Eh oui, je sèche les votes du jeudi à Strasbourg : certains journalistes français, qui ne s’intéressent qu’à notre présence pendant ces quelques heures par mois, vont encore me rétrograder. Je m’épuise à leur dire que le vrai travail se fait à Bruxelles, et que la semaine de Strasbourg, on est parfois retenu par d’autres tâches… Aujourd’hui, j’assure le service après-vente de mon rapport sur l’économie sociale et solidaire. La région Provence Alpes Côte d’Azur organise aujourd’hui (à l’initiative du conseiller régional Vert Philippe Chesneau) une journée de séminaire à Forcalquier sur ce sujet, et tenait à m’avoir.
Forcalquier est en quelque sorte le berceau de la nouvelle économie sociale et solidaire. Grâce à ses méthodes, le tiers secteur a fait revivre les Alpes de Haute-Provence. Je ne suis donc pas étonné de trouver ce matin dans la salle plus de 500 personnes.
Je résume en quelques mots l’histoire, les valeurs et les principes de l’économie sociale et solidaire. Le débat s’ouvre. Tout de suite, deux critiques fusent de la salle, dont l’inspiration est évidente : « Mais, enfin, l’économie sociale et solidaire, on en fait parce qu’on ne peut pas faire autrement. Ça devrait être à l’Etat, à eux, de faire tout ça. » Et puis : « C’est bien gentil d’appeler à la solidarité et à la réciprocité. Mais croyez-vous que ce soit possible dans le cadre du capitalisme ? Le capitalisme peut-il s’amender ? Ou ne faut-il pas une vraie rupture ? En refusant la concurrence libre et non faussée, les Français ont en tout cas clairement répondu le 29 mai. »
Je reste bien calme. « Pour ce qui est du vote du 29 mai, les Français ont choisi de refuser un traité, le TCE, et ce choix impliquait de garder le traité de Nice. Je ne sais pas si entre les deux il y a une vraie rupture, mais en tout cas le traité de Nice parle de concurrence « ouverte », alors que, à la demande de la Confédération européenne des syndicats, cette expression a été remplacée dans le TCE par concurrence « non faussée ». Non faussée, ça veut dire sans dumping social, écologique et fiscal, sans subvention déloyale. Les travailleurs de la SNCM, société publique avec des contraintes de services publics, qui vient d’être mise en faillite par la concurrence que lui fait Corsica Ferries, une entreprise italienne privée mais néanmoins subventionnée, apprécieront cette préférence pour la concurrence ouverte et faussée.
En ce qui concerne le tiers secteur dans sa rivalité avec l’Etat, il faut quand même tirer le bilan du XXe siècle. Karl Marx et Lénine étaient pour la destruction de l’Etat. Au début du siècle, Jean Jaurès proclamait : « L’Etat est la coopérative suprême vers laquelle tendent comme vers leur limite toutes les autres coopératives ». Mais il faisait une claire distinction entre l’économie sociale, qu’il voulait construire à base d’associations et de coopératives, et l’Etat. Le XXe siècle a donné la priorité à un socialisme d’Etat. Ça n’a pas marché. Je crois que nous irons vers une nouvelle société, solidaire et écologiste, en construisant une économie plurielle : il y aura toujours de la place pour les entreprises et le marché, mais il faut renforcer d’une part le service public, d’autre part ce secteur de l’économie sociale et solidaire qui devra asssumer la plupart des activités prenant en charge les corps et les âmes de la communauté. »
Dans les interstices de ce déplacement, il faut encore s’occuper de la visite d’Evo Morales en Europe. Maintenant qu’Evo est en tête dans les sondages en Bolivie, la droite demande l’annulation des élections du 4 décembre ! Et auprès de qui la gauche bolivienne vient-elle chercher secours ? auprès de la vieille Europe ! Hier il était à Paris, reçu par les députés Verts français, et ce matin à … Strasbourg, auprès des députés GUE et Verts. Nous expédions en Bolivie un communiqué de soutien.