Retour du Conseil du Parti Vert européen à Madrid. Éléments marquants : nous avons accueilli ICV (Catalogne) et Equo (reste de l’État espagnol) pour y représenter l’écologie politique ; nous avons décidé de soutenir la manif européenne du 1er Juin contre l’austérité ; et nous avons décidé que notre campagne prochaine pour les élections européennes serait incarnée par une paire de candidats désignée par une primaire ouverte européenne…
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Mon blog prend un retard abyssal, car je suis polarisé par l’enquête publique sur le Projet de Schéma directeur Ile de France (Sdrif), très insatisfaisant. Il s’agit en fait d’une fusion bâclée entre le projet longuement négocié par la Verte Mireille Ferri en 2008 et le « Grand Paris » de Sarkozy, que l’actuel gouvernement et la direction nationale d’EELV n’ont pas voulu remettre en cause.
J’ai mis ici mon article le plus court, Le Sdrif de la Méduse, avec un petit portail vers mes articles de fond sur le sujet et ma contribution à l’enquête publique. Cette enquête est l’occasion d’un certain réveil des écologistes qui avaient beaucoup milité pour un rééquilibrage Paris-Régions, la sauvegarde des terres agricoles, etc., et qui ne se reconnaissent guère dans ce nouveau Sdrif… De toutes façons, il est si mal fichu qu’il devra sans-doute être bientôt révisé.
Le président de la Commission d’enquête publique sur le Sdrif m’appelle dimanche à mon retour de Madrid pour me remercier de ma contribution. Une demi-heure de discussion... Un dimanche à 17 h ! Il faut dire que son temps est serré : il doit rendre sa copie pour juillet. Et il ne dispose que de 9 personnes, contre 19 pour le Sdrif précédent ! Je lui dis qu’on ne peut pas « renvoyer la copie », que construire un vrai Sdrif sera pour « le coup d’après », mais au moins essayer d’empêcher l’irréversible…
Les invitations aussi me bouffent mon temps. L’une d’elle a été assez rigolote. La Maison de l’Europe de la Mayenne (la plus grande du grand Ouest) m’invitait à un débat sur les nouveaux programmes de développement rural européens (LEADER, FEADER…) Beaucoup de monde, occasion d’un débat entre la FNSEA (syndicat paysan majoritaire) du département et agriculteurs bio. La FNSEA : très agressive envers les « bio » et moi, allant jusqu’à contester qu’il y ait une demande pour la nourriture bio dans les villes ! Mais ce n’est pas ça le rigolo (c’est même assez triste : je leur ai dit « Bon, on ira demander aux éleveurs lorrains ».)
Le rigolo, c’est « la Manif pour tous » (les anti mariage homo), qui vient perturber tous les déplacements ministériels. Ils sont un bonne quarantaine avec enfants pour conspuer à l’entrée le ministre de l’agro-alimentaire, Guillaume Garot, ex-maire de Laval. Ils ont de jolis petits tracts et calicots, où un bébé demande à une vache « Les poulets, les vaches , les cochons, ont droit à des labels, le fromages ont droit à des AOC, et les humains ont droit à quoi ? Moi aussi je veux ma traçabilité ». C’est leur nouvelle tactique : assimiler le mariage et l’adoption à ce qui fera l’objet d’une loi ultérieure, la PMA voire la GPA.
Dans la salle, les paysans (en majorité éleveurs) se marrent grassement : « ça fait longtemps que nos bestiaux sont mieux tracés que leurs gosses ! ». J’hésite à demander aux manifestants s’ils revendiquent des tests de paternité systématiques à la naissance. Le maire de Mayenne (avec qui j’ai eu une longue discussion sur le recueil des ordures ménagères fermentescibles et compostables) m’assure qu’ils viennent d’ailleurs, « car ça fait longtemps que les cathos de l’Ouest ont tourné à gauche », ce que je sais bien et que me confirment les militantes EELV locales. Sauf que cette « petite manif pour tous » a quand même son public, et que les manifs nationales sont énormes. Moins, bien sûr, que celles pour l’École « libre » il y a un quart de siècle, mais quand même.
Comme je l’ai expliqué ailleurs, la mobilisation anti-homos est un des axes possibles pour la droite, qui recherche son 6 février 1934 : le choc du « pays réel » (supposé homophobe) contre le « pays légal », celui issu des élections de l’an dernier. Son impressionnante capacité de mobilisation, sûrement destinée à resservir, pèse déjà sur d’autres sujets : personne n’a envie de voir Copé place de la Concorde à la tête de 300 000 manifestants contre le droit de vote des immigrés qui nous interdiront le saucisson et le pain au chocolat.
Le rêve de cette droite (celle du moins qui s’est engouffrée dans cette bataille) : le retrait de la loi Taubira même déjà votée, comme la mobilisation lycéenne avait jadis cassé le Contrat première embauche de de Villepin.
Cette droite oublie deux choses. Le CPE était tombé de nulle part, alors que le mariage pour tous est le fruit d’une longue maturation mondiale, en France scandée par l’adoption du PACS il y a 15 ans. Ensuite, les lycéens se battaient pour leur avenir avec l’approbation inquiète de leurs parents, tandis que les anti-mariage homo « se mêlent de ce qui ne les regarde pas » : ils ne se battent pas pour eux, mais contre autrui. Ils ne veulent pas épouser une personne du même sexe ? Libre à chacun !
