Poissy-Plaisir : premiers enseignements
par Alain Lipietz

lundi 12 octobre 2009

La politique comme l’histoire est une sorte de science expérimentale dont il est difficile (et dangereux ) de monter les expériences, expériences qu’on ne peut pas renouveler et modifier à sa guise. L’expérience de ma candidature « Les Verts- Europe Écologie » dans la 12è circonscription des Yvelines doit donc être analysée avec le plus grand soin. Vous avez ici les résultats globaux mais je citerai des résultats plus fins.

Premier enseignement : l’UMP est en mauvaise posture. Un « people » multi-champion olympique, avec une énorme couverture de presse (qui prend dans le cas du gratuit Direct Matin une dimension qui devrait la faire réintégrer dans ses frais de campagne), se retrouve en position d’être battu dans une circonscription que la droite tient depuis plus d’un quart de siècle. David Douillet obtient 44% en asséchant littéralement ses réserves de voix « divers droite » et extrême droite : 6,5 % au total. Sur le papier la droite n’a donc que 50,5 %. Le socialiste Frédérik Bernard en obtient 21,9 %. Dans la 10e circonscription, à Rambouillet, au soir du premier tour, la droite totalisait 51 % (dont 44% également pour J.F. Poisson), et Anny Poursinoff seulement 20,2%. Et pourtant la droite ne l’a emporté que de 5 voix au second tour !

Le socialiste Frédérik Bernard part donc avec plus de cartes en main que la verte Anny Poursinoff… sur le papier. Rassemblera-t-il aussi bien qu’elle, et cette fois l’emportera-t-il fût-ce de 5 voix ? Ce sera l’enseignement principal du second tour dans cette nouvelle « expérience ».

Reste que D. Douillet a fait un score nettement meilleur que ce que semblaient annoncer de discrets sondages. L’expérience de Rambouillet a été pour l’UMP un véritable électrochoc dont elle a tiré toutes les leçons à Poissy. Le candidat Douillet s’est tu prudemment sur tous les thèmes portés par Nicolas Sarkozy, dont le nom n’était pas cité dans ses tracts. Il s’est ouvertement désolidarisé des projets les plus contestés de l’UMP des Yvelines, qui me servaient de chevaux de bataille : la Formule 1 à Flins, le trajet « Perben » de l’autoroute A104. Surtout, l’UMP a activé tous ses réseaux (notamment sportifs, y compris en dehors de la circonscription), et a mobilisé à fond ses électeurs (personnes âgées, maisons de retraite) dès le premier tour. Résultat : Douillet cartonne (enfin, chez les 25 % de votants…), aussi bien dans les petites communes bourgeoises que dans les quartiers populaires dépolitisés.

Second enseignement : je subis un échec personnel qui ne doit pas cacher qu’Europe Écologie se consolide à un haut niveau. Mon insuccès à renouveler l’exploit d’Anny Poursinoff (qui avait devancé le PS au premier tour à Rambouillet) vient d’une double dissymétrie. J’étais « parachuté dans ma circonscription » (ce à quoi je m’étais refusé tout l’été, pour céder finalement, fin août, à l’invitation pressante des Verts-Yvelines), alors qu’Anny représentait la sienne depuis 16 ans au Conseil régional, avec un lien très fort au milieu associatif.

Surtout, alors que le PS était en crise à Rambouillet (son candidat habituel partait sous l’étiquette Modem !), il est, dans la 12e circonscription, en pleine reconstruction, encore fragile. Depuis l’an dernier, il a emporté les deux villes du nord (Poissy en son propre nom et Carrières avec un PRG qui était son candidat législatif en 2007), et le canton du sud de la circonscription. Même la fragilité de cette reconquête a joué en sa faveur : jusque chez nos partisans, le discours « ne pas fragiliser Frédérik Bernard à la mairie de Poissy » avait du succès.

