Retraites et pacte de stabilité
par Alain Lipietz

jeudi 3 juin 2010

La situation sociale se tend, mais la radicalité de certaines formes de luttes (évoquées dans mon avant-dernier billet) contraste avec les difficultés des mobilisations d’ensemble. On le voit bien sur les retraites. A quoi s’ajoute lea contre-offensive des libéraux qui cherchent à « rétablir la discipline budgétaire ».

Retraites

Le 1er mai, la mobilisation n’avait pas été terrible.

Celle du 27 mai a été bien supérieure (les propositions gouvernementales de report de l’age minimal de la retraite étant dorénavant sur la table). Mais, au moins en IdF, elles ont été cassées par une pluie diluvienne, et réduites par la défection de Force Ouvrière. Intéressante composition du cortège parisien d’ailleurs ! Très grosse manif FSU, grosse manif Cgt, pas mal pour UNSA, deux détachements SUD très combatifs, Cftc honorable, Cfdt un peu moyen, FO pas là. Les Ecolos ont diffusé tous leurs tracts en quelques dizaines de minutes. Je suis allé finir avec Copernic, qui avait encore des tracts.

Sans être un échec, la mobilisation n’était pas à la hauteur de l’enjeu. Tout se passe comme si les travailleurs ne croyaient plus, soit en la possibilité de gagner sur les retraites, soit en cette forme de lutte pour un objectif jugé trop politique et peut –être trop complexe.`

Il est vrai que le système de défense politico-syndical tient beaucoup de la ligne Maginot : on ne touche à rien des acquis. Seuls les écologistes essaient d’élargir le débat (voir par exemple le dossier de Vert, dont mon texte).

Un consensus à gauche apparaît sur : « faire contribuer les profits ». Mais la culture de la retraite comme « salaire différé » reste très forte, et introduit beaucoup d’imprécisions et de résistances sur cette thématique. À quel stade faire cotiser les profits ? En fait la tendance spontanée de la vieille gauche est « augmenter les cotisations patronales », ce qui ne fairait que confirmer la tendance à taxer le travail. Avec pour conséquence de pousser irrationnellement à l’automatisation, aux gains de productivité apparente du travail (en ignorant les contraintes écologiques), ou à la délocalisation.

Les écologistes considèrent que le droit à la retraite est un droit « de la personne humaine » (article 25 de la Déclaration Universelle !) et, à ce titre il est normal qu’il soit largement financé par la fiscalité générale, dont les impôts sur le profit distribué, qui ont le mérite de ne pas pénaliser la compétitivité et l’emploi !!

En outre, le matraquage démographique de la presse et du gouvernement est extrêmement efficace. On a beau expliquer que ce n’est pas si clair, que la base qui compte est la nombre de personnes effectivement au travail « cotisant » (dont les femmes !). C’est vrai qu’une fois au plein emploi, il faudra bien penser un repartage des richesses pour financer des « temps de vie à la retraite » plus longs. L’argument « Si l’on vit plus longtemps on doit travailler plus longtemps » a désormais la force de la fausse évidence ; il ne pourrait être contré que par un retour du discours sur le temps libéré, ce qui n’est pas le cas.

J’assiste à Villejuif à un débat du comité unitaire sur les retraites. Beaucoup de militants, retraités et chenus comme moi, tiennent ce discours de la défense des avantages acquis, jusqu’à ce qu’une jeune femme intervienne pour leur faire remarquer que ce discours ne mobilisera jamais les jeunes. La nouvelle génération a pour premier problème de trouver un emploi déclaré et… cotisant. Ils pensent tous que la retraite par répartition, ils ne connaîtront jamais.

La bataille pour les retraites doit être largement repensée, couche sociale par couche sociale, et tranche d’âge par tranche d’âge… comme l’a fait Sarkozy, qui saucissonne artistiquement son offensive. Par exemple, sa proposition de reculer l’âge légal de la retraite ne fait (pour le moment) qu’une seule catégorie de victimes : les ouvriers et employés « à l’ancienne », qui ont de très longues durées de cotisations. La nouvelle classe prolétaire des précaires n’est, elle, frappée que par la durée de cotisation : c’est pour elle le vrai obstacle à la retraite, et elle sera la cible de l’offensive dite des « comptes notionnels », qui prendront en compte, pour fixer les droits à la retraite, la totalité de la carrière cotisante, années de galères et de stages gratuits ou peu payés comprises !