Libre à chacun ? Sauf pour une instance qui a un avis « transcendant » sur la morale des autres, avis indépendant de la morale civiquement acceptée parce que reflétant l’évolution des mœurs dans le sens d’une plus grande liberté et un plus grand respect des différences. Or cette instance, qui a eu un rôle décisif dans le lancement des « Manif pout tous », c’est l’Église de France.
En fait il est exagéré d’écrire « avis transcendant » : cet avis, comme celui des autorités juives ou musulmanes qui l’appuient, n’est pas tiré de la Révélation, Évangiles, Torah ou Coran, mais, curieusement, d’une « loi naturelle », immanente, où l’amour sert à faire des enfants par le biais d’une copulation. Cette dé-spiritualisation radicale de l’amour (qu’exprime crument les tracts de Mayenne) au nom d’un biologisme exacerbé, même plus médiatisé par les rapports sociaux, surprend de la part d’une religion dont les fondateurs s’étaient plutôt affranchis de ce genre de trivialités au profit d’une matérialisation antinaturaliste du spirituel (une personne divine née d’une vierge et d’un autre personne divine par l’opération d’une troisième, afin de libérer du mal et de la mort le genre humain). Mais ça la regarde.
Bien sûr, l’Église, comme EELV, a le droit d’avoir son avis sur ce qu’elle croit juste et bon, même en position minoritaire, et de militer pour en convaincre ses concitoyens. La laïcité le permet ! Mais il reste un malaise : dans ce cas particulier, comme dans celui de la contraception, du divorce ou de l’avortement, l’Église tente d’imposer par la loi à des non-croyants un comportement qui n’est au fond justifié que par sa propre croyance. Un peu comme si la République exigeait des nonnes qu’elles aient une expérience sexuelle (ou qu’elles retirent le voile, parce que ce serait un symbole de soumission à l’Homme et non à Dieu).
Les écologistes essaient de « justifier » leurs propositions par un intérêt général bien compris, étayé par l’expérience et les recherches scientifiques (par exemple : l’effet de serre). Au contraire, cette norme que l’Église cherche à dicter (un papa, une maman, leurs enfants), au nom de « l’intérêt des enfants », n’a guère fait ses preuves depuis des millénaires. Elle représente de plus un modèle qui ne s’est réalisé pleinement qu’un bref instant en France : les années 1960.
Avant 1960 et depuis des siècles, il y avait quantité d’orphelins de mères mortes en couche, de pères victimes de guerres ou de maladies : c’est le cas de nos plus grands rois ou écrivains. Après 1968, il y aura de plus en plus de « famille recomposées ». En matraquant que les lesbiennes et gays ne peuvent pas élever des enfants, l’Église à insulté non seulement ces pères et mères potentiel-le-s et pour beaucoup déjà réel-le-s (parfois encore ouvertement traités de monstres, par l’évêque d’Ajaccio ou le primat des Gaules), mais surtout elle a « étiqueté » comme incapables d’une vie normale les enfants élevés par d’autres que leur parents biologiques, par des adultes éventuellement de même sexe. Ce qui fut et redeviendra fréquent, en tout état de cause, et n’a pas provoqué de catastrophe particulière.
La République est donc obligée de subir patiemment, au nom de sa laïcité, une mobilisation intrinsèquement anti-laïque. Et pas de la part de l’Islam, qui paraît-il chercherait à imposer en France la Charia, mais d’une Église dont on pensait qu’elle s’était résignée à la modernité laïque et républicaine. Ce qui est sans doute encore le cas, mais elle n’a plus de voix pour le dire. Et du coup elle court le risque d’avoir été embringuée dans la préparation d’un 6 février 1934, elle qui eut tant de mal à s’extraire, après 1942, de son soutien à Pétain.
J’ai eu l’honneur il y a quelques jours d’assister à l’ordination au diaconat de Gaël Giraud, jeune et brillant économiste jésuite qui a accepté mon invitation à rejoindre (avec sa collègue assomptionniste Cécile Renouard) le conseil scientifique de la Fondation de l’Écologie Politique. L’évêque de Saint-Denis Pascal Delannoy, qui officie, commence ainsi son homélie : « Le Christ n’enlève rien à personne, il donne à tous », paraphrase évidente de l’argument choc des partisans de la loi Taubira. J’observe la foule des parents et amis : ils ont de bonnes têtes d’EELVistes potentiels… La Compagnie de Jésus est actuellement l’aile encore à gauche de l’Église. Mais nous discutons à la sortie des mouvements récents dans la hiérarchie de la Conférence des Évêques de France. Le départ de André Vingt-Trois, la nomination à la présidence de l’archevêque de Marseille, Georges Pontier, et de Pascal Delannoy à la vice-présidence, traduirait une inflexion sociale (effet François 1er ?) et une prise de distance par rapport à cet engagement imprudent et par trop « droitisable » dans la bataille anti-mariage pour tous… Prions !
A propos de la Fondation de l’Écologie Politique : j’étais candidat à sa présidence, mais c’est Catherine Larrère, philosophe, qui a été élue. Je la félicite, et suis certain de travailler agréablement avec elle. Cela dit, je persiste à penser que face aux présidents des fondations « honorables adversaires », concurrentes ou partenaires, Dominique Reynié, Daniel Cohen (économiste) ou Nicolas Hulot, un scientifique et économiste aurait été mieux choisi dans la conjoncture présente. Je n’ai sans doute pas les compétences et le prestige de Catherine, et j’assume pleinement pour moi-même le temps qui passe, l’âge qui s’écoule, la vivacité qui s’émousse et pousse à se retirer doucement. Je n’étais plus candidat à rien d’autre qu’à ce poste où je pensais encore pouvoir servir l’écologie politique en France. Tant pis.