l’ombre portée de la législative immédiatement conséquente deviendrait de plus en plus un argument politique, s’est très mal préparé à cette échéance. Mieux que Bayrou, certes, mais à peine. La somme des voix socialistes (environ 25 %), des écologistes, et des 5 représentants de la « dynamique du Non » (un peu plus de 10 %), c’est très insuffisant. Surtout, le PS ne peut véritablement expliciter ses alliances législatives qu’avec la vieille union de la gauche de 1973, c’est-à-dire les radicaux et le parti communiste (plus sa tendance interne-externe que sont les chevènementistes). Contrairement à Bayrou qui peut au moins exhiber le ralliement de Lepage et même de Waechter ( !!), le PS n’a même pas trouvé, en 5 ans de règne de la droite, le temps de négocier un accord en bonne et due forme avec les Verts qui, lorsqu’ils se présentent aux élections à la proportionnelle, pèsent une dizaine de pour cent.

Bref, l’appel de Rocard se solde finalement par un potentiel léger « plus » pour les adversaires de Sarkozy, tout en relançant une compétition Bayrou-Royal pour le premier tour, en en modifiant les termes : un problème que l’entourage de Ségolène Royal pensait dorénavant réglé au son profit.

La réponse de Dominique Voynet, tout aussi poliment négative, est parfaitement compréhensible. Déjà, ranimer la compétition Bayrou-Royal pour le premier tour réduit encore les chances d’un vote pour les « petits candidats ». Mais surtout, l’idée d’un accord avec Bayrou avant le premier tour enterrerait définitivement cette double campagne sous le signe de la pure tactique. Alors que les Verts pouvaient espérer qu’un sursaut des électeurs, votant au premier tour selon leurs convictions ( l’ancien adage « au premier tour on choisit, au second tour on élimine »), réimposerait dans cette campagne les thématiques écologistes, la proposition de Rocard réduit à nouveau la politique à un pur jeu abstrait d’alliances partisanes. D’où son appel à ce que chacun vote, au premier tour, pour ce en quoi il croit : après, on verra.

Et elle a parfaitement raison. Progressivement, toutes les grandes coordinations d’associations pouvant se reconnaître peu ou prou dans « Les Verts » comme étant le parti qui exprime leurs aspirations et propose des réponses, sont en train de le dire explicitement.

Les réponses de Dominique Voynet à divers questionnaires lui ont valu d’être placée en tête par :

* L’Alliance pour la Planète (71 associations environnementales dont le WWF, les Amis de la Terre, la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace, la Plateforme du commerce équitable...)

* Le Collectif Urgence Planétaire (ONG de développement : CCFD, CRID, Cimade, Secours catholique...)

* La Ligue des Droits de l’Homme qui « appelle les citoyennes et les citoyens à prendre en compte, dans leur choix... l’importance donnée aux Droits de l’Homme dans les positions prises par les candidats... et leur engagement réel »

* Le Collectif pour la santé environnementale. Des spécialistes de la santé publique à l’origine de la loi Evin de 1991, ont interpellé courant janvier les candidats à la présidentielle en leur présentant « 16 propositions pour assurer la protection contre les épidémies industrielles ».

Dominique Voynet a en outre reçu un « prix spécial avec mention Transparence » par l’association Anticor, association d’élus qui luttent contre la corruption.

Cerise sur le gâteau, l’autorisation donnée par Nicolas Hulot, porte-parole de l’Alliance pour la Planète, de faire état de son soutien sur la profession de foi de Dominique Voynet.

Bref, pour Dominique, pour les Verts et pour l’avenir de la planète, il est vital que ce premier tour se joue projet contre projet et non pas combinaison contre combinaison (même s’il aurait fallu, s’il faut et faudra tisser des alliances). Mais n’est-il pas un peu tard ? Les Verts, eux aussi, ont eu 5 ans pour construire, avec les associations, un socle de propositions à présenter à leurs alliés potentiels (PS, et maintenant Bayrou). C’est ce qu’ils appelaient « co-élaboration ». Cette co-élaboration semble se concrétiser vraiment in extremis. Pèsera-t-elle sur le résultat ? C’est-à-dire, permettra-t-elle à Dominique Voynet et aux Verts d’émerger comme le plus important des petits partis de luttes et de gouvernement ? Il reste une semaine pour en convaincre réseaux, associations, ami-e-s et autres électeurs/trices.

PS. Dans le même esprit, voir ma "Lettre ouverte à Etienne Balibar"

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