Lip en Béarn ? CAN, Rhodia.
par Alain Lipietz

lundi 23 janvier 2006

Première étape : Orthez, dans le Béarn, où une entreprise aragonaise de cellulose, la SAICA, ferme une de ses usines de carton. Les ouvriers occupent l’usine et continuent la production. Les cadres, avec le soutien de la mairie (une mairie centriste, mais avec des conseillers municipaux Verts), essaient de monter un projet de reprise de l’usine.

En quoi suis-je concerné ? Tout simplement à travers la Banque européenne d’investissement. Celle-ci, en effet, a largement financé la Saica, qui est accusée d’avoir utilisé cet argent pour moderniser ses usines d’Aragon, et pour fermer Orthez. Or, il n’a pas échappé à ceux qui lisent mon blog que la BEI s’engage de plus en plus, sous la pression du PE et de mes rapports, à respecter les objectifs de l’Union européenne, c’est-à-dire la cohésion régionale et l’environnement. Fermer Orthez, c’est concentrer la production et le recyclage de carton, et donc multiplier les déplacements en camion. Un peu plus faible en revanche est l’argumentation sociale : le Béarn et l’Aragon sont classés par l’Union européenne au même niveau de l’échelle ouvrant droit à des aides régionales. Déshabiller le Béarn pour habiller l’Aragon n’est donc pas strictement contraire aux objectifs de l’Union.

A la demande des Verts d’Orthez, lors de ma réunion de décembre dernier avec la direction de la BEI, j’avais remis une lettre au Président Meystadt, évoquant l’affaire. Dès la fin du mois, il y répondait par une longue lettre, détaillée et convaincante, témoignant de son embarras dans l’affaire. À mots couverts, il s’engageait à accueillir avec bienveillance une demande de prêt de la part des éventuels repreneurs salariés de l’usine d’Orthez.

C’est pour expliquer tout cela que je viens à Orthez. Je rencontre successivement les ouvriers, les cadres, le maire, la presse. A chaque fois, il faut expliquer : ce qu’est la BEI, comment elle se finance, quels sont ses critères, qu’elle n’a pas les moyens de faire la distinction entre l’Aragon et le Béarn, que néanmoins cette lettre de Meystadt est très encourageante… Je m’engage à les relayer auprès de lui. Mais je ne peux m’empêcher de regarder cette lutte avec l’oeil d’un ancien de Lip.

C’est vrai qu’ici, la CGT fabrique, vend… et les ouvriers sont payés. Mais je connais par cœur les difficultés qui les attendent. Difficultés internes : des contradictions peuvent très vite apparaître entre les cadres et les ouvriers. Difficultés externes : l’entreprise ex-Saica d’Orthez, devenue indépendante, devra faire son trou à l’ombre de la Saica qui semble dominer tout le marché du papier-carton du Portugal au Sud de la France… Je réfléchis déjà à l’ouverture d’un front secondaire du côté de la Direction de la concurrence, à Bruxelles.

Le soir, conférence sur « Croissance et décroissance » pour la fondation Manu-Roblez Arangiz, à Bayonne. Cette fondation est soutenue par le principal syndicat du Pays Basque-Sud, l’ELA, historique syndicat démocrate-chrétien, tourné très à gauche depuis la fin du franquisme (mais lié à aucun parti et surtout pas à l’ETA). L’ELA, contrairement à l’ETA, s’est refusé à créer un correspondant en pays basque français. Mais il soutient cet institut de formation de militants. Il soutient aussi la Confédération paysanne basque dans la création d’une Chambre d’agriculture alternative pour le Pays Basque. Je dîne d’ailleurs avec l’animateur de cette chambre d’agriculture, expérience extraordinaire de création d’une institution à vocation para-étatique… alternative ! Cette chambre d’agriculture sauvage salarie des conseillers agricoles et soutient Natura 2000, appliquant mieux que la Chambre d’agriculture des Pyrénées Atlantiques la politique de l’Union.

Quant à la Fondation, elle a négocié avec l’hebdomadaire Enbata l’insertion régulière d’un supplément de 4 pages, Alda !, qui m’a largement donné la parole. La salle est archi-pleine. Le débat passionnant. La Fondation forme vraiment bien les militants en Pays basque !

Pendant tous ces déplacements, je jongle avec les envois et les traductions du communiqué de presse sur la Rhodia dont j’ai parlé dans mon dernier blog. Pas très commode ! Le débat est prévu à la Commission économique et monétaire du Parlement européen, lundi.

Le week-end, je potasse le dossier Rhodia.

Lundi, déjeuner à Bruxelles avec les ambassadeurs des 5 pays de la Communauté andine. C’est la première fois que je peux m’adresser à eux ensemble. Le héros du jour est bien sûr le Bolivien, l’ambassadeur d’Evo ! On parle chiffons : comment Evo va-t-il s’habiller ? Puis on aborde les choses sérieuses : l’ouverture de la négociation pour un accord d’association CAN-UE. Les difficultés du TLC (traité de libre échange) avec les USA nous facilite la tâche, mais les divisions de la CAN nous gênent : une partie est passée dans l’orbite du Mercosur, l’autre tend vers les USA. J’insiste qu’ils doivent faire bloc pour négocier et aborder tous les dossiers difficiles en même temps : bananes, hydrocarbures, biodiversité, drogue, migrations… et que l’UE aura des exigences en matière de droit de l’homme. Bien entendu, l’UE tentera de jouer de leurs divisions (entre Equateur et Colombie sur les bananes), c’est pourquoi je préfère qu’ils fassent un peu le ménage entre eux.

Puis je file à la réunion de la Commission économique et monétaire où je dois présenter deux rapports : un rapport pour avis sans grande importance sur la Société de l’information, et mon gros rapport sur la politique de la concurrence… avec la demande de commission d’enquête sur l’affaire Rhodia.

Je croise courtoisement le fer avec le Directeur général de la concurrence qui défend les subventions de Charleroi à Ryanair, et, plus défensivement, la gestion de l’affaire Rhodia.

Mmm… les interventions des députés socialistes et libéraux-démocrates ne sont pas très encourageantes. Le PSE couvre visiblement Van Miert et les lib-dem Neely Kroes. On votera plus tard.

Demain matin, départ pour le FSM de Caracas.



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