Nous ne pourrons contrer cette méthode de saucissonnage que par un discours offensif répondant à toutes les problématiques des différentes classes sociales et tranches d’âge, dont les préoccupations par rapport à la retraite sont différentes. Les personnes âgées craignent avant tout une baisse des pensions alors que leur « coût de dépendance » augmente sans qu’ils trouvent de services adaptés ; les salariés en CDI craignent un allongement de la durée de cotisation ; les ouvriers veulent se reposer le plus tôt possible, car leurs dernières années de travail sont celles où ils vont le plus s’user et risquer la mort. Les jeunes ne voient tout simplement pas quand ils entreront dans le système « par répartition » et, quand ils sont diplômés, pensent que, lorsqu’ils y seront entrés, ils ne pourront rattraper leur retard qu’avec une retraite en capitalisation… D’où l’ampleur des problèmes à aborder de front.

++++Pacte de stabilité

Sac de plus sur le dos de l’âne : un discours se développe selon lequel les engagements contractés par l’Etat (caisse de retraites par répartition comprises) constitueraient… de la dette !

Disons tout au plus un engagement hors-bilan, une dette morale…

En quoi, bon sang, l’engagement de maintenir le pacte social, qui s’est traduit par le fait que les travailleurs et leurs employeurs ont cotisé chaque année pour payer les retraites de la même année, en échange de l’assurance que ce système se perpétuera quand eux seront à la retraite, constituerait-il une dette, autre que morale ?? Un engagement plus extravagant que l’engagement que l’Etat continuera, chaque année à retaper les routes, payer des enseignants, des hôpitaux, des juges et des policiers, fournir les nouveaux réseaux qu’exige le progrès technique, en prélevant des impôts cette année-là ? Oui, si c’est une dette, c’est une dette d’honneur de l’Etat envers la société.

Mais voilà, le déficit des caisses de retraite (en France… en Allemagne c’est directement un déficit public) traduit le fait que les rentrées se ralentissent du fait de la crise. Donc, selon la vulgate actuelle, il contribue à la dette publique, qu’il faut réduire en réduisant les dépenses — dont les retraites !

Au fond, c’est cette idée qu’il faut réduire la dette maintenant, et en coupant dans les dépenses indispensables (enseignement, hôpitaux, retraites) plutôt que dans les dépenses inutiles (ITER, armée), qui est en cause.

À ce propos, « l’incident de Gaza » (auquel j’ai consacré mon billet précédent) nous a fait louper la savoureuse déclaration de Trichet contre la réforme du Pacte de stabilité adoptée en 2005. Eh oui, ce pacte (qui interdisait les déficits supérieurs à 3% du Smic) avait sauté en 2005, ce qui a permis d’amortir la crise plus facilement. Aujourd’hui, absurdement, l’Allemagne et Trichet (président de la Banque centrale européenne) exigent que les Etats se désendettent, très vite et en même temps : replongée dans la crise assurée, d’où la défiance des marchés envers l’Europe.

Mais ce qui est savoureux, c’est la colère de Trichet à 5 ans d’intervalle. « La surveillance multilatérale, attentive, qui est fondamentale dans la lettre et dans l’esprit du pacte de stabilité et de croissance, a été terriblement négligée. Cela n’est pas tellement étonnant puisqu’il y a eu malheureusement, en 2004 et 2005, une critique radicale de ce pacte, y compris de la part des grands pays comme l’Allemagne, la France ou l’Italie. Ils ont donné un très mauvais exemple à la fois en tant que gestionnaires et responsables de leur propre politique budgétaire, et en tant que membres de l’Eurogroupe, et donc acteurs essentiels de la surveillance de la situation budgétaire de chaque pays. Toute l’équipe monétaire d’Europe avec la BCE s’était opposée à ces tentatives de démantèlement du pacte de stabilité. Le démantèlement de la lettre du pacte a été évité, mais son application en a énormément souffert. »

Rappelons (voir ici le dossier) qu’en fait la réforme du pacte de stabilité avait consisté, non a modifier le traité, mais à ne plus sanctionner ses violations quand les circonstances, ou de bonnes raisons, l’exigeaient ! Seulement, à l’époque, les « nonistes » allaient jusqu’à nier qu’il y ait eu réforme. Trichet reconnaît que dans la pratique il a été carrément aboli, et aujourd’hui il veut remettre en cause cette réforme. Et sans doute aussi le début de destruction de Maastricht opéré le 9 mai : l’émission de monnaie pour couvrir la dette publique.

Moralité : il faut savoir sabler le champagne quand on remporte une victoire (au lieu de la nier, conformément à ce que Bourdieu appelait le fonctionnalisme du pire :« tout ça c’est voulu, rien que pour nous embêter ») si l’on veut ensuite pouvoir défendre les acquis.

Maintenant, tous ensemble, nous devons proposer « notre » pacte de stabilité financière, avec un système de sanction contre les Madoff-Sarko-Karamanlis, ceux qui donnent aux riches et font rembourser par les pauvres.



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