Le PS est donc resté ici devant les écologistes et aura l’honneur de nous représenter au second tour. Il a, comme je le lui ai promis depuis le début, tout mon soutien. Contrairement aux socialistes (qui ont distribué au dernier moment un tract donnant comme deuxième raison de choisir son candidat : « habiter dans la circonscription »), nous nous sommes bien gardé de toute publicité comparative de ce genre. Ce qui aurait été facile : ayant à peine adopté comme base de sa refondation le refus du cumul des mandats, le PS choisit un candidat qui devra se partager entre la mairie et l’Assemblée nationale !

Ce point est d’ailleurs intéressant. Les électeurs de Poissy qui se sont portés sur leur maire auraient sans doute très majoritairement rejeté le cumul des mandats, dans un sondage abstrait. Mais, s’agissant de leur propre ville, ils n’hésitent pas à choisir la perspective d’un député-maire !

Cet « effet-maire » fut pour moi dévastateur. C’est à Poissy (et à Carrières) que Frédérik Bernard creuse l’écart, alors que je limite le retard sur le canton socialiste du sud et le devance partout ailleurs (mais ce sont de petits bourgs).

Cela dit, cette campagne marque, après le premier tour d’Anny, la consolidation d’Europe Ecologie à un haut niveau. En juin 2007, les Verts pesaient 3,8 % et le PS-PRG : 21,6 %. Deux ans plus tard, l’écart s’est tellement resserré qu’il n’a plus du tout la même signification : de 14,8 % à 21,9 % ! L’écologie politique est désormais du même ordre de grandeur que la sociale-démocratie, avec des variations résultant des spécificités de l’élection : caractère « idéologique » (aux européennes) ou « local » du choix demandé aux électeurs, état local des forces en présence.

Parmi ces rapports de force il faut compter, on l’a vu, le niveau institutionnel (dans la 10è circonscription, Anny était plus « gradée institutionnellement » que sa concurrente socialiste) mais aussi la capacité militante. La 12è circonscription était pour les Verts une terre de mission où nous pouvions compter sur une dizaine de militants disponibles. En outre, quand l’UMP et le PS pouvaient compter sur le secours des circonscriptions voisines pour venir remplir des meetings de 400 personnes, il ne fallait pas compter sur les Verts (sauf leurs dirigeants) pour se déplacer. Même les candidats verts aux prochaines régionales qui avaient une occasion en or de se faire connaître et de roder leurs arguments pour la prochaine campagne ne se sont pas tous dérangés… Sans l’implication, d’abord prudente, puis de plus en plus convaincue des militants associatifs (surtout de Vivre Sa Ville, dont ma suppléante Sophie est secrétaire), les Verts, même en s’arrachant les tripes, n’auraient pu compter sur un tel résultat.

Eh oui , nous nous sommes arraché les tripes. On a vanté sur le site, dans une charmante video, le travail abattu par les femmes de la campagne. On a oublié le back office, Cléo qui assurait la transcription des textes (pour le site lipietz2009.net, pour ce blog-ci, et pour celui d’Alternatives économiques) que je lui dictais chaque nuit jusqu’à 3 heures du matin, avant de les lui transmettre par internet. Rendons hommage aux hommes : Jean-Paul, mon directeur de campagne, Pascal le vidéaste conquis par les charmes du tractage, Joël déjà conquis et… peu d’autres.

Ces multiples handicaps de départ avaient convaincu la presse que nous ne pèserions rien. Pendant près d’un mois, elle a réduit l’enjeu à un affrontement Douillet-le socialiste. Seulement dans la dernière semaine, à force d’affirmer ma confiance dans notre résultat, j’ai pu faire passer le message que la compétition était plus ouverte, et enrayer la « prophétie auto-réalisatrice » des medias. Il y a deux ans , les Verts se demandaient s’ils passeraient la barre des 5%. Il y a six mois, Dany Cohn-Bendit espérait faire « 10+x % » Nous savons maintenant que x est de l’ordre de 5 pour une législative, pouvant pousser à 10% comme avec Anny… Et pour les régionales ? Mystère.

