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par Alain Lipietz | 27 avril 2017

Pourquoi je voterai Macron
Un ami Facebook, ex-Vert, m’écrit que la télé, dont le but est de « vendre du temps de cerveau disponible » serine, avec l’intention de présenter la politique comme un jeu de télé-réalité, que « Ne pas voter Macron c’est voter Le Pen ». Et que donc, en tant qu’insoumis, il ne votera pas Macron.

Je ne regarde pas les informations à la télé, donc je veux bien le croire. Il n’y a rien de tel dans la presse écrite que je lis. Sur le fond :

- S’abstenir ou voter blanc, c’est évidemment décider de ne pas peser sur le résultat, donc en fait approuver le choix du vainqueur par les autres. A posteriori, si c’est Le Pen qui gagne, on pourra dire que ceux qui se sont abstenus de choisir ont de fait voté pour Le Pen, si c’est Macron, pareil. Mais ça, c’est a posteriori !

- Si on se place à la date d’aujourd’hui, le point de vue est différent. Il existe plusieurs réservoirs de voix : ceux des électeurs/trices qui n’ont plus de candidat. Un sondage de ce mercredi 26, dans Libération montre par exemple que la moitié des mélenchonistes de premier tour seulement est pour voter contre le Pen, donc Macron. L’autre moitié vote très minoritairement pour Le Pen (ce qui est normal : Mélenchon a par exemple repris 4% du vote ouvrier jusqu’ici acquis à le Pen, et il faut l’en féliciter, en un sens ceux là "rentreront au bercail").

Les autres ne votent ni pour Le Pen, car ils sont « contre », ni pour Macron car ils sont "contre" aussi. ils s’abstiennent ou votent blanc, mais ils sont un "manque à voter " pour l’adversaire de Le Pen. C’est en ce sens qu’ils augmentent la probabilité de la victoire de Le Pen, même sans voter pour elle.

Et cette augmentation de probabilité est loin d’être négligeable. On peut même facilement calculer les effets de cette abstention ou vote blanc sur la possibilité d’une victoire de MLP, possibilité dont, à la suite de Michael Moore (qui avait prévu la victoire de Trump) je tenais compte quand, il y a 9 mois je pronostiquais la victoire de Marine Le Pen.

- Il ne s’agit pas de pleurer au moralisme ou à la culpabilisation. Car politiquement, cette "augmentation de la probabilité de la victoire de Le Pen" voulue par ceux qui s’abstiennent ou votent blanc peut signifier encore plusieurs choses différentes.

a/. Je sais que Macron va gagner grâce à la mobilisation des autres démocrates, donc j’en profite pour ne pas me salir les mains afin de pouvoir dire, après : « Moi, je n’ai pas voté pour le banquier, je vous l’avais bien dit ». En théorie des jeux, ça s’appelle le "passager clandestin" (= je suis content qu’existent des transports en commun , mais je ne paie pas mon billet puisque d’autres le font).


b/ Je pense, comme Polanyi, que le libéralisme fait le lit du fascisme (mais aussi, chez Polanyi : du stalinismme ou de la sociale-démocratie, et aujourd’hui il faut rajouter l’islamisme), donc la victoire de Macron fait le lit du fascisme dans 5 ans, alors je préfère le fascisme tout de suite.

Je n’ai jamais compris ce raisonnement, mais je constate qu’il existe : des gens se suicident quand ils apprennent qu’ils ont le cancer ou le sida, plutôt que se donner le temps et la chance de voir apparaitre de bons traitements.


c/ Je pense que l’élection de Le Pen avec une faible majorité des personnes en âge de voter provoquera une révolte des masses, dont mon parti pourra prendre la tète, dès les législatives. Cela s’appelle le "vote révolutionnaire" (qui peut aller jusqu’à voter réellement pour Le Pen en cachette, cf des consignes internes du PCF en 81 pour éviter l’élection de Mitterrand)


d/ Je pense que le libéralisme est un fascisme comme un autre, donc je m’en fiche.

Pour ma part :

Je suis pour participer à un vote contre Le Pen, dont le bulletin s’appelle Macron.