Pour les régionales Ile-de-France par exemple, on va encore partir avec des handicaps : nouveauté de Cécile Duflot face à JP Huchon en place, faible implantation institutionnelle et militante des Verts dans la plupart des départements, etc. Même en supposant que tous les Verts s’arrachent les tripes comme l’on fait ceux de la 12è circonscription, on ne pourra là encore compenser que par une grosse implication des « Europe Ecologie non verts » pour espérer un pareil résultat. Et, si l’on prétend dépasser le PS, il faudra une énorme implication des non-verts.

Et c’est là que le bât blesse. Relevant le nez du guidon, je mesure le chemin à faire. Les partisans de l’ouverture maximale, chez les Verts, sont retoqués dans les élections internes des Verts. C’est le cas de Natalie Gandais, porte parole des Verts Ile de France en charge des relations avec les associations, et reconnues d’elles dans la problématique « agriculture-tiers monde-alimentation-santé ». Les nombreuses personnalités et militants non-verts dont elle avait gagné l’intérêt pour notre future campagne ont été accueillis fraîchement par Jean-Vincent, l’actuel président du groupe vert au Conseil régional. En gros : On prendra les deux plus connus pour « tirer » nos listes… et pour les autres on verra. Le moindre vert ayant de l’entregent (ou pas de concurrent) en interne, mais totalement inconnu à l’extérieur des Verts, semble privilégié par rapport à des militants « hors parti » mais ayant une aura locale ou professionnelle considérable.

Pour mémoire : sur les 4 élus d’Europe-Ecologie en Ile-de –France, 3 sont membres des Verts. Le premier était Dany Cohn-Bendit, le second Pascla Canfin, un des plus remarqués jeunes journalistes de Alternatives économiques, auteur déjà de plusieurs livres très pédagos, la troisième Karima Delli, animatrice de Jeudi noir et de Sauvons les riches, qui avait mis le fils Sarko en difficulté devant les caméras.

Dans ces conditions, la candidature de Cécile Duflot est très mal partie. Il faut d’urgence redresser la barre. Nous pouvons construire une liste Ile-de-France Ecologie du tonnerre, et sur la liste de quelque 250 noms, mettre au moins 125 militant-e-s non verts significatifs, voire plus si cela représente un encore plus large rassemblement.

Car, troisième enseignement : comme le dit Emmanuelle Cosse (ex Act-up), c’est bien « à Europe-Ecologie que ça se passe ». Par rapport à 2007, le Modem dévisse de 12,6 % à 7,75%, la « gauche de la gauche », cette fois unie dans le Front de Gauche avec soutien NPA, passe de 6,3% à 4,9%. Politis n’avait pas daigné consacrer un article à ma candidature et titrait à trois jour du scrutin sur « l’élargissement du Front de gauche » ! Ce qui ne veut pas dire qu’il ne reste plus de militants, parfois extraordinaires, au PCF par exemple. Ainsi, le Front de Gauche me devance au Valibout (quartier difficile de Plaisir) grâce au dévouement d’un de ses militants.

Mais le Front de Gauche et le NPA semblent complètement encombrés de débats byzantins sur les alliances de second tour, le candidat (du Parti de Gauche) François Delapierre posant ses conditions pour accorder au candidat de gauche arrivé en tête le logo du Front de Gauche : « pas si le Modem apporte son soutien » ! Peu importe : le Parti Communiste ne fait pas tant de manières.

Quant au candidat du Modem, Richard Bertrand, il manque lui aussi de chaleur envers Frédérik Bernard, au soir du premier tour. Peu importe : Anny avait dû se passer du soutien du candidat Modem, mais avait conquis ses électeurs.

Rassembler tous les écologistes, la gauche et le centre : Anny y était parvenue, et au delà. Le PS en aura-t-il la capacité ? Encore une fois , comme dans les années 70 entre le PS et le PCF, cette « émulation courtoise » est l’enjeu fondamental de cette élection.



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