- Je pense que Le Pen c’est pire que Macron, même si, adoptant le langage fleuri du Komintern en 1932, on convenait de les appeler tous les deux fascistes (le Komintern allait jusqu’à écrire que « la sociale–démocratie est l’aile gauche du fascisme » et n’hésitera pas à parler de « hitlero-trotskysme »). Et, quoique je pense que MLP représente un fascisme plus proche de l’austrofascisme de Dollfuss, ou de la Pologne de Pilsudsky, ou de l’actuel régime poutinien, que du nazisme, je maintiens que ce fascisme soft est pire que le libéralisme.

Pourquoi croyez-vous donc que les réfugiés se précipitent vers les cotes anglaises ou les frontières allemandes, pays réputés plus "libéraux" que la France ? Dans un pays libéral, on peut traiter mal les immigrés et plus généralement les classes populaires. Dans le "modèle français", aussi. Dans un pays fasciste, on les parque, non dans des quartiers pourris mais dans des camps, on les vire, on les tue.

Cette différence est fondamentale. Même du point de vue écologique et social, ce n’est pas la même chose. Pourquoi croyez-vous que M. Orphelin (ancien porte-parole de la fondation Hulot) ou Patrick Braouézec, ancien animateur de la "gauche anti-libérale" et du Front de Gauche, ont soutenu Macron dès le premier tour ? Parce qu’ils le trouvaient moins dangereux que les deux suivants, Le Pen et Fillon.

Des internautes répètent pourtant en boucle que Macron et le libéralisme ne sont qu’une autre forme de fascisme. À preuve, disent-ils : la loi El-Khomri, violation de la hiérarchie des normes, qui traduit effectivement la logique « souverainiste » du penseur nazi Carl Schmitt… Mais il n’est pas le seul ! Tout pouvoir, même la République anarchiste de Catalogne ou la Makhnovchtchina, peut à ce compte être taxé de fasciste. C’est une convention, mais est-elle bien utile ?

Je propose alors de faire comme pour les bâtiments, les machines à laver et les aliments : un code couleur avec des lettres. De : « fascisme A » pour EELV avec une pastille verte, à « fascisme H » pour le FN avec une pastille brune, et pour Macron « fascisme D » (avec une pastille blanc bonnet) quand il est soutenu par M. Orphelin ou Braouézec, et "fascisme E" (avec une pastille bonnet blanc) quand il est soutenu par Bayrou ou Borloo. Aura-t-on gagné grand-chose en clarté ?

- Je ne crois pas un instant qu’en brouillant le débat politique dans un large front anti-fasciste de Juppé à Mélenchon, face à MLP une fois élue, on accélèrera les clarifications nécessaires aboutissant à la construction d’une force écosocialiste et anti-nationaliste. Ça ne s’est pas du tout produit ainsi en 1945 en France, en 1975 en Espagne, Grèce et Portugal, ni en 1985 au Chili, au Brésil ou en Argentine. On confie le plus souvent la direction du front "anti-fasciste" au démocrate le plus "acceptable". Donc je ne joue pas la politique du pire.

Si d’ailleurs JL Mélenchon et ceux de ses partisans qui s’honorent de « laisser le choix à ses électeurs » (comme si ses électeurs avaient besoin de leur autorisation, et comme si ces militants, qui depuis un an « suggéraient discrètement » un vote Mélenchon, pouvaient désormais se taire) avaient en vue une telle stratégie, alors dès ce 1er Mai ils auraient appelé leur immense armée d’Insoumis sur les pavé pour « faire barrage au FN dans la rue ». Ben non. Ont-ils peur d’entendre scander « Unité ! Unité ! », comme le 9 février 1934 ?

- Je préfère ne pas avoir le fascisme tout de suite. ÇA NOUS LAISSE DU TEMPS POUR RECONTRUIRE L’ESPÉRANCE.

- Je considère que la défaite de Le Pen n’est nullement acquise, donc je refuse le jeu du passager clandestin, je me salis les mains et j’appelle à voter comme moi : Macron. Si la défaite de Le Pen est « potentiellement » la plus probable, il faut bien que des gens se dévouent pour l’actualiser, et je ne délègue pas ce genre de choses aux autres. Dont je n’attend évidemment aucun remerciement.

- Et même si le dernier sondage avant le second tour donne Le Pen battue avec 40% (60 pour Macron) , je me battrai pour la faire descendre à 35.




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